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Malgré la répression, les activistes persistent : « J’aurais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire changer les choses »

On prend 2 mois de prison avec sursis pour s’être attachés à des poteaux. Ça met un peu en évidence qu’on est en train de taper fort sur des militants qui ont juste fait une action symbolique et arrêté 6 minutes un match de rugby gentiment. 

Le 5 novembre 2022, Erwan et Jean traversent la pelouse du stade toulousain en plein match, escaladent les poteaux de l’en-but et s’y accrochent avec des serflexs. Militants pour Dernière Rénovation, ils tentent alors d’alerter sur l’urgence climatique. Le match est interrompu 6 minutes. Jugés le 10 mai 2023, les jeunes gens se retrouvent condamnés à deux mois de prison avec sursis, à un versement de 7 188 euros au Stade Toulousain et à une interdiction d’enceintes sportives pendant deux ans. Alors que la question du militantisme, avec la lutte contre l’A69, s’avère brûlante d’actualité, tous deux s’expliquent sur leur engagement.

L’engagement dans la désobéissance civile

Ingénieur de formation, Jean, 29 ans, travaillait auparavant dans l’éolien, au sein d’une petite coopérative à Toulouse. Il était également engagé dans l’association Picojoule, qui produit du biogaz. Il se consacre à présent majoritairement à la danse et à l’activisme.

Erwan a 27 ans. Arrivé à Toulouse pour écrire une thèse de physique des plasma, il a arrêté celle-ci pour se lancer dans le militantisme.

LR&LP : Comment êtes-vous arrivés dans le militantisme ? 

J : Je suis arrivé dans le militantisme d’abord par des petits groupes au niveau de ma formation. À l’université, c’était pour porter de nouvelles pratiques, questionner notre avenir en tant qu’ingénieurs. 

J’étais dans un cursus « énergie », où j’ai commencé à me rendre compte que c’était complexe de gérer ces thématiques-là, et qu’à priori on ne va pas dans le sens d’une décroissance de la consommation, ni dans le sens de la réduction des émissions de Co2.

Quand je suis entré en stage j’ai rencontré des gens, ça m’a changé par rapport à mes réseaux habituels. Je fais beaucoup de sport, et entre ingénieurs et sportifs on n’est pas très engagés. Dans le monde pro où j’étais, les gens étaient plus militants. J’ai rencontré des gens qui allaient sur des actions, qui faisaient de la désobéissance civile… j’ai commencé comme ça.

E : Moi j’ai commencé par hasard. J’étais déjà dans une phase où j’avais vraiment envie de m’engager plus. Plus que trier ses déchets, couper l’eau et les petits gestes du quotidien que tout le monde fait un peu machinalement.

Parce que j’avais un vrai sentiment d’impuissance, et je voyais que c’était pas ça qui allait changer le monde. J’avais un besoin d’engagement où je pourrais mesurer mon impact, qu’il soit plus grand que ma petite échelle.

Et pile à ce moment-là j’ai fait une rencontre. Quelqu’un qui faisait partie d’Alternatiba, qui m’a dit : si t’es intéressé par ça, il y a une réunion la semaine prochaine. J’y suis allé et j’ai commencé à militer.

LR&LP : Comment avez-vous rejoint Dernière Rénovation

E : À Toulouse, tous les collectifs se connaissent. Alternatiba, ANV-COP21, Extinction Rebellion… Cela faisait plusieurs mois que je militais avec ANV-COP21. Donc quand DR a commencé à Toulouse, qu’ils ont voulu faire des actions, ils sont venus me contacter directement. Sauf qu’il y avait besoin de 2 personnes un peu sportives. Et c’est là que j’ai appelé Jean.

Erwan et Jean interrompent un match de rugby à Toulouse, le 5 novembre 2022 – Capture d’écran Canal+

LR&LP : Comment sait-on si une action a réussi ? 

E : C’est très difficile de mesurer l’impact qu’on a avec une action. Peu importe l’action. Sauf cas particuliers, comme sur Terra 2 où on a empêché la construction d’un entrepôt Amazon, ou sur Notre Dame des Landes où on a empêché un aéroport.

Là il y a de vraies victoires, mais c’est très rare, et ça a pris des années d’avoir cet impact là. Et pendant ces années, plein d’actions ont eu lieu. Donc pour une action prise individuellement, il est très difficile de mesurer l’impact.

Ce qui est sûr, et moi ce qui motive à continuer, c’est que je sais que si on ne fait rien, l’impact…il n’y en aura pas. Si on fait une action ensemble, il y aura un impact. Peu importe si je peux le mesurer ou pas, il va se passer quelque chose. 

Même si l’impact est minime, cela participe à la bataille culturelle. Il y a de plus en plus de gens qui se mobilisent, et cela véhicule un imaginaire, qui au-delà de l’action est important pour éveiller les consciences.

