Depuis 20 ans, l’association Terre de Liens aide les agriculteurs à s’installer en identifiant les terres et en mettant en place un système de fermage stable et moins coûteux, pour une agriculture respectueuse de l'environnement.
Donner accès à la terre agricole à ceux qui n’en ont pas hérité
Terre de Liens a été créée en juin 2003 suite aux travaux menés entre le milieu des années 1980 et la fin des années 1990 au sein de l’Association d’éducation populaire RELIER (Réseau d’Expérimentation et de Liaison des Initiatives en Espace Rural). Depuis son lancement, Terre de Liens a permis l’installation de 700 agriculteurs bio sur 300 fermes, représentant un total de 10 000 hectares de terres agricoles, sur les 26,8 millions que compte la France.
« Terre de Liens a pour objectif de préserver et de partager les terres agricoles », souligne Benjamin Duriez, le directeur national de Terre de Liens, pour La Relève et La Peste.
Le volet de la préservation des terres s’ambitionne à deux niveaux. D’abord, la préservation en quantité.
« Chaque année la France perd 50 000 hectares de terres agricoles, un hectare c’est un terrain de foot, et 50 000 hectares c’est l’équivalent de la production agricole d’une ville comme Le Havre. C’est un problème pour la question de la souveraineté alimentaire, parce que cela nous rend de plus en plus dépendant des exportations (…), nous importons déjà 50% de nos fruits et légumes ».
Ensuite, la préservation en qualité. « Il y a des pratiques agricoles qui sont destructrices des sols, et il y a des pratiques dites agro-écologiques, ou l’agriculture bio pour simplifier encore plus, qui préservent la fertilité des sols, voire qui la régénèrent ».
Le partage de la terre consiste à « rendre accessible le métier d’agriculture à des personnes qui veulent devenir agriculteurs mais qui ne sont pas issus du milieu agricole ». Il y a en effet un déficit d’agriculteurs.
« On a aujourd’hui moins de 400 000 agriculteurs en France (…), il faudrait plutôt 1 million d’agriculteurs », et « on perd 100 000 agriculteurs tous les 10 ans » explique Benjamin Duriez, le directeur national de Terre de Liens, pour La Relève et La Peste.
Il est très difficile de savoir où trouver les terres en vente, et celles-ci coûtent très cher : « 6100 euros l’hectare en moyenne aujourd’hui, contre 750 euros dans les années 1970. Le but est de sortir les terres du marché agricole ».
Aujourd’hui les terres et les bâtiments pour produire demandent une mise de départ cumulée avoisinant les 500 000 euros.
Faire de la terre agricole un bien commun
Terre de Liens achète donc de la terre et la loue à des personnes qui vont devenir agriculteurs. L’initiative a créé pour cela une foncière pour collecter de l’épargne auprès des Français.
« Chaque année, on acquiert entre 40 et 50 fermes. Cela reste une goutte d’eau par rapport au nombre de fermes qui existent en France, mais on montre que c’est possible ».
La foncière compte aujourd’hui 150 millions d’euros de capital. Ainsi Terre de Liens est « une sorte de super – GFA » (Groupement Foncier Agricole) à l’échelle nationale, « ce qui fait qu’aujourd’hui si les gens enlèvent leur argent de Terre de Liens (…), comme chaque année on a 20 millions d’euros d’épargne qui rentrent, et qu’on a 1 à 2 millions qui sortent, on a suffisamment d’entrées pour couvrir les sorties et continuer à investir ».
Pour les agriculteurs, le principe est celui du fermage, « qui est un acquis de la deuxième guerre mondiale », système où les agriculteurs sont quasiment propriétaires.
« Ils ne peuvent pas être mis dehors du jour au lendemain. On expérimente très concrètement de faire de la terre agricole un bien commun. Les citoyens peuvent acheter des parts sociales (…) et avec cela on en fait une gestion qui permet à l’agriculteur de travailler, et qui garantit que la terre va rester agricole ».
En moyenne, Terre de Liens installe 2 agriculteurs par ferme. Il n’est pas possible d’acheter soi-même la terre agricole, celle-ci étant considérée comme un bien commun dont le prix ne peut pas augmenter sous peine d’empêcher l’installation agricole.
