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« Labour, engrais minéraux et coupes rases détruisent les symbioses vitales entre champignons du sol et plantes »

Moins la plante a faim, moins elle accueille de nouveaux champignons et moins elle les nourrit. Or, quand un champignon n’est pas nourri, il ne donne plus rien et même ses mycorhizes ne fonctionnent plus.

Pour que nous puissions enfin comprendre l’importance des arbres, il faudrait nous intéresser à la magie qui s’opère dans leurs racines, dissimulée à nos regards. Nous avons interviewé Marc-André Selosse, professeur du Muséum d’Histoire Naturelle à Paris. Responsable d’une équipe de recherche à Gdansk (Pologne) et en Chine, il s’intéresse particulièrement à la symbiose entre les champignons du sol et les racines des plantes.

LR&LP : Qu’est-ce qu’une symbiose mycorhizienne ?

C’est le fait qu’un champignon du sol soit associé à des racines de plantes en une association qui est vitale pour les deux partenaires. Le champignon est nourri en sucres par la plante et en retour la plante peut tirer de la nourriture du sol via le champignon. Ce dernier rapatrie notamment du phosphate, de l’eau, d’abord pour lui car il en a besoin, mais également pour la plante.

Cette association réciproque se double d’un effet de protection. C’est à dire que, pour le champignon, la santé de la racine est déterminante pour son alimentation ; donc pendant son évolution il a appris plein de mécanismes par lesquels il protège les racines. De même, le champignon est protégé par la plante notamment car ses réserves sont à l’intérieur de la racine ce qui évite qu’elles soient prédatées ou consommées par des animaux du sol.

On est sur un rôle qui est à la fois protecteur et nourricier.

Par exemple, la truffe ne peut que se développer au pied de chênes truffiers ou d’arbres truffiers. 90 % des plantes sont associées à des champignons et ce sont des dizaines de milliers d’espèces qui sont associées aux plantes. Un arbre peut ainsi avoir plusieurs centaines de champignons associés.

LR&LP : Le champignon va-t-il créer un partenariat avec un arbre ou une plante qui est spécifique de son milieu ?

Tout à fait. Ces associations sont très variables selon les endroits (comme quand vous allez en forêt ou en prairie) mais comme elles sont peu spécifiques, il faut plutôt les voir comme des réseaux : des plantes qui relient des champignons différents et des champignons différents qui relient des plantes différentes.

Dans nos équipes, on voit surtout les tricheurs de ces réseaux. On travaille sur des plantes forestières qui n’ont pas accès à la lumière mais utilisent ces réseaux mycorhiziens pour avoir accès au carbone et au sucre synthétisé par les arbres qui ont gagné la compétition à la lumière. Ces plantes sont encore chlorophylliennes car elles font dans la pénombre autant qu’elles peuvent de photosynthèse, mais il y en a quelques-unes qui sont non-chlorophylliennes comme les orchidées que l’on appelle aussi Néottie nid d’oiseau : une plante non-chlorophyllienne de forêt venue se greffer sur le réseau.

Aussi, quand une plante a nourri le champignon et qu’une autre vient se greffer dessus, cette dernière récupère finalement tous les boosters de croissance qu’a produit ce champignon nourri par une autre plante. C’est ce qu’on appelle un effet pouponnière.

C’est pourquoi, malgré la concurrence des arbres adultes par l’ombre qu’ils déploient, les jeunes poussent mieux qu’eux car ils peuvent se connecter à des champignons qui ont poussé et ont été nourris préalablement par les adultes. Cet effet pouponnière n’est pas systématique mais on l’observe par exemple chez les arbres forestiers de nos régions.

LR&LP : Ce que vous venez de nous expliquer est un processus qui fait partie du système agroforestier ?

Oui, et cela explique que la pratique de la coupe à blanc est un peu pernicieuse car lorsque l’on a coupé les grands arbres, ils ne nourrissent plus leurs champignons donc ces derniers meurent dans le sol. Il faut le répéter, eux-mêmes ne se nourrissent pas autrement et cette association est réciproquement bénéfique et nécessaire. On l’ignore parfois parce que ces champignons sont absolument partout.

Si on arrive à faire pousser les plantes sans champignon, elles poussent mal ou pas. C’est vrai pour les champignons aussi. Quand on a fait une coupe à blanc, les champignons meurent puisqu’ils ne se nourrissent que par le pied de la plante en carbone.

Lorsqu’on va replanter, on va alors voir des petites plantes qui ne vont pas bénéficier des champignons mycorhiziens. De ce fait, elles vont pousser moins vite. On sera obligés de leur mettre des engrais et de défricher plus longtemps car comme elles poussent moins vite, il faudra plus longtemps pour les dégager, voire utiliser des pesticides et des herbicides.

