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Le gouvernement a obéi à la FNSEA en ignorant les demandes des agriculteurs sur leurs revenus

Les systèmes agroalimentaires actuels font peser des coûts cachés sur la santé, l'environnement et la société s'élevant à plus de 10.000 milliards de dollars par an, estime l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

À l’heure où le syndicat agricole majoritaire rentrait à la maison, au moins momentanément, les États Généraux des Agricultures Alternatives (EGAA) s’ouvraient à Joigny ce vendredi 2 février. Ils dénoncent les cadeaux du gouvernement à la FNSEA, champion des pesticides, au détriment des revenus des agriculteurs.

L’incurie en questions

Sur l’estrade de la Salle Debussy s’assoient deux agriculteurs en bio, une représentante de Terre de liens, un agronome, une formatrice en vitiforesterie et phytothérapie agricole, et le jardinier punk Éric Lenoir qui anime les échanges. Changement de programme de dernière minute, la table-ronde se transforme en un échange avec la salle à bâtons rompus.

Face à la fronde agricole, dans la salle comme sur scène, on s’étonne des réponses gouvernementales et du satisfecit délivré par la FNSEA. Car, rien n’a été réglé au fond. Alors qu’on est face à un problème systémique, le gouvernement répond par une avalanche de mesures d’urgence, sans efficacité durable. Consensus sur la scène comme dans la salle : le gouvernement a tout lâché, au moins en mots.

Payer les primes PAC et celles liées aux tempêtes dues et attendues depuis des mois déjà, c’est un petit minimum et ce devrait déjà être fait. Un plan d’urgence pour la viticulture et la prime à l’arrachage des vignes, disons que c’est utile mais ne changera pas l’avenir du monde paysan.

Sur la suspension d’Écophyto, qui visait à réduire de moitié l’utilisation des produits phytosanitaires en 2030, les avis divergent. Si sur le plan du symbole, c’est absolument absurde, il faut reconnaître que le plan a échoué et que le mode de calcul en est inadapté, donc faut-il le conserver ? Pas sûr ! (voir encadré en bas de l’article)

La vraie question des agriculteurs porte sur leur revenu. Ils ne sont pas payés pour le travail qu’ils font, et à ce titre ne sont pas les seuls. La distribution des 9 milliards de la PAC se fait à l’hectare et non en fonction du temps passé par les humains dans les champs.  Et là, le gouvernement n’a pas donné de réponse. Soumis au marché mondial au sein d’une concurrence totalement déloyale, les paysans s’entretuent à l’échelle de la planète au profit de l’agro-industrie comme de l’agrochimie.

Comme pour les autres métiers, le principe reste toujours le même : laisser les gens dans la précarité et leur octroyer des aides, comme des aumônes. L’agriculture de l’après-guerre s’est construite sur ce modèle qui veut que les paysans croulant sous les dettes matérielles, contraints par la chimie, soient dépendants des marchés et tendent la mains continuellement pour survivre, sauf s’ils peuvent entrer dans le cercle restreint de l’agrobusiness.

Or, les systèmes agroalimentaires actuels font peser des coûts cachés sur la santé, l’environnement et la société s’élevant à plus de 10.000 milliards de dollars par an, estime l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Aujourd’hui, il serait financièrement plus rentable de soutenir le passage à l’agroécologie ou au bio que de poursuivre sur le mode de production en cours.

L’agroindustrie : le poison et son coût

Aux États Généraux des Agricultures Alternatives, on s’interroge sur les urgences, les vraies. Comment rémunérer le travail des paysans, et particulièrement le travail respectueux du vivant, celui qui rend service au commun, au collectif. Comment aider les paysans à « travailler avec le Vivant et pas contre lui » dit Marie Océane Fekaïri, formatrice en vitiforesterie.

Pour Marc Dufumier, agronome, la situation est critique et l’agriculture conventionnelle est un danger majeur, « il faut en finir ». Fondée sur le rendement à l’hectare, elle dépend de l’agrochimie, ignore les hommes, la nature mais aussi ses propres coûts.

De quoi parle t-on lorsqu’on dit rendement ? Produire plus, pour qui, pourquoi ? Quels coûts cela génère t-il ?

« Il faut calculer ce qu’on détruit au regard de ce qu’on produit » affirme le chercheur.

Cette agriculture, par l’usage abusif qu’elle fait des produits chimiques, détruit la biodiversité, les sols, les emplois, coûte extrêmement cher en dépollution des eaux. Elle a un rôle fondamental dans le développement de nombre de maladies chroniques (104 milliards d’€ en France sur l’année 2020) ou neurologiques (6,7 milliards d’€), et de cancers (16,8 milliards d’€) de plus en plus nombreux et précoces selon les données de la Sécurité Sociale.

La société, donc le contribuable, en supporte les frais et les conséquences. Si on réintégrait ces dépenses dans le rendement à l’hectare, l’équation ne serait sans doute pas si favorable.

Il y a donc urgence à changer de modes de calculs. Loin de l’idée de cette assemblée de s’en prendre aux agriculteurs qui devraient toucher une rémunération juste à la hauteur de leur travail. En effet, il est urgent de sortir les paysans, salariés ou entrepreneurs, comme toute la population précaire d’ailleurs, d’un système qui repose sur l’“institutionnalisation de la charité” comme le définit Didier Fassin en 2001 dans la revue française de sociologie.

