De suicides en faillites ou plus prosaïquement de départs à la retraite, le métier d’agriculteur est en voie de disparition en France. Pierrick Berthou, paysan à la ferme de Poulfang, à Quimperlé, dans le Finistère, analyse les raisons de cette catastrophe dans cette tribune. Nous relayons ici son cri du cœur pour prendre soin des irréductibles paysan.ne.s français.es.
L’inquiétante disparition des paysans
Arnaud Rousseau, alors fraîchement élu président de la FNSEA, déclarait en avril dernier sur BFM TV, que « dans 10 ans, les trois quarts des agriculteurs seront non issus du monde agricole ». Aucune réaction des journalistes présents ! Nonobstant, derrière cette affirmation certes bucolique d’un retour à la terre – sympathique ouverture du monde agricole – et le grand sourire de M. Rousseau, on devrait se poser des questions.
Pourquoi les paysans ne veulent-ils pas que leurs enfants reprennent la ferme ? Pourquoi les enfants de paysans ne veulent pas et ou ne peuvent pas reprendre la ferme familiale ? Et, pourquoi, là où les paysans et leurs enfants échouent, oui, pourquoi les néoruraux, eux, réussiraient-ils ? Quelle agriculture voulons-nous ? Et par déclinaison, quelle alimentation M. Rousseau nous prépare-t-il ?
C’est, en quelque sorte, cette question qui est la plus importante car elle déterminera tout ! Au-delà de ces questions, et de la démographie agricole, un constat s’impose : il n’y aura pas de transmission. Pas de transmission du savoir (il faut du temps pour former un paysan), et pas de transmission des fermes…
La mise en place de l’industrialisation de l’Agriculture – au sortir de la guerre – s’est faite sur un axiome faux : le pays a faim. Dans son excellent livre Silence dans les champs, Nicolas Legendre nous rappelle que le dernier ticket de rationnement en France date de 1949. C’est dire à quel point les paysans ont relevé le défi dès leur retour des champs de bataille.
Il faut quand même noter, et c’est essentiel, que si les paysans ont pu réaliser cet « exploit » en moins de quatre ans, c’est grâce aux femmes, donc aux paysannes, et aussi aux vieux paysans qui ont porté à bout de bras la nation pendant toute la durée de la guerre et au-delà. Car, sans elles, rien n’eût été possible…
Le tournant des années 1970
Et comment ces paysannes et paysans ont-ils été remerciés ? Au cours des années 70, le fer de lance de l’élevage industriel porcin en Bretagne Alexis Gourvennec, qui encensait l’industrialisation de l’agriculture, n’hésitait pas à dire publiquement qu’il fallait dégager d’un revers de main tous ces minables, tous ces boulets, tous ces canards boiteux, le tout en accompagnant le geste à la parole ! Quel mépris ! Il fallait oser !… Il a osé !
Dès lors, une véritable guerre contre les paysans fut menée, une guerre sans pitié, sans relâche ! 31 000 fermes laitières dans le Finistère en 1970, nous approchons de 1 500 aujourd’hui, et elles sont encore trop nombreuses nous dit-on.
Tout a été fait pour éradiquer les paysans : faibles prix, IVD (indemnités viagères de départ), contraintes environnementales et administratives, l’orientation de la PAC (Politique Agricole Commune). Même les retraites agricoles sont un levier important du découragement.
En effet, il faut bien admettre que lorsque vous avez trimé très dur toute une vie durant pour un revenu plus que modeste et que l’on vous met en perspective une retraite minable, indécente, proche du minimum vital, on n’encourage pas la reprise de la ferme familiale par les enfants. Donc, vous vendez au plus offrant, afin d’améliorer votre retraite et c’est ainsi que même les retraites agricoles participent à l’agrandissement des fermes, de fait à l’industrialisation de l’Agriculture.
En 1972, les paysans du Finistère et du Morbihan se mirent en « grève » pour un problème de prix payé aux producteurs par les industriels. Déjà ! Au bout d’un long conflit de plusieurs semaines, les industriels « lâchèrent » un peu sur les prix, les paysans rentrèrent sur leurs fermes et se remirent au travail sagement…
Personne, absolument personne, ni les politiques, ni les syndicalistes, ni les économistes, ni les journalistes, ni les intellectuels, PERSONNE, n’intervint pour aider les paysans à réfléchir. Car ce n’est pas une toute petite hausse des prix qu’il fallait négocier, c’était la relation entre les paysans et les industriels qu’il fallait mettre sur la table. Rien ne fut fait, le démembrement de la paysannerie pouvait reprendre son cours.