« Il y a des gens qui se tournent vers nous pour être propriétaires à terme. Dans ce cas on les oriente vers différents acteurs : les chambres d’agriculture, des initiatives comme FEVE (Fermes En ViE), ou encore notre site internet Objectif Terres, sorte de Le Bon Coin pour faciliter la connexion directe entre vendeurs de terrains agricoles et futurs agriculteurs, sans que Terre de Liens n’intervienne ».
Pour transmettre ses terres et ses bâtiments à ses enfants, l’agriculteur, qui dans le système de Terre de Liens n’est pas propriétaire, peut transmettre cependant le « bail rural » à sa famille, mais pas au-delà, et si les conditions pour avoir le droit d’exploiter sont réunies, l’obtention du diplôme d’agriculteur notamment.
« On accompagne aussi le fermier pour sa recherche de logement, lorsqu’il n’y a pas de logement sur la terre agricole », décrit Benjamin Duriez pour La Relève et La Peste. « On a environ 1/3 des terres achetées qui ont un logement dessus ».
Changer les politiques publiques au profit des agriculteurs
En parallèle, l’initiative réalise une activité de plaidoyer pour, notamment, changer la Politique Agricole Commune (PAC), « qui n’est pas du tout favorable à la petite agriculture, ou à l’agriculture écologique, car au contraire on constate plutôt une incitation à l’agrandissement, à ce qu’il y ait de moins en moins d’agriculteurs et des fermes de plus en plus grosses ».
Pour relocaliser et passer en bio, le modèle agricole proposé par Terre de Liens est fondé sur une consommation de viande divisée par deux, dans un contexte actuel où 80% des terres servent à produire pour nourrir la viande.
Terre de Liens plaide également pour une Sécurité Sociale de l’Alimentation, partant du constat qu’en France aujourd’hui 20% des gens sont en précarité alimentaire. Parmi les autres sujets de plaidoyers sur lesquels travaille l’association : la hausse du prix des terres agricoles à cause de l’installation de panneaux photovoltaïques, rendant plus difficiles la revente aux nouvelles générations d’agriculteurs.
Pour aller plus loin dans la pédagogie, Terre de Liens a mis en ligne un convertisseur alimentaire, Parcel, pour les entreprises, les collectivités souhaitant calculer les gains en termes d’emploi et d’écologie d’un retour au bio et d’une relocalisation de leur production alimentaire.
Des associations locales Terre de Liens, regroupant 1500 bénévoles et 150 salariés, repèrent les fermes qui pourraient être rachetées, et forment les agriculteurs. 2500 personnes s’adressent chaque année à Terre de Liens pour s’installer.
« Souvent on est une porte d’entrée. Aujourd’hui les 2/3 des installations ce ne sont pas des gens issus du milieu agricole (…) donc ils viennent toquer chez nous » sourit Benjamin Duriez pour La Relève et La Peste
A l’échelle européenne, la structure s’inscrit dans le réseau Access to Land, qui aide à l’installation en agro-écologie. Une fois que l’agriculteur a son terrain, Terre de Liens le met en contact avec les structures partenaires spécialisées dans la formation agricole, les CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), la FADEAR (Fédération des Associations régionales pour le développement de l’emploi agricole et rural), ou encore les lycées agricoles.
Pour savoir quels terrains acheter, puisque les terres achetées ne sont pas revendues et qu’il s’agit dès lors de se projeter dans le temps, Terre de Liens inclut le dérèglement climatique dans ses arbitrages d’achat. La question de l’eau se pose de façon aiguë notamment.
« Si on achète de la terre et que dans dix ans, dans vingt-ans, il n’y a plus d’eau dessus, on aura acheté un désert » anticipe Benjamin Duriez auprès de La Relève et La Peste
Aujourd’hui Terre de Liens repose sur un réseau de bénévoles pour ses Associations locales.
« Notre modèle économique global tient beaucoup grâce au bénévolat. Et en plus pour nous c’est aussi un des objectifs de sensibiliser les citoyens, qu’ils deviennent un peu intéressés voire experts sur la question agricole, la question foncière. On veut démocratiser ce sujet-là, que ce soit pas juste réservé aux agriculteurs, réservé à la profession ».
Terre de Liens repose aussi sur les dons du grand public ; sur les partenariats avec des collectivités locales afin d’organiser l’autonomie de leur production alimentaire. « Souvent l’entrée d’une collectivité c’est de repasser la cantine de l’école en bio (…) on a besoin de ces exemples concrets et vivants qui pourront inspirer d’autres. »
Sources : “La France et ses territoires”, Édition 2021, INSEE