Cela augmente l’interventionnisme humain puisqu’on n’utilise pas les mécanismes naturels qui sont de se greffer à des champignons déjà nourris par les adultes. C’est à la fois plus coûteux, moins propre d’un point de vue environnemental mais ceci a été pratiqué parce que c’est plus simple pour la mécanisation de la récolte. Enfin, écologiquement, c’est pernicieux.

LR&LP : En quoi l’activité humaine, notamment dans son travail du sol, vient perturber ces symbioses ?

Il y a deux choses qui vont dételer, au sens d’attelage, ces symbioses mycorhiziennes. Le premier, c’est le labour qui massacre directement les mycéliums, les réseaux microscopiques des champignons. De plus, en supprimant les plantes avec le labour, il n’y a plus rien qui peut nourrir les survivants. C’est une forme de remise à zéro de l’héritage mycorhizien exactement comme dans la coupe à blanc.

La deuxième chose qui abime les symbioses mycorhiziennes, c’est mettre des engrais minéraux comme du phosphore et du phosphate. Ces derniers sont exactement ce que le champignon va chercher dans le sol mais on en met tellement que la plante n’a plus à payer le champignon. Or, il y a un mécanisme physiologique qui fait que la plante se lie à d’autant plus de champignons qu’elle a faim.

Moins la plante a faim, moins elle accueille de nouveaux champignons et moins elle les nourrit. Or, quand un champignon n’est pas nourri, il ne donne plus rien et même ses mycorhizes ne fonctionnent plus.

De plus, les engrais se retrouvent dans les eaux douces, le labour déstructure le sol et augmente son érosion. On se retrouve avec des méthodes alternatives qui sont certes efficaces à court terme mais qui ont un coût à long terme quand les sols meurent ou que les eaux sont polluées et qu’il y a des proliférations d’algues.

Pourtant, les méthodes agronomiques sur des apports de matières organiques comme les engrais et plus de labour existent déjà : c’est l’agriculture de conservation. Elles nous promettent d’utiliser plus de techniques écologiques que l’on appelle de l’agroécologie.

LR&LP : Quel impact a le réchauffement climatique sur ces symbioses ?

C’est une grande question. On sait que l’augmentation du taux de CO2 augmente l’approvisionnement en sucre des racines puisqu’il augmente la photosynthèse. On sait aussi que le climat n’évolue pas que comme un réchauffement, il évolue comme une sécheresse, cette dernière va avoir des impacts néfastes.

Cela dit, on observe qu’après un été très sec comme l’an dernier, on a eu un bel automne pour les champignons forestiers qui sont essentiellement des champignons mycorhiziens. Ce qu’on se dit, c’est que le sol est le compartiment qui se réchauffe le moins vite dans sous l’effet du réchauffement climatique. Il sèche le moins vite car le sol est une éponge à eau, c’est donc celui qui est le moins affecté.

On n’a pas encore beaucoup de recul sur comment le réchauffement climatique impacte le champs mycorhizien si ce n’est cette augmentation d’approvisionnement en carbone et qui, à première vue, serait plutôt bonne. Mais en réalité je pense que ça va se passer de la façon suivante et c’est plutôt spéculatif que basé sur des données acquises.

Dans un premier temps, ce sont les plantes qui vont souffrir et quand certaines vont mourir on commencera à voir les dégâts parmi les champignons qui leur sont liés. Ensuite, si on est comme en France où l’on a des étés très secs, on va finir, en répétant d’année en année le stress de sécheresse, par dépasser les capacités de résilience.

LR&LP : Est-ce que de nouvelles symbioses pourraient naître de ces perturbations ? Plus adaptées aux conditions climatiques, géologiques actuelles ?

Les nouveaux couples qui peuvent se former intègrent souvent des espèces introduites. On a un certain nombre de champignons qui se sont introduits en suivant certaines plantes qui étaient elles-mêmes introduites notamment en forêt, on a de nouveaux bolets que l’on n’avait pas avant. Ces nouveaux champignons finissent par être utilisés par des plantes indigènes.

C’est sûr qu’il y aura une évolution à très long terme, mais il est peu probable qu’on l’observe à court terme. Même si certaines espèces finiront par évoluer, à court terme on risque surtout d’avoir des disparitions. C’est la réalité de l’extinction de la biodiversité à laquelle nous assistons. Aujourd’hui, on n’est pas dans le plus fort de la sixième extinction, ce n’est pas encore dramatique mais cela arrive à toute vitesse.

Pour l’instant, ce sont surtout les populations (nombre d’individus d’une espèce, ndlr) qui trinquent et bientôt les espèces disparaîtront de plus en plus massivement, et là on arrivera à un point extrêmement difficile pour nous.

