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A Alès, 200 jardins potagers ont sauvé des habitants de la désindustrialisation

« Dans le social par exemple, l’une des fonctions du jardin est l’image de soi. Un jardinier qui s’appelle Baba, d’origine algérienne et au chômage car licencié, passait ses journées au bistrot. Aujourd’hui, il vend des pieds de menthe à sa communauté Algérienne. D’une personne marginalisée, il est devenu une personne ressource. »

Après la fermeture du dernier puits de charbon à Alès, dans les années 1980, la précarité a explosé. Les habitants ont alors décidé de retourner à la terre et créé plus de 200 jardins potagers dans toute la ville, dont certains font plus de 800m2. Ils leur ont permis d’accéder à la souveraineté alimentaire tout en les sortant de la pauvreté.

Alès, symbole du chaos de la désindustrialisation

Marquée par la période industrielle, Alès s’est érigée, après avoir été pendant longtemps une zone d’échanges agricoles, en bassin charbonnier dont elle a tiré son économie de 1870 jusque dans les années 1980.

« A ce moment-là, des politiques publiques nationales encouragent vivement les territoires à se spécialiser, en partant de l’hypothèse que chacun des territoires va pouvoir tirer son épingle du jeu sur la scène nationale sans faire concurrence à son voisin. Cela a marché pendant quelques temps, jusqu’au jour où des filières n’ont plus du tout été compétitives. Et c’est toute l’économie d’une ville qui s’est écroulée » raconte Damien Deville pour La Relève et La Peste

Après la fermeture du dernier puits, la précarité a explosé. Les victimes de ce chaos ont alors tenté de se débrouiller par elles-mêmes via des stratégies d’adaptation dont celle de retourner à la terre et créer des jardins potagers.

« Ces jardins n’ont rien à voir avec ce qu’on a l’habitude de voir dans les grandes métropoles. Ce sont des espaces qui peuvent aller jusqu’à 800m2 par personne où la production est importante puisqu’elle est un outil de lutte contre la pauvreté. Leur récolte est si importante que les jardins sont fortifiés, cadenassés, grillagés au point qu’ils sont souvent invisibles de l’espace public, d’où le terme que j’ai donné de « jardins forteresses ». Mais qui dit Forteresse, dit rempart, monde par-delà le mur. » précise Damien Deville, géographe, pour La Relève et La Peste

Aujourd’hui, on trouve entre la ville et ses proches communes 200 jardins qui se déclinent en trois types de foncier : la parcelle privée souvent louée par les propriétaires parce qu’inondable. Celle associative, souvent issue des jardins familiaux de l’association l’Abbé Lemire, et celle de la mairie. Damien s’est intéressé à la première catégorie car « soumise aux contrats locatifs où les jardiniers ont usufruit complet de leur jardin, ils ne sont sous l’égide d’aucune réglementation associative ou municipale ».

Ces jardins potagers sont une manière de faire urbanité. C’est-à-dire, entre autre, de pallier à la précarité sociale et économique mais aussi afin d’autonomiser les citoyens en terme de souveraineté alimentaire.

De la précarité économique à l’autonomie alimentaire

« Urbanisme subalterne » est une école de pensée qui vient à la fois de la sociologie, notamment des études féministes en Inde, d’une autrice qui s’appelle Gayatri Chakravorty Spivak et qui a été repris par les géographes travaillant sur l’urbain. Elle fait référence à des catégories de population qui ont été privées de voix, au point que leur propre histoire a été écrite par d’autres. Pour Damien, ces populations oubliées sont pourtant le maillage de notre histoire commune, celle qui redessine la richesse culturelle et historique de notre pays mais aussi celle qui permet de comprendre nos enjeux contemporains.

Augustin Berque a dit que « l’être se créait en créant son milieu ». Cette phrase prend sens à Alès car les personnes qui retournent à la terre le font pour des raisons économiques. Cependant, dans la relation qui se crée avec la terre, c’est toute une série de nouvelles motivations qui voient le jour.

« Dans le social par exemple, l’une des fonctions du jardin est l’image de soi. Un jardinier qui s’appelle Baba, d’origine algérienne et au chômage car licencié, passait ses journées au bistrot. Aujourd’hui, il vend des pieds de menthe à sa communauté Algérienne. D’une personne marginalisée, il est devenu une personne ressource. » illustre l’expert en géographie culturelle pour La Relève et La Peste

En métamorphosant leur jardin, ce sont eux qu’ils transforment « et par extension la manière dont ils s’approprient la ville ». Pour Damien, il y a dans le théâtre des jardins un message citoyen qui dit que « par les lieux, on peut apprendre ensemble à faire face aux enjeux contemporains et réconcilier des gens qui n’ont pas trop l’habitude de se parler autour d’un horizon partagé ».

Les jardins : la diversité comme source de résilience

Nous vivons dans un monde où nous avons perdu le goût de l’autre et par extension celui de nos territoires. Ce qui selon Damien expliquerait en grande partie les remparts de la précarité qu’affrontent notre monde contemporain.

