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La Vie Partout : « Nous devons tous redevenir des naturalistes en herbe pour protéger le Vivant »

"Je cherche à ce que tout le monde redevienne un naturaliste en herbe car j’ai l’impression que ce sont les enfants qui ont à la base naturellement l’envie de comprendre tout ce qu’il y a autour d’eux. Mais même adultes, cela nous enrichit à chaque fois qu’on sort dehors pour apprendre une nouvelle chose : il faut une vie entière pour apprendre les plantes rien que françaises, rien n’est monotone !"

« La vie partout » est un podcast et compte Instagram qui aident à comprendre comment fonctionnent les écosystèmes et mieux protéger le Vivant existant depuis trois ans. Son créateur Quentin Travaillé revient pour La Relève et La Peste sur la genèse du projet et ses plus beaux apprentissages.

LR&LP : Pouvez-vous vous présenter et expliquer ce qui vous a décidé à lancer le projet « La Vie Partout » ? 

Quentin Travaillé : Je m’appelle Quentin Travaillé et j’ai créé « La Vie Partout » y a 3 ans. C’est un projet que je mûrissais depuis pas mal d’années, 6/7 ans. Fasciné par le Vivant depuis tout petit, je faisais partie de ces enfants qui ramassent les cailloux, les pommes de pin et les escargots. Cette curiosité naturelle s’efface souvent avec le temps mais chez moi non, et j’ai eu envie de la partager.

Passionné par tout ce qui touche aux insectes et aux plantes depuis toujours, j’aimerais bien que ce soit le cas de tout le monde car je considère qu’on devrait mieux connaître l’environnement et les espèces avec lesquelles on vit que les marques et leurs logos.

En France, ce qui est encore plus curieux, c’est que les enfants et adultes sont capables de citer les noms des animaux de la savane ou de la forêt amazonienne, mais pas de nommer 10 espèces qui vivent dans nos prairies françaises alors que ce sont eux avec lesquels on vit au quotidien.

En 2019, les incendies en Australie m’ont fait comprendre que les européens pouvaient être très affectés par ce qui arrivent à des animaux très loin de nous, mais je n’ai pas senti la même émotion sur ce qui arrive à nos écosystèmes européens. Ce qui est loin est tellement mieux documenté que cela crée plus de connexions par rapport à ce qui nous entoure.

LR&LP : « La Vie Partout », c’est un compte Instagram sur lequel vous publiez des carrousels pédagogiques sur notre « aloe vera locale » ou « le champignon pour survivre en forêt », mais aussi un podcast grand public qui explique les principes de base du fonctionnement des écosystèmes. Comment choisissez-vous vos sujets ? quelles sont vos sources d’inspiration ?

Quentin Travaillé : En général, ce sont des sujets qui vont traiter du moment où l’on se situe dans l’année, des sujets saisonniers. L’idée, c’est de pouvoir se balader et pouvoir se dire qu’on va reconnaître la plante ou l’insecte qui va apparaître comme par magie dans l’écosystème car une fois qu’on a connu une espèce on la reconnaît plus facilement.

Les écosystèmes sont un peu une foule où l’on ne connaît personne, mais une fois qu’on a commencé à identifier les individus on est capables de les distinguer.

C’est aussi fortement inspiré de mes propres balades, de ce que je croise et je cherche et ce qui est intéressant à raconter dessus. Il y a toujours des choses intéressantes ! Les humains sont souvent intéressés par les bénéfices des plantes (médicinales, comestibles, utiles pour la biodiversité).

Je fouille aussi dans des vieux livres de botanique comme ceux de Pierre Lieutagi qui m’a appris que les plantes piquantes étaient utilisées avant dans les haies pour empêcher les animaux de traverser. Étudier les espèces nous connecte à notre écosystème mais aussi aux générations passées, car être en contact avec une espèce non humaine nous rapproche de nos ancêtres qui l’ont côtoyé avant et quelles étaient leurs relations. Nous avons donc une histoire avec cette espèce que la société industrielle essaie de faire en sorte que l’on oublie mais elle est millénaire, c’est un bien commun que je trouve important d’entretenir.

