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La France, plus gros consommateur d’engrais azotés de l’UE : un danger dont nous pouvons nous passer

Le danger posé par les engrais azotés ne concerne pas seulement la sécurité des riverains, mais se traduit aussi par leur terrible contribution à la crise écologique. Les engrais azotés de synthèse sont une bombe climatique : avec l'élevage, ils représentent 43 % des gaz à effet de serre de l'agriculture en émettant du protoxyde d'azote, un gaz 300 fois plus puissant que le CO2.

En matière d’insécurité nationale française, il y a les épouvantails factices agités par des politiques désirant récupérer des électeurs ou faire passer des mesures liberticides ; et il y a tous les risques bien réels posés par un système industriel délétère. Parmi ces derniers : les engrais azotés, fabriqués avec du nitrate d’ammonium. Il y a vingt ans, ils provoquaient l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, faisant 31 morts et 2500 blessés. Aujourd’hui, la France reste le premier consommateur de ce type d’engrais au sein de l’UE, ce qui représente près d’1.5 millions de tonnes transportées et stockées dans le pays, malgré de nombreuses lacunes en matière de sécurité et leur impact écologique néfaste. Pour l’association les Amis de la Terre, cette situation est directement imputable à l’État français qui fait la sourde oreille depuis vingt ans, ignorant accidents et incendies récurrents, et continue de soutenir l’agro-industrie au détriment des alternatives existantes.

Un triste anniversaire

Le nitrate d’ammonium a fait de nombreux ravages sur tous les continents. En un siècle, il a ainsi fait au moins 5000 morts, 25.000 blessés et mutilés, 500.000 sans-abris, évacués ou confinés. Parmi les dates où les accidents ont été le plus mortels, le 21 septembre est un jour fatal.

Le 21 septembre 1921, à Oppau en Allemagne, à 7h32, l’usine BASF spécialisée dans la production d’engrais à base de nitrate d’ammonium a explosé, faisant 600 morts et disparus dont de nombreux enfants, 2000 blessés, et 10.000 sans-abris dans un rayon de 30 km. En France, à Toulouse, c’est le même jour mais à 10h17 en 2001 que 300 tonnes de nitrate d’ammonium ont explosé dans l’usine AZF faisant 31 morts et 2500 blessés.

Cratère suite à l’explosion d’Oppau (BASF), 1921. Base de donnée : Aria, accident 14373

Mardi 4 août 2020, l’explosion d’un stock de 2 750 tonnes de nitrates d’ammonium dans le port de Beyrouth a causé plus de 200 morts et 6500 blessés, rappelant une fois de plus au reste du monde le danger posé par le transport et le stockage des engrais azotés.

En effet, les nitrates d’ammonium sont principalement utilisés pour fabriquer des engrais azotés de synthèse, mais servent aussi pour la fabrication d’explosifs – leur usage premier pendant la Deuxième Guerre mondiale – ou en chimie.

Ils sont synthétisés à partir d’ammoniac et d’acide nitrique, et sont la base des ammonitrates, les engrais azotés les plus consommés en France. Stables à température ambiante, ils sont dangereux lorsqu’ils sont exposés à des températures extrêmes (+ de 200°C comme à Beyrouth).

20 ans jour pour jour après le drame de Toulouse, aucun des ministres français en exercice ne s’est rendu à la commémoration de la Ville, exercice pourtant habituellement choyé par le pouvoir. Cette attitude indifférente reflète bien le malaise gouvernemental face à la surconsommation des engrais azotés dans le pays, et son soutien à l’agro-industrie.

Lire aussi : Explosion à Beyrouth : les nitrates d’ammonium, l’un des dangers de l’agriculture industrielle

L’inaction dangereuse du gouvernement français

Suite au carnage de Beyrouth, le gouvernement français avait tout de même décidé de missionner une enquête parlementaire sur « La gestion des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux ». Cette enquête a relevé de nombreuses situations anormales dans les ports fluviaux et les exploitations agricoles qui stockent des ammonitrates haut dosage.

« Le plus beau lièvre qu’elle a levé est le port de Saint-Aubin-lès-Elbeuf dans un méandre de la Seine en amont du port de Rouen. Chaque année sur ce petit quai de 150 m de long surveillé par une capitainerie qui ressemble à un pavillon désaffecté, 17.000 tonnes de nitrate d’ammonium haut dosage sont débarquées en vrac de cargos fluvio-maritimes. Ils font un arrêt dans le port de Rouen pour abaisser leurs mâtures et autres superstructures, passer sous les ponts urbains et se diriger vers la Seine amont. Or, le nitrate d’ammonium en vrac est interdit de déchargement dans les ports du Havre et de Rouen. De toutes les espèces de nitrate d’ammonium, c’est le plus vulnérable aux risques de contamination, d’emballement thermique, de déflagration et de détournement. Aucun service de l’Etat n’était informé de ce trafic. » dénonce l’association Robin des Bois, qui fait un travail de suivi des accidents industriels

Avec les nitrates d’ammonium (aussi appelés ammonitrates), les ports français deviennent ainsi de véritables bombes à retardement. Mais le stockage sur terre n’est pas sans danger non plus.

