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Un sanctuaire canadien contaminé à l’arsenic pour les orques de MarineLand ?

Aux dires de l’ONG, « l’eau est propre », ce qui est un soulagement pour eux. En revanche, ils ont trouvé dans les sols submergés et les crabes communs des taux d’arsenic supérieurs aux normes recommandées pour la consommation humaine.

Le combat fait rage sur le devenir des orques de Marineland, depuis la loi française interdisant leur captivité. Alors que le delphinarium a tenté de les envoyer dans d’autres parcs au Japon, des associations se battent pour la création d’un sanctuaire. Parmi les endroits proposés, le Whale Sanctuary Project, au Canada, pose de sérieuses questions éthiques et sanitaires. L’endroit est pollué à l’arsenic à cause d’une ancienne mine d’or.

Le devenir des orques de Marineland

Les mentalités évoluent enfin et la captivité des cétacés, animaux sensibles, sociaux et grands voyageurs, sera interdite en France au 1er janvier 2026. Pour Wikie et Keijo, le temps est compté pour trouver un nouveau lieu de vie sain, alors que leurs membres familiaux Inouk et Moana viennent de décéder en captivité à seulement 5 mois d’intervalle.

En début d’année 2024, une mobilisation a permis d’éviter le transfert potentiel des orques vers le Japon, à qui Marineland envisage de les vendre, comme le cabinet de la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, Sarah El Haïry, l’a confirmé le 4 janvier auprès de Nice-Matin. Avec l’interdiction de leur capture à l’état sauvage, une seule orque vaut aujourd’hui 10 millions de dollars. Le Japon et la Chine, grands amateurs de spectacles avec les cétacés, souhaiteraient ainsi lancer des programmes de reproduction.

Pour mettre fin à l’exploitation des orques, le gouvernement français étudie aussi leur envoi dans un sanctuaire (enclos marin), pour lequel un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) se clôturera au plus tard ce 30 avril. Parmi les projets proposés, celui du Whale Sanctuary Project : 44ha, de 10 à 18m de profondeur, dans la baie de Port Hilford en Nouvelle-Écosse, au Canada. L’ONG souhaite y accueillir des orques et des bélugas, séparés par des filets.

Ce site a été sélectionné après une campagne d’investigation de plusieurs années par le « Whale Sanctuary Project », l’ONG qui chapeaute le projet. En cause : la difficulté de trouver un endroit approprié aux besoins des orques, tout en étant accepté par la population locale.

Sur d’autres sites pressentis, l’hostilité des pêcheurs locaux a mis un frein aux prospections. Ils craignaient que ces prédateurs marins les concurrencent dans la pêche aux poissons, même s’ils seraient nourris par leurs soigneurs tout le reste de leur vie. En effet, il est très difficile pour des animaux étant nés et ayant grandi en captivité de devenir totalement autonomes en milieu sauvage, surtout pour des espèces comme les orques ayant pour habitude de fonctionner en « pod », en famille.

Barachois Cove

La baie de Barachois, Wine Harbour, en Nouvelle-Ecosse, choisie par le Whale Sanctuary Project

Un site contaminé à l’arsenic

Hélas, le site sélectionné par le Whale Sanctuary Project a une histoire : celle de l’industrie minière, qui a extrait 1329 kg d’or dans la zone de Wine Harbour de 1862 à 1939. Résultat, les techniques d’amalgamation du mercure, les déchets et l’érosion des sédiments contaminés ont libéré de fortes concentrations d’Arsenic (contenu dans la roche) et de mercure (utilisé pour extraire l’or).

Dès 2015, une étude du gouvernement canadien a évalué les risques potentiels pour l’écosystème et la santé humaine des déchets des mines d’or. Les analyses chimiques des résidus terrestres et intertidaux (ce qui est situé entre la marée basse et la marée haute) ont révélé des concentrations élevées d’arsenic (86 à 196 000 mg/kg) et de mercure (444 à 320 000 µg/kg).