Visuel de l'épisode "qui mange les feuilles mortes" du compte Instagram La Vie Partout

LR&LP :  Depuis le lancement, quels sont les sujets qui ont suscité le plus de commentaires / de peurs / de réactions ? Je pense à la vidéo où vous tenez un frelon dans votre main et où l’on apprend que le frelon mâle européen ne pique pas, une découverte étonnante !

Quentin Travaillé : Ce sont les sujets sur les insectes, comme celui sur la Scutigère véloce, un myriapode prédateur des punaises de lit et de tout ce qui est dans la maison. L’ « attaque » des punaises de lit à Paris a été l’occasion de présenter cette espèce que tout le monde a déjà croisé mais dont personne ne sait à quoi il sert.

C’est souvent le cas. Il y a des animaux qu’on croise tout le temps comme les mantes religieuses qui font un petit sac d’œufs : tout le monde les a déjà vu sans savoir ce que c’était.

Aussi, les sujets qui vont parler des plantes elles-mêmes : les pâquerettes, les boules à gratter qui ont une grande histoire paysanne. Des sujets sociétaux liés aux paysages du pays comme la raison pour laquelle il y a des platanes le long des routes (une plante indigène à l’origine). C’est d’ailleurs intéressant car on voit l’ambition des hommes d’État à la façon dont ils traitent les forêts.

Colbert a a commencé à mettre en place un plan de gestion quand ils ont eu besoin de bois pour les bateaux de la marine. Eux, ils se disaient que dans 200 ans ils en auraient toujours besoin. Napoléon avait la vision de grands arbres et grandes routes couvertes pour avoir accès aux frontières du pays. Ils prévoyaient l’usage de la forêt pour les générations futures.

Avant la révolution industrielle, il y avait une vision de la France sur le temps long et nous on en bénéficie encore maintenant : ces chênes de 200 ans ont germé en 1800 ! Dès qu’on se met à penser en « âge d’arbre », c’est vertigineux car cela dépasse largement 3 à 4 générations humaines et c’est complètement l’inverse de notre société moderne industrielle qui veut aller de plus en plus vite.

La Vie Partout

La trichie fasciée de passage au jardin de Quentin Travaillé

LR&LP : Quel est votre rapport à l’évolution de la forêt ?

Quentin Travaillé : Si on a besoin de planter des arbres, c’est qu’il s’est passé une catastrophe. Une forêt se régénère d’elle-même car chaque arbre chaque année lâche des milliers de graines qui tombent dans le sol et vont pousser très très vite. C’est un milieu extrêmement concurrentiel où les arbres luttent et coopèrent pour atteindre la lumière, un phénomène assez fascinant qui nous fait sentir tout petit.

On peut aider la forêt à grandir : un copain bûcheron coupe des arbres de sorte à ce qu’ils tombent au bon endroit et d’éviter qu’ils n’écrasent les bébés arbres dans leur chute. Un véritable travail d’orfèvre alors qu’il fait tomber un gros arbre, c’est fou car cela veut dire qu’on peut jardine avec des géants.

Quand on va en forêt de nos jours, on se rend vite compte qu’il n’y a pas de très gros arbres à part les forêts de chêne qui sont des anciennes forêts royales ou les forêts protégées par la chasse à courre.

Mais en général, les arbres sont très jeunes. Dans mon podcast sur les forêts, j’avais regardé l’âge des arbres : ils peuvent vivre plusieurs centaines d’années voire mille ans pour un tilleul ou un chêne. Actuellement dans nos forêts, les arbres sont coupés très jeunes, dès qu’ils peuvent être utilisés.

Il y a même des arbres qu’on coupe à 50 ans comme les pins dans les forêts des landes. Si on le rapporte à notre vie humaine, c’est comme si on mourrait tous à 20 ans. Résultat, nos forêts sont très jeunes et n’ont pas l’expérience emmagasinée de vieux arbres qui ont vu passer plein de choses. Si nos arbres étaient tous très vieux, on subirait moins les ravages du dérèglement climatique.

Quentin Travaillé, alias La Vie Partout, dans son potager des Pyrénées

LR&LP : Regarder la nature à travers des écrans, n’est-ce pas tout le mal de nos sociétés modernes ?

