Après deux semaines de mobilisation populaire massive, le gouvernement Serbe a fini par retirer, provisoirement, la loi sur l’expropriation qui avait mis le feu aux poudres. Adoptée fin novembre, elle autorisait la saisie forcée des biens des personnes, sous cinq jours, pour tout projet jugé d’intérêt national, y compris privé. Un véritable cadeau à la compagnie Rio Tinto qui souhaite acquérir 600ha pour exploiter une énorme mine de lithium dans la vallée du Jadar.
« Casse-toi de la Drina. » Le message est clair. Depuis deux week-ends, ce slogan est scandé par des milliers d’opposant·es au méga-projet d’extraction de lithium, porté par le géant anglo-australien Rio Tinto et autorisé par le gouvernement dans la vallée du Jadar, dans l’ouest de la Serbie.
Les mobilisations spectaculaires (routes et ponts bloqués, marches dans une quarantaine de villes, manifestation houleuse au cœur de Belgrade) qui déferlaient chaque week-end ont fini par porter leur fruit. Face à la révolte, le gouvernement serbe a annoncé le retrait provisoire de la loi sur l’expropriation, accusée d’être conçue « sur-mesure pour Rio Tinto ».
« Cela fait plus d’un an que le groupe fait du porte-à-porte, met sous pression, harcèle au téléphone les habitant·es pour racheter les parcelles nécessaires pour s’y implanter. Nous menaçant, sans même en avoir le droit alors, de nous faire expulser à bas prix. Et alors que la fronde s’était amplifiée, avec seulement 138 des 600 ha visés tombés dans leurs mains, voilà que l’Etat volait au secours de la compagnie et nous trahissait ! » explique Zlatko Kokanovic, vétérinaire et exploitant laitier de Gornje Nedeljice, bucolique village dominant la vallée du Jadar, pour le média Le Courrier
Le retrait de l’annonce a été une véritable surprise pour les politologues du pays, habitués à ce que le président serbe Aleksandar Vucic ne revienne pas sur ses décisions. Cette annonce est décrite comme un « acte de prudence » à l’approche des élections nationales et municipales du printemps, et une fronde populaire hors-norme imprévue.
« Pour la première fois, Vucic ne dicte pas l’agenda politique », note Igor Stiks, écrivain et politologue, coauteur de The New Balkan Left. « Là où la dénonciation de l’autocratie, du clientélisme, de la corruption échoue à mobiliser depuis des années, par lassitude, apathie, désillusion, devant la répétition des scandales, le lithium, lui, a réussi à fédérer les oppositions. »
Pour autant, les serbes n’ont pas gagné la partie définitivement : il est possible que ce retrait provisoire soit une simple manœuvre politique permettant au président en lice de laisser passer les élections, et promulguer plus tard une version amendée du projet de loi sur l’expropriation au printemps prochain.
Le chantier est censé débuter l’an prochain. Si ce projet voit le jour, « en tout ce sont près de 300 km2, 22 villages et 19 000 habitants, dont 80% vivent de la production agricole, qui subiront un désastre annoncé » explique le fermier Zlatko Kokanovic, l’un des initiateurs du mouvement Ne Damo Jadar (On ne leur donne pas le Jadar), qui a lui-même refusé de vendre 40 ha de terrain au géant anglo-australie
Le collectif Ne Damo Jadar ne baisse donc pas la garde suite à cette nouvelle. « Que la moindre machine débarque pour creuser, et l’on sera prêts à se défendre à mains nues. Il faudra nous exterminer avant d’extraire la moindre roche. » concluent-ils d’un ton déterminé
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