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Pour nourrir l’Europe en 2050, il est urgent d’éliminer les engrais azotés et végétaliser notre alimentation

« Le scénario envisagé repose sur trois leviers. Le premier impliquerait un changement de régime alimentaire, avec une consommation moindre de produits animaux, ce qui permettrait de limiter l’élevage hors sol et de supprimer les importations d’aliments pour le bétail. Le deuxième levier propose l’application des principes de l’agro-écologie, avec la généralisation de rotations de cultures longues et diversifiées intégrant des légumineuses fixatrices d’azote, ce qui permettrait de se passer des engrais azotés de synthèse comme des pesticides. Le dernier levier consisterait à rapprocher culture et élevage, souvent déconnectés et concentrés dans des régions ultra-spécialisées, pour un recyclage optimal des déjections animales. » résume le CNRS

Sans surprise, un rapport de la Cour des comptes européenne est venu pointer l’échec de la Politique Agricole Commune pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole. Ce rapport arrive pile au moment où une nouvelle étude menée par des scientifiques du CNRS l’affirme avec force : une agriculture biologique pour nourrir l’Europe en 2050 est possible, à condition d’éliminer les engrais azotés, à l’impact écocidaire et véritables bombes à retardement, ainsi que de végétaliser notre alimentation en supprimant l’élevage industriel au profit de fermes alliant petit élevage et cultures diversifiées.

La pollution des engrais azotés

En pleine négociation finale sur la prochaine politique agricole commune (PAC), la Cour des comptes européenne a délivré ce lundi 21 juin un rapport cinglant, pointant l’échec de la PAC pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture.

Si les émissions de gaz à effet de serre agricoles ont décru de 25 % entre 1990 et 2010, grâce à une forte restructuration de l’agriculture dans les pays d’Europe de l’Est, elles n’ont plus baissé depuis 2010.

En cause : l’élevage, qui représente la moitié des rejets d’émissions de gaz à effet de serre agricoles, en grande partie dus aux bovins, et dont les émissions n’ont pas baissé depuis 2010 ; mais aussi les engrais chimiques qui représentent un tiers des rejets agricoles.

N’en déplaisent aux partisans du solutionnisme technique, les émissions causées par l’utilisation d’engrais azotés ont augmenté de 5 % entre 2010 et 2018 malgré une plus grande efficience dans l’usage d’azote (N). En effet, le système agro-alimentaire européen dépend fortement des apports d’engrais azotés synthétiques, ce qui entraîne contre-intuitivement des pertes d’azote dans l’environnement.

Concrètement, l’excédent d’azote engendré par l’utilisation d’engrais de synthèse est soit lessivée vers les eaux souterraines et de surface sous forme de nitrate (NO3–), soit volatilisé sous forme d’ammoniac (NH3) ou dénitrifié, avec une part importante émise sous forme de protoxyde d’azote (N2O), un puissant gaz à effet de serre, menaçant la qualité de l’eau, de l’air et du sol et contribuant au changement climatique.

Lire aussi : Les agriculteurs bio se mettent à poil pour dénoncer la baisse des aides dans la réforme de la PAC

Le danger des engrais azotés

Les engrais azotés ne sont pas seulement dangereux pour l’environnement et nocifs pour le climat, mais présentent aussi des risques importants en terme de sécurité civile. Avec 1,5 million de tonnes par an, la France est le plus gros consommateur d’Europe de l’Ouest, et le deuxième dans le monde, de nitrates d’ammonium : ces matières premières pour fabriquer des engrais azotés.

Suite à la catastrophe de Beyrouth en août 2020, le gouvernement français avait commandité un rapport sur la gestion des risques liés à la présence de ces engrais azotés dans les ports maritimes et fluviaux. Ses conclusions sont alarmantes : la mission a découvert d’importantes lacunes réglementaires qui font de certains ports de France de véritables bombes à retardement.

Si heureusement, aucun accident mortel n’est à déplorer depuis la catastrophe de AZF à Toulouse en 2001 qui avait fait 31 morts, « les incidents sont nombreux » selon le rapport. « Une dizaine d’incidents par an » se produisent notamment lors du transport ou dans des fermes.

