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Ces paysagistes drômois réparent le cycle de l’eau grâce à l’hydrologie régénérative

L’objectif est simple : comment faire pour avoir un maximum d’eau pour les plantes qui cohabitent ensemble et qui permettent de régénérer le sol. 

Les Alvéoles, c’est le nom qu’ont donné Antoine Talin et François Goldin à leur pépinière située à Cobonne dans la Drôme où, depuis quelques années, soucieux de redonner un second souffle à la biodiversité, ils mettent en place avec leur équipe des pratiques régénératives sous différentes formes. Conscients de cette prééminence de l’eau dans la vie, ils développent l’hydrologie régénérative afin de préserver et économiser la ressource.

Des jardins-forêts pour conserver les fruitiers anciens

En 2009 des chercheurs internationaux, conscients des profondes perturbations liées à l’activité anthropique, ont publié une étude majeure dans laquelle ils dépeignent les neufs limites au-delà desquelles les processus d’autorégulation de la planète seront ébranlés de manière irréversible. Aujourd’hui, selon les chercheurs du Stockholm Resilience Centre et du Potsdam Institute, c’est au tour du cycle de l’eau douce d’en faire les frais.

Les Alvéoles est à l’origine un bureau d’étude qu’Antoine Talin a créé afin d’accompagner des porteurs de projets dans leurs désirs d’œuvrer à la transition d’un monde plus durable et plus résilient en passant par leurs jardins ou encore leurs paysages environnants. Assis à l’ombre des arbres, Antoine nous confie :

« Je suis arrivé dans la Drôme avec l’ambition de construire des jardins-forêts coopératifs en me disant que l’on doit pouvoir produire de la nourriture à travers eux. On s’est rencontrés autour de ce projet de pépinière et des questionnements qui en découlent : comment on fait pour multiplier les arbres ? Conserver les vieilles variétés ? Adapter au changement climatique des variétés ? De ce rêve commun est né le projet de pépinière des Alvéoles. »

Aujourd’hui, les Alvéoles est un lieu d’expérimentation avec différentes parcelles de jardins agroforestiers qui font entre 3000 et 5000m2 chacune. 

Trois parcelles sont des lieux de conservation de la diversité variétale comme par exemple de la vigne, des pommiers, des pruniers ou encore des petits fruits. On y dénombre environ 900 variétés cultivées. Mus par la volonté de préserver le vivant dans sa diversité, ils le multiplient consciencieusement pour essaimer.

« Parmi les valeurs principales des Alvéoles, on souhaite se mettre au service du vivant, aller dans son sens. Quand on observe ce qu’il fait et ce que font en particulier les plantes, on se rend compte qu’elles tempèrent le climat et qu’elles agradent les sols en permanence. Ce sol qu’elles créaient et qu’elles agradent est l’un des organes principaux de régulation à la fois du climat, du cycle de l’eau et de l’azote. Si je devais résumer notre mission, ce serait de se mettre au service des plantes pour les aider à créer du sol. »

L’hydrologie régénérative pour protéger l’eau

Afin de rendre le projet pérenne, ils ont placé la gestion du cycle de l’eau douce au cœur de leurs préoccupations. Leurs expériences se focalisent sur la meilleure façon de la concentrer dans des cycles plus courts, augmenter sa quantité disponible pour les plantes et les écosystèmes mais aussi sur le moyen de réhydrater les paysages car, ainsi qu’ils l’ont compris : c’est la clé pour pouvoir aider les plantes.

L’objectif est simple : comment faire pour avoir un maximum d’eau pour les plantes qui cohabitent ensemble et qui permettent de régénérer le sol. 

Pour concrétiser ces réflexions, ils ont construit différents systèmes pour être autonomes en eau, notamment en accumulant un maximum d’eau de pluie, en régénérant les nappes de la vallée et en maintenant l’humidité. Ils se sont penchés sur ce qu’on appelle l’hydrologie régénérative, un terme qui a émergé ces dernières années. L’idée principale est de gérer l’eau, notamment de pluie, de façon à régénérer le sol et l’environnement.