« La mission de la géographie devrait être de repeupler nos cartes, nos paysages, nos territoires. Apprendre à regarder ce que l’on n’arrive plus à voir pour pouvoir mieux aimer ce qui nous entoure et en prendre soin. J’aime beaucoup cette phrase qui dit qu’au fond on ne protège que ce que l’on aime, on aime que ce qu’on connaît et on ne connaît que ce qui nous a été préalablement enseigné. La géographie sert ce but : enseigner la diversité, retracer la vie des individus pour la mettre au cœur des modèles de développement. » développe Damien Deville pour La Relève et La Peste

Pour Damien Deville, lorsque l’on décide de s’installer sur un territoire, il y a deux indicateurs majeurs : l’emploi à forte valeur ajoutée comme le cadre supérieur et celui de notre sociabilité choisie en se rapprochant de notre territoire d’enfance, de nos parents et ou encore de nos enfants. Toujours selon lui, il est essentiel que les gens se sentent bien pour qu’ils restent sur leur territoire et s’engagent pleinement en tant que citoyen.

« Cela demande de passer d’un paradigme d’ultra activité à celui du bien-être. Les jardiniers d’Alès auraient tellement à apporter au territoire si on savait les regarder autrement. Avec du foncier pour s’occuper d’un jardin, ils changent leur vie, un quartier, le paysage. Ils recréent des filières économiques et sociales au sens littéral du terme. Ils se réapproprient les montagnes autour d’Alès, alors que pendant l’époque minière la ville a tourné le dos aux montagnes. Par exemple, en allant chercher des aiguilles de pins pour amender leur jardin. Par extension, ils vont créer une clientèle pour les paysans qui sont là : ils réouvrent des opportunités et réconcilient les espaces. »

Penser le végétal dans nos vies et nos villes

« Il y a indéniablement une prise de conscience sur le fait qu’il faut végétaliser les villes à la fois comme outils de bien-être et à la fois outils de résilience face aux crises économiques, sociales mais aussi à la crise climatique. On dit qu’un arbre dans une ville équivaut à 5 climatiseurs, en créant un micro-climat propice au bien-être social. Dans la crise écologique, ce n’est pas nouveau mais il y a un lien très direct entre la mise en cultures des villes et les crises sociales et économiques au fur et à mesure de l’histoire. »

En prenant l’exemple d’Alès, Damien nous explique qu’il y a différentes visions dans les jardins mobilisés. D’abord ceux qui appartiennent au foncier privé, peuvent faire plus de 800m2, et qui sont très productifs puisqu’ils sont sources de revenus pour les jardiniers.

Et d’autres, développés par la mairie dans les quartiers « politiques » de la ville comme ceux comprenant des HLM. Ces jardins de 50m2 sont plus modestes et sont entretenus en partie par une salariée de la ville. Elle est chargée de surveiller l’entretien des jardins et d’entretenir les parcelles lorsque les jardiniers sont absents.

« Ce n’est pas contradictoire d’avoir des espèces végétalisées à destination de l’embellissement, et d’autres favorisant la lutte contre la précarité économique. Les deux ont la vertu de ramener de la biodiversité dans les territoires, mais cela demande d’en avoir une vision globale à travers les différentes politiques publiques »

Le géographe Damien Deville

Alexis de Tocqueville dans ses deux tomes sur la démocratie américaine a dit cette phrase très belle : dans les états trop centralisés, ce qui nous est proche nous devient étranger. Penser cette décentralisation est pour Damien Deville tout un enjeu où la commune et l’intercommunalité sont de très bons échelons d’actions.

« Ce que l’on observe, c’est que les communes sont démocratiques où on élit nos représentants, ce qui n’est pas le cas dans les intercommunalités. Tant et si bien que dans les conseils intercommunautaires, les maires qui y siègent sont eux-mêmes désarmés pour porter une vision globale du territoire à l’échelle de leur intercommunalité. Cette décentralisation doit se penser à tous les échelons (national à ultra local). Ce grand chapitre de la décentralisation n’empêche pas d’avoir un État. On peut avoir besoin d’un État qui évalue l’accent territorial pour essayer de voir notamment s’il va dans le bon sens, celui de la transition sociale et écologique. »

Un jardinier du nom de Michel qui avait installé un petit autel à insectes dans son jardin nous confie en regardant un lézard s’y dorer la pilule : « Un jardin sans lézard, c’est comme un jardin sans coccinelle, ce n’est pas un jardin ». Cette phrase est comme un fragment qui s’étire vers l’universel. La sagesse n’est parfois pas là où on la pense chez les plus érudits, mais chez celles et ceux qui s’interpénètrent avec leur milieu, leur territoire, à l’image des jardiniers d’Alès.

Pour aller plus loin : La thèse de Damien Deville intitulée « Jardiner la ville en crise, penser une écologie de la précarité à Alès ».

Liza Tourman

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