Dans un second temps, il va y avoir de l’adaptation, certaines espèces vont survivre. Des crises dans le passé, il y a en a eu plein simplement le tempo de la reprise est de plusieurs dizaines de millions d’années. On risque de passer des millions d’années sans les espèces qui construisent nos écosystèmes et notre alimentation et ça honnêtement c’est flippant. Il n’y a pas de problème pour la biosphère mais pour nous, enfin pour nos enfants.

LR&LP : Les listes d’espèces subventionnées à la plantation dans les forêts contiennent beaucoup d’exotiques or, elles ne sont par définition pas adaptées à nos terroirs. Quels sont les dangers d’importer des espèces exotiques ?

La Société Botanique de France a produit un rapport sur le sujet : le livre blanc sur l’utilisation d’espèces exotiques. Les gens qui les introduisent ne se trompent pas, elles poussent bien au moment où ils les plantent, du coup, ils font pression pour que l’on continue à les planter.

Or, la Société Botanique de France préfère éviter d’introduire des espèces exotiques pour trois raisons : elles sont peut-être adaptées pour un temps court mais ne le sont pas aux fluctuations rares des écosystèmes. A l’inverse, les ancêtres des espèces indigènes ont connu toutes les affres possibles pendant les derniers milliers d’années, y compris des épisodes climatiques rares.

Deuxièmement, ces espèces réussissent sûrement parce qu’elles se sont échappées de leurs ennemis et leurs maladies. Mais quand ces dernières reviennent, comme le mildiou de la pomme de terre qui a affamé l’Europe au XIXème, c’est la catastrophe ! On a aujourd’hui en Allemagne une pullulation de cécidomyies du douglas (une mouche, ndlr) qui est en train de les décimer parce que ce ravageur s’est finalement introduit. C’est une épée de Damoclès, ils sont en survie chez nous.

Troisièmement, à propos d’ennemis, il se peut qu’ils arrivent avec des champignons qui ne sont pas forcément graves pour eux mais le seraient pour nos espèces. Par exemple la chalarose du frêne, une maladie causée par un champignon pathogène originaire d’Asie.

Ces espèces exotiques ne sont ironiquement pas forcément adaptées au climat qu’il va faire demain. Je suis très inquiet de voir subventionner l’exploitation d’eucalyptus en France parce qu’avec le climat que l’on a, on a des degrés d’inflammabilité du bois en été qui sont égaux ou supérieurs au degré d’inflammabilité du bois en Australie.

Ainsi, on est en train de subventionner l’implantation des incendies australiens en France.

Enfin, certaines espèces exotiques deviennent invasives comme le chêne rouge d’Amérique.

LR&LP : Selon vous s’ils subventionnent ces espèces, c’est parce qu’ils n’ont une vision qu’à court terme ? Économique ? Politique ?

Les propriétaires privés sont sincères, d’autant plus qu’ils ont intérêt à ce que cela fonctionne puisqu’ils en vivent. Des données certaines et claires pour une partie de la population ne le sont pour l’autre. On vit dans des ghettos sociaux culturels où l’on se rend bien compte qu’il n’y a pas de faits, juste des points de vue. Ce sont des gens qui sont extrêmement convaincus qu’on leur prend la tête avec des conneries.

Le problème qui se cache derrière, c’est la formation scientifique des populations et des citoyens qui n’est pas suffisante pour qu’ils puissent évaluer la pertinence du conseil scientifique. Tout le monde pense pouvoir s’en passer et le bilan, c’est que l’on commence à le prendre en compte lorsque le climat et la biodiversité déraillent ou que les forêts dépérissent.

C’est terrible car nos disciplines se retrouvent en situation de Cassandre, c’est à dire à devoir expliquer et annoncer des catastrophes alors qu’elles ont généré bien en amont des boites à outils pour les éviter. Même à ce moment-là, on n’arrive pas à franchir le pas qui est de les prendre en compte à temps pour optimiser les processus de décisions et de gestion de l’environnement.

Notre reconnexion à la nature n’est pas juste notre reconnexion aux mycorhizes, c’est la reconnexion à tout ce qui nous alimente, nous environne, à tout ce qui fait le climat et donc à notre naturalité, c’est à dire celle qui nous entoure et celle dont nous sommes faits. Il faut l’éveiller en primaire et construire la compréhension au secondaire.

On baigne dans une éco-anxiété ou une éco-culpabilité mais il y a une chose que nous, génération précédente, on a bien fait : c’est que de nos impôts, on a construit une recherche en écologie et en biologie qui est une vraie boîte à outils. Donc, on a foutu le bordel mais on a aussi généré des solutions et on ne laisse pas la génération suivante complètement démunie. Il faut qu’elle sache que ces outils existent.

Il est temps de se reconnecter les uns aux autres afin que chaque maillon que nous représentons puisse retrouver sa juste place dans ce fabuleux fonctionnement qu’est la grande marche du Vivant. »

Liza Tourman

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