Pourquoi, demande la salle, n’a t-on pas un écho plus important alors que depuis quarante ans les données sur les effets délétères de cette agriculture s’accumulent et que nous essayons de convaincre ? Le déni est une réaction humaine pour échapper au trauma mais ça ne suffit pas. Le système bloque, tant qu’il peut, toutes les tentatives d’évolutions fondamentales.

Rémunérer les agriculteurs

Marc Dufumier propose une remise en cause radicale du système. Il défend une rémunération juste du temps de travail paysan, des services rendus aux écosystèmes, de la qualité des produits fournis. Il insiste sur la rémunération des externalités positives et la taxation des externalités négatives.

Le passage en agroécologie bien accompagné, la création d’emplois qui est le corollaire de cette agriculture, seront acceptés par les paysans s’ils sont payés pour faire le travail.

Dans la salle, on applaudit, on illustre les propos du chercheur avec des exemples vécus. Un représentant de la Confédération paysanne rappelle que ce syndicat paysan refuse d’abandonner la lutte et s’insurge contre les décisions du gouvernement de lâcher sur la défense du Vivant au profit d’une agriculture inadaptée.

Ce ne sont pas les contraintes environnementales qui empêchent les agriculteurs de travailler mais un système qui les endette sans les payer.

La troisième année des États Généraux des Agricultures Alternatives est consacrée aux pratiques agricoles, à l’usage des intrants chimiques, aux alternatives et à l’alimentation politique comme levier du changement. Leurs conférences seront intégralement restituées sur leur site.

 

Annonces gouvernementales pour atténuer la crise agricole :

En date du 26 janvier

  • Accélération du versement des aides d’urgences pour certains agriculteurs, par exemple pour les indemnités liées à la maladie hémorragique épizootique (MHE), transmise par des moucherons piqueurs aux bovins notamment. Le taux d’indemnisation des frais vétérinaires sera relevé à 90 % (contre 80% auparavant)
  • déblocage de 50 M€ pour les agriculteurs bio, pour 60 000 fermes soit 833 € par ferme.
  • le « délai de 4 mois » de recours possible sur des projets agricoles passe à deux mois. L’accélération des procédures est également envisagée quand « un recours est mené» contre un agriculteur, avec la « suppression d’un échelon de juridiction ». Gabriel Attal envisage une « réduction des délais de contentieux des projets relatifs à la gestion de l’eau »
  • Renforcement des sanctions dans le cadre de la Loi Egalim.
  • Simplification du contrôle (administratif) pour les exploitants : Un passage annuel géré par la préfecture.
  • l’Office français de la biodiversité serait désormais sous la responsabilité des préfets pour « passer d’une administration tatillonne à une administration qui vous accompagne »
  • Simplifications de la réglementation sur les haies et le curage des cours d’eau ou des étendues d’eau.
  • Objectif de réduction du temps pour obtenir une autorisation de curage des cours d’eau de 9 à 2 mois.
  • « Pause » pour « discuter du zonage »  des zones humides.
  • Emmanuel Macron devrait demander (à l’Europe) de nouvelles dérogations sur les jachères obligatoires.

En date du 1er février

  • Inscription de l’objectif de souveraineté alimentaire dans la loi. « Nous voulons être souverains, souverains pour cultiver. Souverains pour récolter. Souverains pour nous alimenter » déclare Gabriel Attal.
  • 150 millions d’* « dès cette année et de façon pérenne » pour soulager la charge fiscale et sociale des éleveurs « qui ont besoin d’un soutien spécifique »
  • « Travail sur la création de clauses de sauvegarde, notamment sur la volaille ukrainienne, et de négociations prochaines au niveau européen sur la question des céréales, l’UE n’a pas inclus les céréales dans les produits « sensibles » pour lesquels les importations peuvent être limitées.
  • rappel du rejet par la France de l’accord UE-Mercosur (libre-échange transatlantique entre Europe et Amérique du Sud)
  • Le plan Ecophyto, dispositif national qui vise à réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques (pesticides), est mis à l’arrêt jusqu’au Salon International de l’Agriculture à Paris (24/02-13/03)
  • Il est question d’empêcher l’importation en France de fruits et légumes traités au thiaclopride, un néonicotinoïde interdit en Europe.
  • Relèvement des seuils d’exonération sur les successions agricoles
  • Renforcement loi Egalim : nombre de contrôles sur l’origine réelle des produits et des sanctions jusqu’à « 10 % du chiffre d’affaires des industriels ou des distributeurs qui auraient fraudé », doublement des contrôles visant à la bonne rémunération des agriculteurs par la grande distribution
  • Demande par la France au Conseil Européen du 1er février de dérogation pendant un an sur la conditionnalité de la PAC imposant 4 % d’infrastructure agroécologique et de jachères sur les terres arables.
  • Législation européenne plus précise autour des viandes de synthèse.
  • Abandon de la hausse sur le GNR agricole prévue dans la loi de finances A partir de juillet, la ristourne fiscale dont bénéficient les agriculteurs sur le GNR serait appliquée dès l’achat, et non plus à posteriori sur justificatif. Ils peuvent « bénéficier de l’avance de 50% sur le remboursement du GNR » dès maintenant.
  • Fonds d’urgence de 80 millions d’€ en soutien “des régions viticoles en crise ».
  • Accélération du versement des aides PAC au 15 mars.
  • Délais des contentieux relatifs à la gestion de l’eau réduits par la suppression d’un niveau de juridiction.
  • Annonce de la mise en place de mécanismes budgétaires et fiscaux favorisant l’installation des jeunes ou des personnes issues du monde agricole « afin d’encourager toutes les vocations ».

Isabelle Vauconsant

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