Entre janvier et juin 2021, l’association Robin des Bois a relevé 15 incendies dans des établissements agricoles impliquant des engrais à base de nitrate d’ammonium. Les engrais étaient stockés dans les mêmes hangars que des pneus, du foin, des hydrocarbures, de la paille, des produits phytosanitaires.

Cet été, 100 tonnes d’engrais azotés ont ainsi brûlé dans l’incendie de l’entreprise de fourniture agricole de Plounéan, entraînant un incendie cocktail de produits (polystyrène, nitrate de chaux, toiture en amiante) et rendant impropres à la consommation les produits agricoles et interdisant le pâturage dans un rayon de 3km autour de l’entrepôt. 


S’il est difficile de chiffrer précisément le nombre et les volumes stockés en raison du manque de traçabilité, quasiment tous les céréaliers stockent des engrais azotés. C’est pourquoi le rapport de la mission nitrates d’ammonium souligne l’importance d’améliorer la diffusion des informations pratiques à destination des agriculteurs. 


« Les choses ne changent pas. Cela fait plus de dix ans que différentes politiques doivent plus ou moins viser à réduire la consommation d’engrais mais elles sont inefficaces : elles n’ont pas d’ambitions chiffrées ni moyens alloués à la hauteur des enjeux. La Convention Citoyenne pour le Climat demandait une redevance sur les engrais azotés car il y a un vrai décalage entre le coût sanitaire et environnemental de l’usage des engrais azotés et leur prix d’achat. Le gouvernement a complètement enlevé cette mesure car c’est trop ambitieux et concret pour lui. » dénonce Manon Castagné, chargée de campagne engrais aux Amis de la Terre France, auprès de La Relève et La Peste

Preuve de la connivence entre l’Etat et l’agro-industrie, Fabrice Rigoulet-Roze, l’ancien directeur de la stratégie du groupe Roullier (2008-2011) qui stocke et produit ces engrais explosifs au port de Saint-Malo, est devenu le chef de cabinet du ministère de l’agriculture.

Mais le danger posé par les engrais azotés ne concerne pas seulement la sécurité des riverains, mais se traduit aussi par leur terrible contribution à la crise écologique. Les engrais azotés de synthèse sont une bombe climatique : avec l’élevage, ils représentent 43 % des gaz à effet de serre de l’agriculture en émettant du protoxyde d’azote, un gaz 300 fois plus puissant que le CO2.

Autres conséquences néfastes de l’utilisation des engrais azotés en agriculture : baisse de la fertilité et acidification des sols, eutrophisation et pollution de l’eau, augmentation du risque d’érosion, multiplication des ravageurs et maladies, extinction de la biodiversité, pollution de l’air…

« La position du gouvernement est de compter sur les agriculteurs pour changer de pratiques. Alors que ce ne sont pas les agriculteurs qui sont responsables de la consommation actuelle, ils sont eux-mêmes prisonniers d’un système agro-industriel qu’ils n’ont pas forcément choisi. Ils ont donc besoin de soutien politique pour en sortir. Avec la loi Climat, un autre levier clef était la renégociation de la PAC, mais il n’y a rien dedans qui cible spécifiquement les engrais. La seule chose qui va un peu dans le bon sens, c’est le fait d’avoir un peu plus d’aides aux légumineuses. Mais cette mesure a été écrite tout en baissant les aides au maintien à la bio et rendant le système des MAEC (Mesures agroenvironnementales et Climatiques) moins ambitieux, c’est complètement contre-productif ! » analyse Manon Castagné, chargée de campagne engrais aux Amis de la Terre France, pour La Relève et La Peste

Lire aussi : Les agriculteurs bio se mettent à poil pour dénoncer la baisse des aides dans la réforme de la PAC

Le rôle de la PAC dans la refonte d’un modèle agricole respectueux des rythmes biologiques a été pointé du doigt par une étude du CNRS. Pour les chercheurs, une agriculture biologique pour nourrir l’Europe en 2050 est possible, à condition d’éliminer les engrais azotés ainsi que de végétaliser notre alimentation en supprimant l’élevage industriel au profit de fermes alliant petit élevage et cultures diversifiées.

Pour se passer des engrais azotés, plusieurs solutions existent : généraliser les rotations de cultures longues et diversifiées intégrant des légumineuses fixatrices d’azote, et rapprocher culture et élevage pour un recyclage optimal des déjections animales. 

Lire aussi : Pour nourrir l’Europe en 2050, il est urgent d’éliminer les engrais azotés et végétaliser notre alimentation

« Au final, a-t-on besoin de ces engrais azotés de synthèses ? Non, ces dangers industriels sont un choix. Nous n’avons pas besoin des nitrates d’ammonium pour l’agriculture. Pour résoudre le problème, si on le prend à la source, c’est un changement de modèle agricole qu’il nous faut. Nous espérons que la campagne que nous avons lancée permettra d’inscrire cette nécessité dans le débat des présidentielles et des législatives. » conclut Manon Castagné, chargée de campagne engrais aux Amis de la Terre France

Crédit photo couv : ERIC CABANIS / AFP

Laurie Debove

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