Dans une enquête publiée le 27 février, l’association Canopée révèle que le groupe français Eramet, exploitant de la concession Weda Bay, la plus grande mine de nickel au monde située en Indonésie, pourrait bénéficier d’un nouveau « fonds d’investissement sur les minerais et métaux critiques » mis en place par le gouvernement. Ce dernier permettrait notamment à l’entreprise de construire une usine de transformation de nickel qui serait responsable de 6 000 hectares de déforestation.
Weda Bay, la plus grande mine de nickel au monde
Sur l’île d’Halmahera, au beau milieu de forêts primaires à la biodiversité exceptionnelle, se trouve la plus gigantesque mine de nickel du monde. Weda Bay, 45 000 hectares et plus de 12 millions de tonnes de minerais comme ressource.
Là-bas, le groupe français Eramet, dont l’État est actionnaire à 27% à travers l’Agence de Participation de l’État, s’y est implanté pour l’exploitation du nickel, revendu en majeure partie au marché chinois et utilisé essentiellement dans la confection d’ustensiles de cuisine, d’outils médicaux ou pour l’industrie.
Mais le minerai est aussi devenu, depuis plusieurs années, un précieux allié de la transition énergétique. Il est en effet essentiel dans la fabrication des batteries qui alimentent aujourd’hui un parc automobile électrique en pleine expansion.
Seulement, en Indonésie, le type de nickel extrait du gisement n’est pas adapté à la construction de ces batteries et nécessite d’être transformé.
C’est pourquoi Eramet, désireux de se positionner sur le marché de l’électrique dans les années à venir, souhaite faire sortir de terre une nouvelle usine, « Sonic Bay », permettant de transformer directement le minerai et d’ainsi l’adapter à la demande de l’industrie automobile.
Un fonds d’investissement aux critères imprécis
Selon Canopée, c’est à ce titre que l’entreprise pourrait donc bénéficier du « fonds d’investissement pour les minerais et métaux critiques », annoncé par le gouvernement français le 11 mai 2023 et destiné à « sécuriser l’approvisionnement de l’industrie en ces composés clés de la transition énergétique ».
Celui-ci appliquerait « les meilleurs standards sociaux et environnementaux dans les projets qu’il soutiendra ». Or, comme le dévoile l’association, « les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance [de ce fonds] sont en cours de finalisation. Actuellement rien n’est prévu pour éviter le financement de projets responsables de déforestation ».
Pour justifier cette affirmation, Canopée explique avoir interrogé, le 23 janvier dernier, le chef du bureau des mines pour le ministère de la transition écologique, ainsi que le délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux critiques. L’objectif étant de connaître les critères définis permettant de bénéficier de ce fonds.
Mais la question de la déforestation ne ferait actuellement pas partie des risques identifiés.
« Pour l’instant, le seul critère qui est fixé, c’est que les minerais concernés approvisionnent au moins en partie le marché européen. InfraVia, la société qui gère ce fonds, est actuellement en train de travailler sur des critères « environnementaux, sociaux et de gouvernance » mais refuse de les communiquer », commente Klervi Le Guenic, chargée de campagne à Canopée, pour La Relève et la Peste.
Les agents des ministères en charge du cas de Weda Bay, contactés par l’association, ont cependant « confirmé que l’extension du complexe minier fait bien partie des projets qui peuvent bénéficier du nouveau fonds d’investissement dédié aux minerais et métaux critiques ».
Les peuples autochtones et la biodiversité menacés
Toujours est-il qu’aujourd’hui, Eramet a déjà défriché 2000 hectares sur les lieux et, comme l’indique Canopée, 6000 hectares supplémentaires devraient également subir une déforestation d’ici 25 ans pour favoriser l’expansion de la concession, dont la probable usine « Sonic Bay ».
Or les forêts primaires d’Halmahera sont une source intarissable de biodiversité, et sont connues pour abriter le plus haut taux d’espèces endémiques du monde, mais aussi un peuple autochtone, les Hongana Manyawa, qui « tirent tout ce dont ils ont besoin de la forêt, et ne pourront pas survivre si elle est amenée à disparaître », précise l’association.
Notamment les sagoutiers, des plantes de la famille des palmiers, qui constituent leur principale source d’hydrates de carbone et se trouvent menacés par cette déforestation, comme nous vous en informions en juin 2023.
Par ailleurs, une partie des Hongana Manyawa sont des individus non-contactés, c’est-a-dire qu’ils ne peuvent pas donner leur consentement libre, informé et préalable (CLIP) à l’exploitation de leurs terres. Or, selon la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, il est nécessaire que le consentement soit obtenu pour tout type de développement sur les territoires des peuples autochtones.
« L’exploitation en forêts, c’est un non-sujet »
Cependant, quelques espoirs subsistent pour tenter de réguler un tant soit peu la situation.
« La liste des produits concernés par le règlement contre la déforestation est amenée à être actualisée, il est donc possible de faire en sorte qu’elle intègre les minerais », détaille Klervi Le Guenic à La Relève et la Peste. Seules les commodités agricoles ou forestières étant à ce jour concernées.
« Il y a peut-être aussi la possibilité d’agir sur le règlement relatif aux batteries et déchets de batteries.» Aussi, « le règlement sur la responsabilité des entreprises (CSDDD) pourrait aussi être intéressant », continue-t-elle. Ce même règlement qui instaure le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, en renforçant « la protection de l’environnement et des droits de l’homme dans l’UE et au-delà ».
« Le gouvernement a défendu une position ambitieuse contre l’exploitation minière des fonds marins, mais pour l’exploitation en forêts, c’est un non sujet. Une position en totale contradiction avec l’image de grand défenseur des forêts qu’essaie de se donner le Président Macron », regrette Klervi Le Guenic.
Pour aller en ce sens, « l’État français doit montrer l’exemple avec le fonds d’investissement dédié aux minerais et métaux critiques », ajoute l’association. Et donc, refuser de financer la déforestation d’une forêt primaire en Amazonie.
Source : « Les minerais de la transition énergétique, une nouvelle menace sur les forêts », Canopée, 27/02/2024 / « France 2030 : le Gouvernement annonce le lancement d’un fonds d’investissement dédié aux minerais et métaux critiques », Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, 11/05/2023 / « Règles sur le devoir de vigilance pour les grandes entreprises: le Conseil adopte sa position », Conseil européen, 01/12/2022