« L’idée est de ralentir le cycle de l’eau donc son écoulement afin de limiter l’érosion. D’une part pour éviter de perdre cette matière organique que l’on a déjà, d’autre part pour recharger le sol en surface là où c’est encore accessible pour les plantes. En ramenant l’eau là où les plantes en ont besoin, cela permet de créer un microclimat.”

Les plantes vont produire de l’évapo-transpiration qui va ramener de l’humidité dans l’air et ainsi se condenser à nouveau. Cela alimente le besoin des plantes en eau au niveau de leur feuillage et de leurs racines. C’est ce petit cycle qu’ils essaient de cultiver. Pour cela, ils ont mis en place des systèmes d’infiltration appelés baissières ou swales.

“Ce sont des tranchées d’infiltration d’eau petites ou grandes, remplies de matière organique ou non selon où elles sont situées. Ce sont des systèmes de recharge de la nappe de surface. On explore différentes manières de créer des éponges, on remplit ces tranchées de matière organique capable d’absorber un maximum d’eau et de ne pas trop sécher car quand il y a des orages en été, on a beau avoir de l’eau, quand le sol sèche derrière, on la perd. ” 

D’autres techniques sont mises en place, notamment d’ombrage et de paillage afin de préserver un maximum d’humidité, ou encore des brise-vents pour économiser l’eau.

“ On va aussi jouer avec la pente pour la ralentir et la répartir. Parce qu’elle a tendance à suivre le chemin le plus direct, donc il y a des lignes d’écoulements qui se creusent de plus en plus profondément. Pour la ralentir, on fait en sorte qu’elle s’infiltre dans les zones les plus sèches pour ne pas en avoir des trop humides ou trop trempées et des très sèches. Ça, ce sont les principaux ouvrages. »

Leur expérimentation ne s’arrête pas là. Ils ont aussi installé des systèmes d’irrigation pour arroser les plantes, différentes techniques de stockage d’eau de pluie (des temporaires et d’autres non) comme des cuves et des citernes.

En se baladant à travers ce petit paradis, on y observe des mares et des bassins pour que les animaux et les insectes aient un accès à l’eau. 

En plus de leurs jardins, ils gèrent les eaux usées de la maison commune qui se trouve de l’autre côté de la route près du jardin-forêt mais aussi celles qui sortent de la serre et de la pépinière pour qu’elles puissent s’ infiltrer dans ces tranchées.

Tous ces processus ont été élaborés en s’interrogeant sur la manière de disposer les éléments les uns par rapport aux autres (arbres, arbustes, plantes couvres-sols etc.) mais aussi sur la disposition des plantes afin que chacune puissent drainer l’eau, la remonter, la condenser et briser le vent.

« Ce ne sont pas les mêmes plantes qui vont arriver sur un sol pauvre ou remué au début que sur un sol riche. Donc on va accompagner cette succession en mettant à la fois des plantes pionnières, des plantes qui fixent l’azote et des plantes qui vont créer beaucoup de matière organique, de biomasse, faire beaucoup de feuillage et puis d’autres qui vont nourrir et attirer les insectes et les animaux.”

Inspirés par la flore qui grandit dans des climats rythmés par des grands froids et des grands secs comme en Eurasie ou en Afghanistan, ils combinent plantes indigènes et exotiques. Les champignons partenaires des premières vont les encourager à pousser et par effet ricochet vont favoriser le milieu au profit des deuxièmes, leur permettant ainsi de trouver leur juste place.

L’hydrologie régénérative sert à un maximum d’organismes et de plantes, c’est pour cette raison que l’eau doit être conservée dans le cycle, faire en sorte que ce dernier soit plus local afin d’éviter que l’eau ne s’évapore, aille se condenser plus loin ou retourne directement à la mer par la rivière.

Avec ces systèmes agroforestiers, avec cet humus dans le sol, il a été démontré que l’on arrivait à en préserver de plus en plus. Les Alvéoles commence à voir certains impacts chez eux mais comme le dit Antoine « pour avoir des impacts plus grands, il faudrait passer à l’échelle du bassin versant.”

