Un corridor écologique, c’est avant tout une continuité, une organisation des espaces entre humains et non-humains qui autorise la circulation, sans obstacle d’un milieu à l’autre. Les jardiniers en sont des acteurs.
Lever les obstacles
Un obstacle n’est pas universel. Ainsi la terre comme l’écluse sont des obstacles pour un poisson quand un fleuve en est un pour un chevreuil. L’urbanisation génère une multitude d’obstacles pour les non-humains : routes, bâtiments, barrières en tout genre, béton, goudron… pour les habitants du sol et des sous-sols.
Et pour les contourner, en diminuer l’impact, chacun peut prendre part aux continuités écologiques. Les jardiniers (urbains et ruraux) ont un rôle à tenir dans la vitalité des corridors de biodiversité. On estime qu’il y aurait 17 millions de jardiniers (hors jardins publics) en France. Ils plantent sur 1 million d’hectares en zones urbaines comme rurales.
Bien entendu, au regard des 55 millions d’hectares de la Métropole et des 28 millions d’hectares de terres agricoles, leur influence est modeste, d’autant plus utile.
Intuitivement, on se doute qu’un jardin peut faire un lien de continuité mais un bac à fleurs sur une fenêtre aussi… si vous pensez aux pollinisateurs par exemple, car un corridor écologique ne se conçoit pas seulement au sol.
Du rôle des jardiniers
Le jardin du particulier est ce cocon dans lequel on se love, on s’abrite, un endroit très privé. C’est aussi le lieu de l’illusion de la toute-puissance propriétaire… qui se heurte à la nature. Là se jouent toutes nos projections esthétiques, nourries de nos représentations du plein, du vide, du beau, du laid, du propre et du négligé. Là encore, se joue ce que nous donnons à voir, aux voisins ou aux amis, œil critique par-dessus la haie comme invité sous le parasol.
Plus ou moins clos, le jardin nous protège ou se montre, nous montre.
Enfin, le jardin – on n’y pense pas assez – est un milieu de vie et de passage de la faune, des pollinisateurs et des semences qui nous semble à notre échelle. Qu’on y pense ou pas, chaque jardinier a un rôle local, national et planétaire, et est acteur des corridors de biodiversité, et peut-être est-ce que ça va mieux si on le sait !
Liens au jardin
Les jardiniers contribuent ou non au maintien et au développement de ces liens aériens, terrestres, aquatiques mais aussi souterrains. Pour cela, il faut penser le jardin et ces liens de façon à la fois générale et particulière.
Générale, parce que tous les éléments du vivant sont en interaction et que l’équilibre des écosystèmes repose sur le bon fonctionnement de l’ensemble.
Particulière parce que ces continuités sont à des échelles très variables : celle des micro-organismes, de toute la vie souterraine du sol ; celle de la couche herbacée qui grouille d’une vie faite d’insectes rampants, parfois installés momentanément dans le sol comme certaines abeilles solitaires ou dans le bois mort comme les abeilles charpentières ; celle de la couche arbustive, des haies qui abritent des oiseaux, des insectes et des hérissons ; et enfin l’échelle des grands arbres et des gros oiseaux.
Corridor écologique ?
Dans le cadre de l’effondrement de la biodiversité et du bouleversement climatique, tout ce qui concourt à permettre au vivant de s’implanter et de se développer, est fondamental. Et si on comprend facilement qu’il faut protéger les hérissons des voitures, à l’importance de ponts pour les écureuils, on pense moins au rôle des oiseaux migrateurs qui viennent enrichir nos contrées des graines qu’ils picorent ici pour les déféquer ailleurs.
Chaque mouvement participe ainsi à la biodiversité des espèces mais aussi à la diversité génétique inter-espèce. Or cette diversité génétique est une condition de leur résistance et de leur adaptabilité dans le temps. La consanguinité, qu’elle concerne les humains ou les non-humains, n’est pas une pureté mais un affaiblissement de l’espèce à terme et donc une contribution à l’effondrement.
Les jardiniers peuvent y contribuer en ne retournant pas leur sol, en plantant des espèces locales et diverses, en renonçant à tondre pour laisser les fleurs et les herbes accueillir la petite faune. Ils peuvent conserver leurs arbres morts, laisser des tas de bois dans les coins. Si le jardin n’est pas naturellement arboré, les nichoirs et mangeoires ont toute leur place. Si le jardin ne comprend pas de mare, bains d’oiseaux et abreuvoirs sont bienvenus.
L’écotone, le lien entre écosystèmes
L’écotone est cet espace de transition douce que le jardinier devrait s’astreindre à installer pour que la biodiversité s’installe. Pour le Larousse, c’est la zone de transition et de contact entre deux écosystèmes voisins, telle que la lisière d’une forêt, une roselière, etc. Les écotones ont une faune et une flore plus riches que chacun des deux écosystèmes qu’ils séparent, et ils repeuplent parfois ceux-ci.
Pour exemple, l’écotone, ce sont ces 50 cm à 1 mètre le long d’une haie ou d’un ruisseau (la ripisylve est un écotone), qui possède cette double richesse des écosystèmes qui le bordent et est le point de passage. L’écotone devrait guider la réflexion des jardiniers tant dans le choix des plantes que sur l’éducation de notre œil à une ambiance moins rectiligne.
Car l’hygiène d’un écosystème n’est pas la même chose que la propreté à l’œil, telle qu’on l’a enseignée pendant des décennies. L’hygiène est ce qui permet le bon fonctionnement quand la propreté est une valeur culturelle mouvante.
L’hygiène d’un écosystème, ce sont des haies riches en variété, les moins taillées possible et surtout pas au printemps, avec de l’herbe en dessous. Ce sont des arbres morts, un peu, des cailloux, un peu, de l’eau si possible, des sols couverts en général.