Celles des sédiments marins ont dévoilé eux une gamme beaucoup plus variable de la présence des deux métaux lourds : de 4 à 568 mg/kg pour l’arsenic, et <5 à 7 430 µg/kg pour le mercure selon les endroits étudiés. Or, quand la concentration d’arsenic bioaccessible dans le sol dépasse 25 mg d’arsenic par kg de terre, cela devient dangereux pour la santé humaine selon la Haute Autorité de Santé en France.

La pêche est interdite dans l’eau, le dock comprend une épave au milieu, la grande étendue d’eau à droite correspond à l’ancienne décharge de résidus toxiques de la mine d’or

C’est pourquoi la pêche aux mollusques bivalves est interdite dans la zone depuis 2019. Cette pollution a été révélée au grand public en 2021 par un rapport accablant de Marineland Canada, le seul parc du pays ayant encore des cétacés en captivité que l’ONG souhaite libérer, obligeant le Whale Sanctuary Project à se positionner.

A l’époque, l’ONG Whale Sanctuary Project a répondu qu’elle mènerait ses propres études environnementales. Trois ans plus tard, les études ont été terminées mais n’ont pas été révélées au grand public, ni aux médias, ni aux donateurs du WSP. Malgré nos demandes insistantes, l’ONG n’a pas voulu non plus nous livrer ces « donnés brutes » qu’elle explique être « encore en train d’analyser ».

À terre, la présence d’un ancien moulin à timbres (utilisé pour broyer les pierres) et d’une zone de décharge de résidus toxiques de mine d’or est la partie la plus problématique sur le projet de sanctuaire. Malgré tout, le Dr Lori Marino, neuroscientifique présidente du Whale Sanctuary Project, se veut rassurante lorsque nous l’interrogeons sur le sujet :

« La procédure classique serait de recouvrir la surface (de l’endroit pollué, ndlr) avec du ciment, de la terre ou du gravier afin que les résidus toxiques ne soient pas déplacés par les opérations de construction » explique l’experte en intelligence animale à La Relève et La Peste.

Aux dires de l’ONG, « l’eau est propre », ce qui est un soulagement pour eux. En revanche, ils ont trouvé dans les sols submergés et les crabes communs des taux d’arsenic supérieurs aux normes recommandées pour la consommation humaine.

« En ce qui concerne les sols submergés et la possibilité que les orques mangent un animal contaminé, nous engagerons des toxicologues pour déterminer s’il existe un risque que cela soit nocif pour les orques et, si oui, quelles mesures d’atténuation peuvent être mises en place », argumente Lori Marino pour La Relève et La Peste.

L’ONG n’a pas voulu nous révéler quelle quantité précise d’arsenic a été retrouvée dans les organismes des crabes. Plus préoccupant, cette information n’aurait pas non plus été transmise à son « conseil scientifique », selon une source qui a préféré garder l’anonymat.

Le Whale Sanctuary Project se situe au milieu de la zone dont la pêche aux mollusques est interdite par le gouvernement canadien

La viabilité du projet mise en cause

Au-delà de la pollution à l’arsenic, les températures glaciales des eaux de Nouvelle-Écosse posent question quant à la viabilité du site pour les orques. Nées en captivité, elles n’ont connu que les eaux du Marineland d’Antibes (qui varient de 10°C l’hiver à 23°C l’été selon une ancienne soigneuse) tout au long de leur vie. Les plonger dans des eaux glacées (2,8 °C en avril) est donc un pari sur l’inconnu quant aux impacts potentiels pour leur santé.

Le Whale Sanctuary Project se veut là encore rassurant, en arguant que leurs ancêtres sont originaires d’Islande (dont les températures varient de -2 degrés en hiver à 12 degrés environ en été) et qu’un « protocole de 150 pages » sur le transfert de cétacés vers le sanctuaire a été rédigé par leurs experts.

« Il n’est pas évident que la différence de température de l’eau soit un problème. Le protocole rédigé sera adapté à la situation spécifique des orques du Marineland Antibes » a rétorqué Lori Marino sans plus de détails lorsque nous l’avons interrogée à ce propos.