Un projet au rayonnement local

Les Alvéoles est située dans la petite vallée de la Sye dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Au cours de cette année, de gros orages se sont déchaînés en mai/juin. L’équipe des Alvéoles a été récompensée de ses efforts en voyant leurs structures se gorger d’eau. A l’inverse, les champs d’à-côté ont été ravinés par l’eau sans aucune pitié à tel point qu’ils ont retrouvé de la terre sur les routes et une Drôme à la teinte marron.

Ainsi, les Alvéoles est le fruit d’un ouvrage collectif par le biais de leurs chantiers participatifs ou de leurs compagnonnages (volontaires qui restent par tranche de trois mois) auquel chacun apporte sa pierre à l’édifice. De plus, ils étendent leur réflexion et boîte à outils au-delà de leur campus pour agir à l’échelle de ce bassin versant et plus.

« Raisonner avec les agriculteurs, les communautés de communes, les collectivités pour pouvoir avoir une réflexion globale à savoir comment est-ce qu’on gère ce commun ensemble. Ce qu’on a vu, c’est que ça pouvait se décliner sur des contextes très différents. 

On a mis en place un système intégré de gestion des eaux pluviales sur une école. Gestion intégrée, c’est quand il n’y a pas d’eau qui ressort directement du système par des égouts ou par des canaux. La plupart des bâtiments sont directement reliés au réseau de l’évacuation des eaux de pluie pour les renvoyer le plus rapidement possible à la rivière. On se rend compte que ces principes-là peuvent être appliqués en ville autant qu’à la campagne sur une petite comme sur une grande échelle.»

Prendre soin de l’eau nécessite un sol en bonne santé, et pour ce faire il faut des plantes qui ont des racines permettant d’infiltrer l’eau dans le sol et de nourrir les micro-organismes autour. Il faut donc une bonne connaissance des associations possibles, de la ressource en eau et du brise-vent pour être le plus efficace possible.

Pour Antoine, la limite de l’eau douce a été dépassée principalement en raison du fait que nous avons pendant trop longtemps rejeté l’eau dans tous les sens. Comme par exemple le fait d’avoir drainé toutes les zones humides car elles représentaient un frein au passage des tracteurs et ce, sans jamais se poser la question de l’extinction de la biodiversité que cela engendrerait.

A travers ses mots, on ressent que quelque chose de contre-nature s’est inséré dans la gestion de ce cycle et c’est cela qui accélère le réchauffement climatique, la fonte des glaciers ou encore celle des stocks d’eau douce. Malheureusement, nous maîtrisons encore mal les conséquences de ces actes et nous n’en sommes qu’au début.

Qu’allons-nous laisser aux générations futures si ce n’est des cycles de plus en plus instables et imprévisibles qui rendront leur survie impossible ? Antoine termine cet entretien sur cette touche d’espoir :

« L’eau, c’est la vie et cela peut créer beaucoup de tensions. Aujourd’hui on peut tous agir en façonnant des paysages régénératifs qui sont un peu plus adaptés et résilients. L’une des clés est tout simplement de remettre des arbres partout et ça, on peut tous le faire. Et là où l’on discute, on est à l’ombre des arbres et il fait plus frais, plus humide. Il y a plus de couvre-sol, plus de plantes. Il y a tout simplement plus de vie aux pieds des arbres. Il n’y a pas besoin d’être ingénieur pour le comprendre.”

Nous avons des moyens simples d’agir : les graines sont là ainsi que les boutures, les greffons et les systèmes pour garder l’eau là où elle tombe. Alors n’attendons pas que les ingénieurs s’en chargent et allons-y car nous sommes tous en capacité de le faire !

Pour aller plus loin : l’équipe des Alvéoles a décidé de lancer une formation sur les jardins de pluie du 11 au 15 septembre prochain. Elle sera mise en ligne au mois d’octobre.

Liza Tourman

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