« Une explosion d’un stock, même limité, d’ammonitrates à haut dosage peut provoquer des dégâts considérables. »

En France, environ 130 000 tonnes d’ammonitrates à haut dosage (les plus dangereux) transitent par les ports maritimes.

Les ports qui en reçoivent le plus sont ceux de Nantes, Rouen, Honfleur (Calvados), Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), Le Légué (Côtes-d’Armor), Les Sables-d’Olonne (Vendée) et Rochefort (Charente-Maritime).

50 000 tonnes sont transportées par voie fluviale, que ce soit la Seine, le Rhin ou la Moselle. Et dans le domaine, les risques pris sont inconsidérés : les conditions de navigation, de chargement ou de déchargement des matières dangereuses y sont beaucoup moins encadrées, moins contrôlées et parfois même complètement inconnues des pouvoirs publics. 

L’ONG Robin des Bois, spécialisée sur le sujet, appelle ainsi le petit port d’Elbeuf, sur la Seine, en amont du port de Rouen, le « port Angoisse ». Environ 17 000 tonnes d’ammonitrates à haut dosage y sont débarquées chaque année, soit l’équivalant de la quantité qui circule dans plusieurs ports maritimes.

Or, le port d’Elbeuf est à proximité immédiate de trois sites Seveso : Machoprim à 120 mètres, BASF Agri à 300 mètres et Sanofi à 500 mètres. Si un problème arrivait, les répercussions pourraient être dramatiques pour les populations avoisinantes.

Lire aussi : Explosion à Beyrouth : les nitrates d’ammonium, l’un des dangers de l’agriculture industrielle

Se passer des engrais azotés, un impératif écologique et alimentaire

Heureusement, des alternatives existent. Face à toutes ces problématiques, une étude du CNRS s’est penchée sur la façon de créer un système agricole biologique qui puisse nourrir l’Europe en 2050, basé sur les principes de l’agroécologie, en s’appuyant sur de nombreuses études et pratiques agricoles existantes.

Les chercheurs derrière l’étude ont constaté les dysfonctionnements du système agricole, largement basé sur l’importation/exportation de denrées. En effet, le métabolisme du bétail a un poids effarant dans le cycle agricole global de l’azote. Le bétail consomme 75 % de la production européenne de protéines végétales en plus des 2,7 millions de tonnes métriques d’azote (TgN) par an dans les aliments importés (19 % de la ration totale du bétail), principalement du maïs des États-Unis et du soja d’Amérique du Sud, contribuant à la déforestation.

Résultat, l’import d’azote dépasse largement son export d’Europe, à travers les céréales (0,398 TgN/an) et produits animaux (0,030 TgN/an), vers le reste du monde. Alors que l’Europe est devenue autosuffisante en céréales, voire exportatrice nette depuis la fin des années 1990, le bénéfice de ces exportations est annulé par l’augmentation des importations de protéagineux pour nourrir le bétail.

Ce phénomène s’explique par la spécialisation des pays européens (ou de régions au sein de ces pays) soit dans des systèmes de culture sans bétail (c’est-à-dire un système de culture spécialisé avec un élevage inexistant ou très limité, donc entièrement dépendant des engrais azotés de synthèse) ou de systèmes d’élevage intensif spécialisés.

Dans l’élevage industriel spécialisé, la production locale d’herbe et de cultures est dans la plupart des cas insuffisante pour nourrir les animaux, ce qui rend le système dépendant du commerce d’aliments à longue distance.

La contribution des importations extra-nationales d’aliments pour animaux dans l’alimentation totale du bétail européen a augmenté de 12 % à 20 % entre 1960 et 2015, tandis que la part du pâturage permanent des prairies a baissé de 54 % à 30 %.

Le découplage des cultures et de l’élevage qui en résulte est également responsable d’une utilisation sous-optimale des excréments animaux provoquant une mauvaise fertilisation des cultures.

De 1961 à 2013, la population européenne est passée de 428 à 540 millions d’habitants. Au cours de la même période, la consommation apparente de protéines par habitant est passée de 4,9 à 5,7 kgN/hab/an (empreinte azote par habitant).

Plus important encore, la part des protéines animales (hors poisson) dans la consommation est passée de 35 % à 55 %, ce qui signifie que la consommation de protéines animales par habitant a augmenté d’environ 80 % ; avec des disparités importantes d’un pays à l’autre.