En l’occurrence cette action-là, je la mesure personnellement, parce qu’il y a des gens que je rencontre, que je n’ai jamais vus, qui m’arrêtent dans des gares en me disant : ah je te connais, je t’ai vu ! C’est là où je mesure l’impact. Cela a été très médiatisé parce que c’était un peu spectaculaire, donc beaucoup beaucoup de monde l’a vu.

Après voilà : le gouvernement n’a toujours pas donné des milliards pour la rénovation thermique des bâtiments. Donc là-dessus, si on regarde aujourd’hui, c’est un échec. Mais dans quelques années, s’il s’avère que ça se fait, notre action aura participé au bras de fer pour que cette décision soit mise en place.

J : Exactement, ça touche du monde. Si je regarde autour de nous, je sais que dans cet engagement-là, au plus proche de moi j’ai des potes qui ont pris conscience que « OK, Jean il en est là, à se mettre en danger… ». Il y a une sorte de démesure qui leur apparaît. On met toute cette énergie, on prend des risques comme ceux-là, pour un truc qui pour eux était peut-être un peu vaporeux.

En fait ça les touche, me connaissant, que j’en sois arrivé là. Et si c’est juste pour toucher les 12 potes qu’on a autour de nous, ça vaut peut être pas le coup de prendre des procès. Mais je ne les ai pas touchés au même endroit dans mes 5 dernières années de militantisme.

Nous, sur notre action, en effet on passe en prime, plein de gens nous voient, on parle sur les réseaux, il y a des articles, 150 personnes viennent à notre procès… Il y a tout un truc qui fait que c’est réussi. Plein de militants nous disent : « c’était trop bien de vous voir ». C’est une action qui a fonctionné, qui a donné de l’énergie, qui a ce symbole, et encore plus maintenant que la répression se voit.

On prend 2 mois de prison avec sursis pour s’être attachés à des poteaux. Ça met un peu en évidence qu’on est en train de taper fort sur des militants qui ont juste fait une action symbolique et arrêté 6 minutes un match de rugby gentiment. 

Capture d’écran Canal+

E : L’action n’est même pas finie en soi. On va aller en appel, et si on est relaxés, ou pas, après il y a la Cassation et la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Si dans une de ces instances, on est relaxés pour notre action, cela permettra aussi, grâce à cette action, en plus de faire parler de la rénovation thermique des bâtiments, de faire jurisprudence pour les futurs militants qui pourront s’engager.

Et cela permettra d’ouvrir une porte et de dire : oui, cette action a été jugée comme légitime donc vous ne pourrez plus réprimer et criminaliser des personnes qui font ça pour défendre le Vivant contre l’urgence climatique. 

J : Et un jour on n’enverra plus les militants en procès pour des petites actions de blocage symboliques. Ils ne sont pas obligés de nous envoyer en procès en fait, les procureurs. Ils ont quand même leur responsabilité dans le fait qu’on soit en procès et qu’on prenne de l’espace dans les médias, partout.

Erwan & Jean – Capture d’écran L. Hervé pour La Dépêche

La criminalisation des militants écolos

LR&LP : On entend parfois des critiques vis-à-vis de la stratégie de Dernière Rénovation, qui serait discutable parce qu’elle forme des militants à usage unique, qui sortent épuisés des actions. Qu’en pensez-vous ?

J : Moi je me sens assez renouvelable. Je comprends le niveau d’énergie qu’il faut pour traverser tout ça [une action et le processus judiciaire qui s’ensuit]. Avec le recul, cela fait partie de la répression, user tout le monde. Les 48H de garde à vue, déferrement, procès, contrôle judiciaire démesuré…

Mais d’un autre côté, sur de la désobéissance civile de cette nature, il n’y a pas d’autres moyens de le contourner. Et on va trouver de l’énergie pour défendre ce qu’on a envie de défendre. En l’occurrence un monde plus enthousiasmant que ce qui nous est donné en perspective actuellement. Donc je ne me sens pas trop à usage unique, même si j’admets qu’on dépense de l’énergie pour se maintenir là-dedans.

E : Cela dépend tellement des gens… Nous on savait ce qu’on risquait. On savait qu’on irait en procès, on était prêts pour ça. Même si t’es jamais prêt tant que tu l’as pas vécu, parce que tu ne peux pas imaginer. Mais on savait ce que ça engageait.

Nous, on continue à militer aujourd’hui. Si je me suis senti prêt à faire ça, c’est parce que j’avais assez d’expérience pour m’engager autant. Et je savais que j’étais pas tout seul là-dedans parce que j’avais une communauté, un entourage qui allait me soutenir. Que je n’étais pas tout seul.

