L’Association Santé Environnement France lance l’alerte : les français sont les européens les plus contaminés au cadmium. En cause : les engrais chimiques utilisés par l’agriculture industrielle. Hautement cancérogène à certaines doses, sa présence dans les sols français et notre alimentation est en partie responsable du nombre alarmant de cancers en France, parmi les plus élevés au monde.
Empoisonnement français au cadmium, un cri d’alarme
Le cadmium est un métal qu’on trouve en association avec d’autres métaux, comme le zinc, le mercure et le plomb, ainsi que dans les phosphates naturels utilisés surtout comme engrais.
Le cadmium est un cancérogène hautement probable selon le CIRC (Centre international de la recherche sur le cancer), l’ANSES, la Haute autorité de santé, et l’OMS insiste sur la dangerosité des polluants qui passent par l’air, le sol et l’eau …
L’Association Santé Environnement France rassemble des professionnels de santé depuis 2008 et est présidée par le Dr Pierre Souvet, cardiologue. Il nous a accordé cette interview pour alerter sur l’urgence et le scandale que représente la non-prise en compte de ce danger par les pouvoirs publics depuis plus de 10 ans.
Car en matière de contamination, la France, enfants et adultes, crève les plafonds. Or le cadmium est un tueur en série !
LR&LP : Pourquoi lancez-vous une alerte ?
PS : Parce qu’une étude met en évidence un fait très grave : les Français sont plus contaminés au cadmium que tous les autres Européens, et plus que les Américains !
Je vais vous donner quelques chiffres effarants : l’ANSES retient que 0,5 microgrammes de cadmium par gramme de créatinine est un maximum. Au-delà, la situation devient critique. Or, en moyenne, les Français ont un taux de 0,57. 47% d’entre eux sont au-delà de 0,50 et les 5% les plus élevés montent à 2,1.
Quant aux petits Français, ils sont 18% à être fortement contaminés. Les 6-17 ans ont une moyenne de 0,28 (et les 5% les plus contaminés sont au-delà de 0,85). En comparaison, les adultes allemands sont en moyenne à 0,18 et les enfants à 0,07. Les Belges ont respectivement 0,23 pour les adultes et 0,04 pour les enfants. Quant aux Américains, les adultes sont en moyenne à 0,19 et leurs petits à 0,06.
Donc, quand je vous dis que la situation française est une question de santé publique, ce n’est pas une blague !
LR&LP : Qu’est-ce que le cadmium (Cd) ?
PS : C’est un métal qui appartient à ce qu’on appelle les métaux lourds aux côtés du mercure (Hg) et du plomb (Pb). Ils sont toxiques pour les êtres vivants, n’ont aucun rôle bénéfique connu pour l’organisme et s’accumulent dans les chaînes alimentaires et ce, sur des durées longues, 30 ans !
Le cadmium est classé cancérogène par le CIRC. Il se fixe dans le foie et est responsable de fractures osseuses et d’ostéoporose, d’altération des spermatozoïdes et donc d’infertilité, d’altération de l’ADN par stress oxydatif favorisant le développement de cellules cancéreuses, en particulier dans les poumons, les seins, la prostate, le pancréas, les reins.
LR&LP : Quelle est la position de la France sur ces pathologies ?
PS : Nous sommes champions du monde du cancer du sein. Nous avons la triste position de deuxième mondial en matière de cancer du pancréas. Et, nous serions presque fiers de notre seulement 8ème position pour le cancer du rein. Vous rendez-vous compte de ce que je vous dis-là ? Et ces chiffres ne cessent de grimper.
Selon le niveau d’exposition au cadmium, le risque s’accroît de 2 à 5 fois. On nous a alerté sur le bisphénol A qui génère 2% de risque de surmortalité par cancer, avec le cadmium, on parle de 82% ! C’est une explosion de la contamination à laquelle nous assistons en France depuis quelques années.
Les sources de contamination au cadmium
LR&LP : Quelles sont les sources de contamination ?
PS : Le tabac (une cigarette contient environ 2 µg de cadmium, ndlr). Et principalement l’alimentation. L’agriculture intensive utilise des engrais phosphatés et la France est l’un des plus gros consommateurs européens même si la guerre en Ukraine a entraîné une légère baisse de leur utilisation. Or, les engrais phosphatés contiennent des doses de cadmium variables selon les zones d’importation. Le cadmium entre dans le sol et remonte dans la plante. Et nous la mangeons.
LR&LP : Que ne devrions-nous pas manger ?
PS : Il faut manger bio autant que possible et ne pas trop consommer de crustacés à muscles qui le concentrent. Les grandes cultures céréalières sont les plus touchées, il faut manger bio tout ce qui contient des céréales et des pommes de terre. Le drame, ce sont les céréales du petit déjeuner. L’adolescente la plus fortement contaminée dans l’étude Esteban ne fumait pas, ne consommait pas de fruits de mer mais mangeait des céréales sous toutes les formes.
Par ailleurs, il faut impérativement varier son alimentation, car en dehors des épinards qui accumulent le cadmium, les fruits et légumes aident à contrer ses effets. Il faut beaucoup de fibres. Le zinc est un inhibiteur du cadmium et il est donc prudent de faire contrôler ses équilibres minéraux et en oligo-éléments.
LR&LP : Comment expliquez-vous que les Français soient à de tels niveaux de contamination ?
PS : La fertilisation des grandes cultures est réalisée par des engrais phosphatés que nous achetons pour la majeure partie au deuxième producteur mondial de phosphate naturel après la Chine, le Maroc. Les deux sites Khouribga et Boucrâa sont très riches en cadmium, autour de de 38 à 73mg/kg pour l’une et jusqu’à 100 mg/kg pour l’autre.
Depuis le 22 juillet 2022, l’Union européenne a interdit tous les engrais inorganiques dont la teneur en cadmium est supérieure à 60 mg/kg. Le problème, c’est que c’est un enjeu géopolitique autant que financier. Donc, tout le monde regarde ailleurs pendant que le nombre de malades et de morts est en train d’exploser.
LR&LP : Que faudrait-il faire ?
PS : Pour réduire la contamination de la population, la France ne devrait pas faire une exception à 90 mg/kg comme c’est le cas aujourd’hui. Pas plus qu’elle ne devrait se conformer à la règle européenne à 60mg/kg. La France devrait rejoindre les trois pays européens qui ont choisi de s’extraire de la règle commune pour passer à 20mg/kg. De cette façon, la population française serait en meilleure santé.
LR&LP : Les agriculteurs sont-ils responsables après tous les mouvements récents ?
PS : La FNSEA porte une lourde responsabilité, mais les agriculteurs que tous ces produits rendent très malades sont plus victimes d’un système que réellement acteurs. Ils ont besoin d’aide pour s’extraire de cette agriculture dangereuse pour la santé comme pour la planète. C’est aux pouvoirs publics de porter une autre vision et de prendre les décisions qui s’imposent.
Sources : Cadmium et ses composés – CIRC / Qu’est-ce que le cadmium et comment réduire son exposition ? Anses – 04/12/2023 / Dépistage, suivi et prise en charge des personnes résidant sur des sites pollués ou potentiellement pollués par le cadmium – Note de cadrage – Haute autorité de santé – 16/09/2022 / LES BRÈVES DE L’ASEF – SPÉCIAL CADMIUM – 14/12/2023 / Imprégnation de la population française par le cadmium. Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016 – Santé publique France – 06/092021 / Directive 86/278/CEE relative à la protection de l’environnement et notamment des sols, lors de l’utilisation des boues d’épuration en agriculture – 01/01/2022