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La course aux minerais critiques : le fléau de la transition énergétique

Outre la réflexion profonde que cela devrait inspirer sur les arbitrages à faire, les ressources vont manquer. En 2023 dans le monde, les véhicules sont la principale cause de la hausse de 30% de la demande de lithium et de 8 à 15% pour le nickel, le cobalt, le graphite et les terres rares.  Ces projections sont très inquiétantes aussi pour l’acier, l’aluminium et le cuivre qui est très en tension.

La transition énergétique se construit sur la nécessité - réelle - de lutter contre les gaz à effets de serre qui génèrent un réchauffement de la planète à une rapidité inédite. Ce qui apparaît logique à première vue, est de s’appuyer sur des technologies qui font appel à l’électrique et l’électronique, sans émissions : batteries, éoliennes, moteurs électriques… et tous les réseaux qui y sont liés. Mais ce développement se déroule au prix de nos sols, de notre autonomie et de nos libertés.

Les terres rares

D’importantes quantités de matières premières critiques sont nécessaires à la transition écologique telle qu’elle est pensée par notre monde de consommation sans limite, mais leur offre est géographiquement concentrée. Ces matières premières comprennent 17 terres rares, le lithium, le nickel, le cuivre et le cobalt.

Elles entrent dans la composition des produits électriques et électroniques qui en requièrent de très grandes quantités. Elles nous rendent très vulnérables. Par exemple en RDC pour l’extraction du cobalt, au Chili pour le cuivre, en Indonésie pour le nickel ou en Australie pour le lithium. Quant au traitement de ces minéraux, il est presque totalement monopolisé par la Chine, qui usine le monde.

Les aimants représentaient en 2022 la plus grosse part de la consommation de terres rares. Les terres rares sont le scandium, l’yttrium, le lanthane, le cérium, le praséodyme, le néodyme, le prométhéum, le samarium, l’europium, le gadolinium, le terbium, le dysprosium, l’holmium, l’erbium, le thulium, l’ytterbium et le lutécium.

Une demande sans fin

Après avoir été multipliée par trois entre 2017 et 2022, la consommation mondiale de lithium devrait exploser dans les décennies à venir selon l’Agence internationale de l’Énergie qui a développé deux scénarios.

Le premier, sous le nom de « Net zéro » envisage que « la consommation mondiale d’énergie soit environ 8% plus faible en 2050 qu’aujourd’hui, tout en satisfaisant les besoins d’une économie deux fois plus importante et d’une population de 2 milliards de personnes supplémentaires ». Ce cas de figure est improbable puis qu’il repose sur l’idée que le système énergétique reposerait en 2050 aux deux tiers sur les énergies renouvelables (éolien, solaire, bioénergies, géothermie, hydroélectricité), tandis que la part des énergies fossiles ne représenteraient plus qu’ « un peu plus d’un cinquième ». Aujourd’hui, c’est 80%. Mais sur le plan de la demande en minéraux critiques, ce serait catastrophique.

L’AIE se concentre plutôt sur un scénario intitulé STEPS (Stated Policies Scenario) qui provoquerait un réchauffement supérieur à +3°C. Il repose sur le développement de l’énergie nucléaire et de techniques qui n’existent pas encore.

Dans tous les cas, la demande en lithium serait exponentielle. Pour le cobalt qui a augmenté de 70% quand « le nickel a triplé en 25 ans » dit Philippe Bihouix – ingénieur, ça n’est pas mieux. « Ce qui a fait exploser le nickel, c’est avant tout l’acier inox, avant même les batteries. » Et la cerise sur le gâteau, c’est la numérisation du monde !

Or, outre la réflexion profonde que cela devrait inspirer sur les arbitrages à faire, les ressources vont manquer. Les États-Unis se sont lancés dans l’hydraulique, l’éolien ou le solaire qui représentent ¼ de la production électrique quand le charbon est passé de 50 à 15%, augmentant leur demande de minéraux de façon significative.

En 2023 dans le monde, les véhicules sont la principale cause de la hausse de 30% de la demande de lithium et de 8 à 15% pour le nickel, le cobalt, le graphite et les terres rares.  Ces projections sont très inquiétantes aussi pour l’acier, l’aluminium et le cuivre qui est très en tension. Il est question de 6 à 11 fois la production mondiale totale datée de 2010 pour répondre aux besoins de 2050 pour fournir les unités de production d’énergie renouvelable. (Source AIE)

Une surexploitation

Pour Philippe Bihouix, l’Europe a déjà vidé ses réserves de minéraux  il y a bien longtemps.

« La Gaule, l’Espagne ont été de grands pays miniers. Carthage et Rome se sont battus parce que ce grand pays minier produisait de l’or, de l’argent, du cuivre. Donc, les réserves sont ailleurs. Et là où on prélevait un peu, on a des besoins irrépressibles  pour le numérique. Ces petits métaux sont difficiles à extraire. Ils font appel à une chimie dangereuse pour les écosystèmes pour être séparés des minerais qui les contiennent. Or ils sont tellement nombreux et en si petite quantité dans nos matériels numériques qu’on ne sait pas les séparer et donc les recycler. »

L’épuisement des ressources et des réserves est classé 4ème dans l’ordre des préoccupations des dirigeants, dans un contexte de demande accrue, de hausse des coûts d’exploration et de ralentissement des nouvelles découvertes, selon l’agence EY. C’est particulièrement criant pour le cuivre dont on n’a pas découvert le moindre filon depuis 3 ans.