Comme pour les études environnementales, l’ONG a refusé de nous faire lire le protocole. Un manque de transparence inquiétant pour une opération reposant exclusivement sur des donateurs dont le coût de lancement est estimé à 15 millions de dollars, plus 2 millions de dollars chaque année pour le fonctionnement du sanctuaire, et ce jusqu’à la fin de la vie des cétacés.

A l’heure actuelle, des aveux de la présidente Lori Marino, le Whale Sanctuary Project a récolté seulement la moitié de la somme : 7 millions de dollars. 5 millions ont été promis par la donatrice WendyMcCaw en 2022, qui avait déjà poussé son ex-époux, le milliardaire Graig McCaw, à financer la libération de Keiko, l’orque star du film « Sauvez Willy ».

Image conceptuelle de la passerelle d’observation que le Whale Sanctuary Project veut ouvrir aux visiteurs. Un véritable site n’a pas encore été créé.

L’ONG proclame qu’elle n’accueillera aucun animal tant que le financement ne sera pas bouclé. Lori Marino assure que d’autres donateurs seraient prêts à mettre la main à la poche, mais que rien ne sera versé tant que la décision du gouvernement français ne sera pas officielle. C’est sûrement pourquoi le Whale Sanctuary Project multiplie les annonces dans la presse anglophone sur « l’arrivée des orques françaises » au printemps 2025.

Pourtant, sur le site rien n’est prêt, aucune construction n’a débuté, bien que l’ONG promette d’avoir « des plans prêts pour une opération constructible en un an ». Surtout, rien n’a encore été décidé par le gouvernement français pour qui le dossier est hautement sensible. Envoyer les orques à l’étranger serait une solution de facilité pour l’exécutif français qui n’aurait alors plus la responsabilité de veiller à leur bien-être comme la loi de 2021 le lui impose.

Au contraire, d’autres associations comme C’est assez ! et Sea Shepherd France plaident pour que le gouvernement français devienne pionnier et participe à la création d’un sanctuaire en Europe, et même idéalement en France. Sea Shepherd France a identifié une zone potentielle, située au large de Brest (Finistère).

« La France a une double responsabilité envers ces animaux. La première étant d’avoir autorisé leur captivité et leur reproduction à des fins de spectacles pendant de nombreuses années. La deuxième étant d’avoir, à juste titre, voté une loi mettant fin à ce système » explique Sea Shepherd France dans un communiqué.

Pour une experte des orques qui suit le débat depuis des années, la responsabilité est surtout celle des parcs qui devraient contribuer financièrement à la retraite en milieu naturel des animaux qu’ils ont exploités pendant des années. L’opérateur espagnol Parques Reunidos, propriétaire de Marineland Antibes, est contrôlé en totalité par le fonds Centaur Netherland, lui-même détenu à 65% par la firme de capital-investissement Arle. Il a un chiffre d’affaires de 830 millions d’euros.

Les animaux ne doivent plus être considérés comme des objets de consommation mais étudiés dans le seul objectif d’une coexistence harmonieuse. In fine, les débats autour de la retraite des orques de Marineland rappellent que l’amour et la fascination que nous avons pour ces animaux doivent avant tout être mis au service de leur bien-être.. 

Sources : « Marineland n’a pas fait de demande d’exportation des orques pour la semaine prochaine », le secrétariat d’État à la Biodiversité dément les annonces de One Voice », NiceMatin, 04/01/2024 / « 10 millions de dollars pour une seule orque » : les dessous de l’affaire du Marineland d’Antibes », LePoint, 31/03/2024, « Marineland Canada says site for planned whale refuge in Nova Scotia is too polluted », CBC Canada, 15/12/2021, « Sols pollués par l’arsenic : information à destination des habitants », Juillet 2020, HAS, « Wine Harbour residents divided on Whale Sanctuary Project; province processing Crown land lease application », Guysborough Journal, 25/10/2023

Laurie Debove

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