Quentin Travaillé : Ce qui m’inquiète c’est de dire qu’ « on va en nature ». Pour moi c’est un problème car nous sommes la nature, mais on devient des consommateurs de la nature. Beaucoup de personnes voient le monde vivant comme un décor qu’ils ont envie de changer, et recherchent un dépaysement en quittant le pays. En France, on a beaucoup d’écosystèmes différents mais comme on a grandi dedans on a la sensation de les connaître mieux, ce qui est faux car on ne les voit pas et on les observe pas.

Cela fait trois générations que l’on a quitté la France paysanne pour entrer dans une France de services et de société de consommation qui nous éduque à un rapport avec le monde commercial, très centré sur les rapports entre humains. C’est pour cela qu’on se concentre dans les villes et les zones péri-urbaines, où les espèces principales que l’on croise sont les humains, les chats, et les pigeons.

Je cherche à ce que tout le monde redevienne un naturaliste en herbe car j’ai l’impression que ce sont les enfants qui ont à la base naturellement l’envie de comprendre tout ce qu’il y a autour d’eux. Mais même adultes, cela nous enrichit à chaque fois qu’on sort dehors pour apprendre une nouvelle chose : il faut une vie entière pour apprendre les plantes rien que françaises, rien n’est monotone !

Nous devons tous redevenir des naturalistes en herbe pour protéger le Vivant. Être capable de reconnaître ceux qui nous entourent, de les nommer, c’est d’autant plus important avec la sixième extinction de masse car il faut être capable de savoir ce que l’on perd. Comment peut-on savoir qu’on a perdu une espèce si on ne sait pas qu’elle existe ? Ou savoir qu’il faut protéger le dernier individu de son espèce avant qu’il ne soit trop tard ?

Un proverbe que j’aime beaucoup dit qu’un homme meurt deux fois : une fois quand il meurt vraiment, et l’autre quand on l’oublie. C’est un peu ce qu’il se passe avec la disparition des espèces : c’est silencieux, et encore plus invisible pour les insectes. Pendant très longtemps, on pouvait voir des lucarnes cerfs-volants voler partout et je pense que les nouvelles générations n’en verront pas. Et dans deux générations, tout le monde aura oublié les lucarnes cerf-volants.

Visuel de l'épisode "les oiseaux migrateurs" du compte Instagram La Vie Partout

LR&LP : Comment réensauvager le monde et enrayer le déclin des autres espèces ?

Quentin Travaillé : Actuellement, le pire qui nous arrive c’est la morosité. Se complaire dans une posture où tout va mal car le monde va disparaître et « s’effondrer ». Mais quand on s’occupe d’un potager, on s’aperçoit qu’il faut l’entretenir régulièrement pour ne pas se faire dépasser.

La vie, quand tu la laisses faire, elle se répand à toute vitesse. Et peut redevenir hyper riche en biodiversité : plus il y a d’insectes, plus il y a d’oiseaux, plus il y a d’arbres. Le but du projet « La Vie Partout », c’est montrer qu’il est possible de réensauvager les jardins en plantant des espèces locales, en laissant des haies avec des tas de bois dessous et des zones non tondues, en laissant la place aux autres. Si chaque jardin devenait un refuge pour la biodiversité, cela irait beaucoup mieux : certaines espèces n’ont pas besoin de beaucoup d’espace pour faire plusieurs générations.

Certaines plantes françaises mériteraient d’être plus connues comme la cardère, on l’utilisait pour « carder » la laine (en démêler les fibre). Elle est encore utilisée en Italie, c’est une plante assez haute qui fait des pompons très jolis et les bourdons l’adorent. Les feuilles s’accrochent d’une manière particuçlière à la tige et deviennent de mini-abreuvoirs pour les oiseaux. C’est pour cela qu’on l’appelle aussi « le cabaret des oiseaux ». En fin de saison, ses graines sont adorées du chardonneret élégant, un des plus bels oiseaux qu’on ait en France, malheureusement braconné pour sa beauté et son chant.

Pour découvrir toutes les plantes et petites bêtes qui peuplent nos prairies et nos jardins, nous vous invitons à suivre « La Vie Partout » sur ses réseaux sociaux, et surtout de s’inscrire à sa newsletter « comment réensauvager les jardins ».

Laurie Debove

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