En France cet été une consultation organisée par le CNDP et relayé par France Nature Environnement posait une question : « Pour ou contre la relance minière en France ? » Il s’agissait du premier projet de mine de lithium, dans l’Allier, depuis un demi-siècle : l’extraction de 2,1 millions de tonnes de granite par an pour équiper 663 000 véhicules électriques par an et ceci pendant 25 ans.   Ceci sans que l’État n’ait défini de trajectoire de réduction de consommation des métaux, ni de stratégie de mobilité qui permettrait de ne pas avoir à remplacer l’ensemble du parc automobile. Les impacts environnementaux ont été sous-estimés selon le CNDP (Commission nationale du débat public).

Une dépendance toujours accrue

Les grandes entreprises extractives sont principalement contrôlées par des acteurs extérieurs à l’Union européenne. Toutefois, le secteur semble inquiet sur le financement qu’implique l’accroissement de la demande mais aussi des contraintes environnementales qui augmentent le coût d’exploitation.

Cette dépendance vis-à-vis des importations expose l’UE à des risques géopolitiques assez importants.  Selon l’OCDE, plus de 70 % des mesures de restriction aux exportations portent sur des matières premières critiques.

Elles sont qualifiées de critiques en raison de leur importance économique et des risques pesant sur l’approvisionnement. Et si on a bien identifié les lieux où se trouvent les ressources, on a infiniment moins d’informations sur la détention du capital des entreprises extractives. Une analyse menée par la Banque de France suggère que des entités implantées dans de grandes économies concurrentes de l’UE détiennent plus de 50% des capitaux.

« Les productions de nickel, de cuivre et de cobalt sont donc concentrées entre les mains d’investisseurs extra-européens, notamment américains, australiens, britanniques et chinois, et plus de la moitié du capital des entreprises extractives, de terres rares et de lithium est détenue par des investisseurs non-européens » peut-on lire dans un rapport de la Banque de France.

La situation d’un métal à l’autre est assez différente en termes de criticité car elle peut être géologique et/ou liée au risque d’approvisionnement et/ou à la concentration géographique de la production. Pour les pays de l’Union européenne dont les sous-sols sont peu féconds en terres rares, la dépendance est forte.

La géopolitique de tous les dangers

Comme le montrent les chiffres de géolocalisation des ressources mais aussi du traitement, les activités minières sont très concentrées. Or, on se retrouve dans une double sujétion qui accroît la vulnérabilité des pays.

« D’un côté, on constate la dépendance des pays qui ont besoin de ces matières et de l’autre côté, celle dans laquelle on met les pays qui se spécialisent dans la production de ces minéraux. Ceux-là se retrouvent à être dépendants des premiers du point de vue alimentaire et de tous leurs biens de consommation » dit Philippe Bihouix.

C’est la situation du Chili qui met toutes ses forces dans la production de cuivre, délaissant l’agriculture qui devrait le nourrir. Le Chili détruit une partie de ses sols et de ses cours d’eau et dépend désormais des États-Unis pour s’habiller, se nourrir… Sa fragilité s’accroît donc, masquée par des échanges économiques.

Par ailleurs, la Roumanie et le village de Geamăna dans les Carpates, qui a fait l’objet d’un reportage de Victoire Radenne pour Socialter, montre à quel point l’exploitation du cuivre peut-être mortifère. « Geamăna, c’est un village où on ne voit que le clocher dépasser puisque c’est un village qui a été englouti par tous les déchets miniers liés à l’extraction du cuivre. Des boues, des résidus produits chimiques et des roches ont littéralement englouti les surfaces agricoles et les maisons » rapporte Victoire Radenne. La Roumanie était alors dirigée par Nicolas Ceausescu qui voulait devenir puissance exportatrice, au détriment des habitants et de son pays.

Des populations mal traitées

À l’intersection entre les droits de l’homme et l’extractivisme minier, il y a les risques significatifs pour les communautés locales et l’environnement.

La nature est agressée par l’extraction minière. L’exploitation effrénée des ressources minérales conduit trop souvent à la pollution de l’eau, à la destruction des écosystèmes et à la perte de biodiversité, en opposition complète avec les droits humains édictés par l’Assemblée générale des Nations Unies. Par ailleurs, la destruction des écosystèmes est une aberration dans un monde soumis à un réchauffement climatique de plus en plus rapide.

L’impact de l’extractivisme minier sur les communautés autochtones qui sont en première ligne des opérations minières est absolument disproportionné. Leurs droits à la terre, à l’autodétermination et à la préservation de leur identité culturelle sont menacés, voire franchement bafoués. Leur santé est le plus souvent atteinte et méprisée par les compagnies minières. Plus de 23 millions de personnes vivent aujourd’hui sur des zones contaminées par les mines présentes et passées. (Source : Impacts of metal mining on river systems: a global assessment – MG Maclin).

Et on ne compte pas les victimes d’accidents non déclarés. Enfin, les ressources se trouvant dans les pays en développement, le travail des enfants n’est pas rare.

Une part non négligeable de l’extraction minière se fait dans l’illégalité, malgré les tentatives timides de lutte des institutions internationales. Cette illégalité met en grand danger les personnes les plus vulnérables : enfants, migrants sans papiers venus des pays voisins, familles en situation économique difficile, qui deviennent des proies faciles.

Elle permet également tous les abus et toutes les destructions environnementales. Les entreprises multinationales, dans leur quête de profits, opèrent dans le mépris des conséquences sociales et environnementales de leurs actions. D’où la nécessité pressante d’établir des lois contraignantes et des normes plus strictes de transparence et de reddition de comptes pour garantir que les entreprises respectent les droits de l’homme et de la nature à toutes les étapes de leurs opérations.

Plus urgent encore est de réfléchir à nos usages et à repenser un monde plus sobre qui n’aurait pas besoin d’éventrer la terre et d’affamer des populations pour exister.

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À regarder pour compléter : Le débat : « Courses aux minéraux critiques, quels enjeux sociaux et environnementaux ? » organisé par les JNE (Journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie)

Isabelle Vauconsant

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