Au procès la salle d’audience était pleine, pleine à craquer, de tous nos amis militants, nos familles. Il y avait des gens assis par terre tellement c’était blindé. Pour moi, ce n’était même pas notre procès à tous les deux, c’était notre procès à tous et toutes. 

Sortie du procès – Capture d’écran L. Hervé pour La Dépêche

LR&LP : Quelle émotion vous met en mouvement ? 

E : La colère, qui est induite par l’injustice. L’injustice, ça me hérisse les poils rien que d’y penser. Comment on peut se permettre d’envoyer l’humanité dans le mur avec des souffrances, des morts, des maladies, des catastrophes, des déplacements… Juste pour du profit ? Pour du fric ? Pour faire une autoroute ? Pour faire des milliards sur l’exploitation d’énergies fossiles ?

Et en plus les personnes qui bénéficient le plus de cette exploitation sont les personnes qui subiront le moins l’impact de leurs agissements. Et les personnes qui sont les plus pauvres, les plus précaires, qui ont le moins détruit, le moins extrait, ce sont ces personnes-là qui vont prendre le plus cher, qui vont mourir, qui vont être obligées de se déplacer parce qu’elles n’auront plus d’eau, qu’elles ne pourront plus faire pousser de nourriture. Il fera tellement chaud qu’elles seront obligées de se déplacer, parce que juste tu ne peux pas survivre quand il fait trop chaud.

LR&LP : Comment réagissez-vous par rapport au terme d’« écoterroriste » ? 

E : J’ai même pas envie de répondre, cela a été démonté tellement de fois, ce terme. Mais ça m’énerve, vraiment. En fait, derrière le mot « terroriste » il y a la « terreur ». Et je trouve ça tellement insultant pour nous… En plus, on est un pays où on a connu le terrorisme, où il y a eu des centaines de morts. Personnellement je suis encore touché par ça quand j’y repense.

Donc qu’on mette sur le même niveau ce genre d’actes avec nous, ce qu’on peut faire, en tant que citoyens non-violents, qui font ça pour défendre le Vivant, pour défendre la Vie. Et on fait ça pour le bien, pour nos proches, nos amis, nos familles, pour les autres. Ça ne veut pas dire que nous, on sait mieux que tout le monde.

On n’a pas choisi de devenir criminels. On nous traite de criminels. Alors que pourtant c’est le gouvernement qui est criminel, qui a été condamné plusieurs fois pour inaction climatique

Et il n’y a aucun papier scientifique qui dit “oui oui, les djihadistes ont raison de faire leur truc”. Alors que les activistes pour le climat, oui. C’est unanime, la lutte contre l’urgence climatique et la destruction du Vivant.

Il n’y a même pas de débat. C’est juste un mot instrumentalisé pour faire peur et pour nous décrédibiliser. C’est tellement insultant aussi pour les victimes du terrorisme. Et c’est un mot tellement outrancier que cela montre aussi dans quels retranchements on arrive à mettre le gouvernement. S’ils en arrivent à de telles extrémités pour se défendre et pour nous décrédibiliser, pour moi c’est une preuve qu’on est dans le vrai à 200%.

Capture d’écran Canal+

LR&LP : Comment est-ce qu’on a l’espoir que ce gouvernement mette en place des mesures efficaces ? 

E : Pour moi c’est sûr que si je n’agis pas, il n’y a pas d’espoir. Donc ce n’est pas une question de dernier recours, parce qu’il n’y aura jamais de dernier recours.

C’est “plus on agit, plus on réussira à limiter le mur qu’on va se prendre”. L’espoir que j’ai, c’est quand je vois ce qu’on est capables de faire ensemble, en collectif. Parce que tout seul, je ne suis capable de rien. 

J’aurais été capable de monter sur un poteau, mais en fait je ne l’aurais pas fait parce que je n’aurais pas été capable de subir tout ce qu’on a subi après. Si j’ai pu y faire face c’est parce qu’on était ensemble. Donc c’est sûr que si on arrête, il n’y a plus d’espoir.

On ne sait pas en fait. Si on se terre dans le « oui mais cela changera jamais » et qu’on ne fait rien, c’est sûr que cela changera jamais. Donc peut-être que cela changera quelque chose. Peut-être pas. Mais dans le doute, je vais le faire.

Et je pourrais dire que même si on tape dans le mur, j’aurais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire changer les choses. 

J : Peut-être qu’on avance avec moins mauvaise conscience. D’un point de vue très égoïste, de comment ça se passe personnellement. Il y a tout l’altruisme et tout ce qu’on peut mettre en avant, “je me mets en danger pour du bien commun qui me dépasse”.

Pour autant il reste que sentir que j’ai fait de mon mieux, ça passe aussi par là. On fait ça aussi pour nous, pour avancer et nous sentir bien dans nos bottes quand on va vers un truc, on sait pas trop ce que c’est, et qu’on a envie de garder espoir.

Marine Wolf

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