Nous ne jetterons pas la pierre aux paysans de l’époque car en 2009, lors de la « grève du lait », nous n’avons pas fait autre chose qu’accepter, au final, une petite hausse du prix du lait et nous sommes rentrés dans nos fermes bien sagement, reprenant le travail.
Cependant, les industriels, en 2009, eux, ont réfléchi à leurs relations avec les agriculteurs. De là est née la LMA 2010 (loi de modernisation agricole), qui enchaîna définitivement les paysans aux industriels. Feu Alexis Gourvennec ne pourrait rêver mieux, lui qui disait (dans les années 70) que l’Agriculture était l’alliée née des industriels. Il fallait comprendre que l’Agriculture sera aliénée à l’industrie, dont acte !
La fin de l’agriculture ?
Au tout début des années 90, Michel Blanc, membre éminent de la FNSEA déclarait à Quimper, à la chambre d’Agriculture, que demain celle-ci ne serait plus nourricière mais productrice de molécules.
En fait, il nous parlait, sans le nommer, du cracking alimentaire qui consiste à extraire des molécules des céréales, du lait etc. afin d’approvisionner les industries dans le but de créer de nouveaux produits (colles, médicaments et différents adjuvants qui font notre quotidien).
Il est tellement plus rentable de vendre de l’amidon extrait des céréales pour en faire des balles de ping-pong, que de vendre de la farine pour en faire du pain. Le but des industriels, qui ont pour actionnaires des financiers voraces, n’est pas de nous nourrir, mais d’émarger le plus possible. Demain, l’agriculture deviendra d’abord productrice de minerai, de matière première, et d’énergie, pas forcément de nourriture.
Mais l’autonomie alimentaire me direz-vous ? Ce n’est qu’une chimère que l’on nous serine inlassablement, c’est de la communication positive et rassurante, mais, surtout, c’est une belle hypocrisie. Déjà aujourd’hui, 50 % de notre alimentation provient de l’importation. Finalement, notre nourriture sera le sous-produit de l’industrie agroalimentaire. Pour le reste, le libre-échange compensera, il a été inventé pour cela…
Les nouvelles technologies prennent de plus en plus de place dans les fermes. Algorithmes, ordinateurs, capteurs, smartphones, logiciels, applications, robotiques, intelligences artificielles, drones, sont et seront omniprésents. Vous savez ces outils d’aide à la prise de décisions qui rapidement deviendront des outils preneurs de décisions.
Or, ces technologies ont un coût exorbitant, les agriculteurs ne pourront pas financer ces outils par le fruit de leurs productions. Alors, M. Olivier Chaillou, président de la coopérative TERRANA, a proposé un plan d’accompagnement. Ce plan propose une prise de participation dans le capital des fermes par la coopérative. Il n’échappera à personne que les dirigeants de la coopérative préfèrent entrer au capital des exploitations, car les moyens financiers sont réels, plutôt que de mieux rémunérer ses propres adhérents.
Il faut être bien conscient que l’exploitation appartiendra, au moins pour une partie, à la coopérative. C’est le monde à l’envers ! Accepter ce genre de plan, et M. Chaillou n’est pas le seul à promouvoir cette stratégie, c’est faire un grand pas vers l’absorption des fermes par les agro-industriels (de fait par la finance). Ajoutez à cela l’utilisation des OGM et le brevetage du vivant, et là, vous n’aurez plus de paysans, ni même d’agriculteurs, vous aurez des exécutants agricoles au service des agro-industriels.
Indéniablement, un pan entier de notre vie va disparaître : la paysannerie (histoire, façon de produire notre alimentation, savoir faire, culturel, paysages, relation à la vie etc.). C’est un cataclysme unique dans l’Histoire de l’Humanité qui se profile, qui nous est dicté.
Croire que l’on va stopper l’agriculture industrielle est un mirage. Et, ce n’est pas la multiplication des projets d’installations « alternatifs » et leurs multiplicités qui arrêteront ce mouvement. Certes, beaucoup de néoruraux s’installent ou veulent s’installer en agriculture, certains avec succès, mais le défi est immense et ils sont nombreux à renoncer assez rapidement.
On ne s’improvise pas paysan ! Les paysans vont disparaître car les industriels et la finance n’en veulent plus, d’ailleurs, ils ne prononcent jamais ce mot ! »
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