Alors que ces tendances impliquent une augmentation de la production agricole, la superficie des terres agricoles a elle progressivement diminué (de 238 à 206 Mha). Et la FAO prévoit une augmentation de la population européenne de 12% à l’horizon 2050, risquant de créer de fortes crispations dans le système agro-alimentaire européen et de renforcer sa dépendance aux importations.

Lire aussi : Oui, une Europe agroécologique qui nourrit tous ses citoyens est possible

Une agriculture biologique pour nourrir l’Europe en 2050

Heureusement, le scénario établi par l’équipe de chercheurs du CNRS est porteur d’espoir. Pour eux, il est possible de renforcer l’autonomie de l’Europe, de nourrir la population attendue en 2050, d’exporter encore des céréales vers les pays qui en ont besoin pour l’alimentation humaine, et surtout de diminuer largement la pollution des eaux et les émissions de gaz à effet de serre par l’agriculture.

« Le scénario envisagé repose sur trois leviers. Le premier impliquerait un changement de régime alimentaire, avec une consommation moindre de produits animaux, ce qui permettrait de limiter l’élevage hors sol et de supprimer les importations d’aliments pour le bétail. Le deuxième levier propose l’application des principes de l’agro-écologie, avec la généralisation de rotations de cultures longues et diversifiées intégrant des légumineuses fixatrices d’azote, ce qui permettrait de se passer des engrais azotés de synthèse comme des pesticides. Le dernier levier consisterait à rapprocher culture et élevage, souvent déconnectés et concentrés dans des régions ultra-spécialisées, pour un recyclage optimal des déjections animales. » résume le CNRS

Dans leur scénario, les chercheurs préconisent une consommation apparente de protéines par habitant fixe pour tous les pays européens, à savoir 5 kgN/hab/an, dont 45% de produits céréaliers, 15% de fruits et légumes frais, 10% de légumineuses à grains et 30% d’animaux qui serait principalement apporté par la volaille et le porc.

Evidemment, un régime entièrement végétalien est tout à fait possible, mais cette piste n’est pas creusée jusqu’au bout par les chercheurs qui ont délaissé toute notion de bien-être et éthique animale dans les lignes de leur étude.

Lire aussi : « Il est toujours impossible d’avoir un débat sérieux autour de la condition animale »

Dans les systèmes agro-écologiques, les animaux ne sont pas utilisés seulement pour fournir de la viande et du lait ; ils sont surtout les agents capables de transporter les éléments nutritifs des prairies vers les terres arables et des cultures fixatrices d’azote vers d’autres cultures.

Pour assurer une connexion totale avec les systèmes de culture, le bétail doit être nourri localement, sans importation d’aliments d’origine lointaine, et ses excréments doivent être réintroduits dans les terres cultivées et les prairies.

Ce type d’agriculture existe déjà en Europe, et couvre même environ 8% de la superficie agricole totale de l’UE27. Preuve qu’il est possible de le dupliquer à plus grande échelle, dans leur scénario, les scientifiques ont même pris en compte les pertes de fumier au cours de leur manipulation et leur épandage pour s’en servir comme apports d’azote aux terres cultivées.

De plus, réduire les importations de l’Europe soulagerait les pays producteurs. En effet, la production de nourriture pour le bétail européen est une menace directe pour la souveraineté alimentaire de ces pays, bien loin de l’image de « Grenier du Monde » que se targue parfois d’avoir l’Union Européenne.

Reste à chaque territoire d’adapter ses pratiques en fonction de ses ressources et conditions pédoclimatiques, ainsi que détaillé dans l’étude. Si le chemin est encore long, il est tout à fait possible de nourrir la population mondiale de façon durable et éthique en 2050.

« Parler de la réduction du cheptel est encore tabou au niveau européen et national, conclut Célia Nyssens, responsable de l’agriculture au Bureau européen de l’environnement (BEE), une fédération de 140 organisations européennes basée à Bruxelles, alors que pour les scientifiques, il n’y a aucun doute de la nécessité d’une telle mesure, que ce soit pour le climat, la biodiversité, la pollution. »

Laurie Debove

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