La dernière ligne droite. La campagne des élections européennes a pris fin en France ce vendredi 7 juin. Face à la montée de l’extrême-droite sur le Vieux Continent et à l’accélération sans précédent du dérèglement climatique, ces élections sont cruciales pour les 5 prochaines années.
Fonctionnement des élections européennes
Ce dimanche 9 juin 2024, 48 millions de Français sont appelés aux urnes. Les électeurs devront désigner leurs 81 eurodéputés parmi les 38 listes candidates aux élections européennes 2024. Les élus siégeront par la suite au Parlement européen qui aura un total de 720 eurodéputés), soit 15 de plus que l’actuel. Pendant cinq ans, ils voteront les directives et règlements présentés par la Commission européenne.
Coût du Parlement : 2,3 milliards d’euros en 2024. C’est-à-dire 1,2 % du budget général de l’Union européenne. Le parlement européen est la seule institution européenne dont les membres sont directement élu·es par les citoyen·nes pour représenter leur voix. En France, le scrutin proportionnel est plurinominal avec des listes fermées et un seuil électoral de 5 % dans une unique circonscription nationale.
Concrètement, cela signifie qu’il n’y aura qu’un tour et les 81 sièges seront répartis entre les listes de façon proportionnelle, en fonction de leurs scores. Si une liste obtient 10% des voix, elle aura donc à peu près 10% des sièges. Les députés se verront attribuer (ou pas) une place en fonction de l’ordre de composition de leur liste.
Si répartition proportionnelle des sièges est une règle commune à tous les pays membres, chacun est libre de prévoir des listes nationales (Hongrie) ou régionales (Pologne), ainsi que des seuils ou non (Allemagne).
Difficulté majeure en France : une liste doit atteindre le seuil de 5 % des suffrages pour que ses membres puissent devenir eurodéputés. Cela veut dire que si une liste fait seulement 4,99% des voix, les sièges qu’elle aurait pu obtenir iront à d’autres listes, parfois d’affinité politique complètement différente.
Et cette année, l’avance de l’extrême-droite dans les sondages laisse craindre le pire pour les partis en faveur des droits humains et de l’écologie. Résultat, certains d’entre eux ont décidé de se retirer de la course afin de donner plus de chances à leurs homologues, comme l’eurodéputé Pierre Larrouturou, connu pour avoir fait une grève de la faim afin d’obtenir la taxation de la finance.
« On risque de perdre 5 députés écolo au Parlement européen et d’en donner 2 ou 3 de plus à l’extrême-droite. Si vous n’avez pas 5% des voix, vous n’avez aucun élu, si vous avez 5%, vous avez 5 députés. Pendant 5 ans au Parlement européen, j’ai vu comment il faut aller chercher des signatures pour déposer un amendement. J’ai vu comment des textes passent avec 1 ou 2 députés de majorité. Avoir 0 députés écolos et 3 députés d’extrême-droite en plus, ce serait vraiment dramatique. Imaginez le cadeau que cela serait pour Patrick Pouyanné et tous les lobbies du pétrole et des pesticides » explique-t-il dans une vidéo annonçant son retrait
Ces 5 dernières années, de nombreux textes pour la justice sociale et l’écologie ont ainsi été arrachés à seulement quelques voix près. L’activiste Camille Etienne, habituée à arpenter les couloirs de nos institutions européennes et co-autrice de notre livre-journal Générations, en a recensé quelques-uns.
Le vote reconnaissant l’impact direct du glyphosate sur la perte de la biodiversité a été gagné à seulement 3 voix près, celui sur la fin de l’écart salarial entre hommes et femmes à 5 voix près, la vote pour la suppression progressive des subventions aux combustibles fossiles a été gagnée à seulement 6 voix près, et enfin, le vote majeur pour protéger le bien commun qu’est l’eau en rejetant toute tentative de traiter l’eau comme une marchandise a été gagné à seulement 9 voix près.
La plateforme en ligne JeVoteLobby a également mis en lumière la perméabilité des eurodéputés du Rassemblement National (RN) aux campagnes d’influence de certains lobbys industriels à travers 10 histoires. Leur objectif : montrer la réalité des décisions politiques de ce parti, très loin de la position « antisystème » qu’il proclame. Jordan Bardella et sa liste se sont ainsi opposés à la taxe sur les superprofits des géants du secteur de l’énergie et à son élargissement à d’autres secteurs.
Les décisions prises durant le dernier mandat
Le Parlement Européen s’occupe de sujets majeurs qui ont des conséquences concrètes sur la vie des citoyens. Par exemple : la réforme de la politique agricole (qui alloue 9 milliards d’euros par an à la France et a un impact majeur sur notre agriculture), la protection de l’environnement et l’énergie, les fonds pour le développement rural et urbain, la régulation des plateformes numériques, la protection de la vie privée en ligne, le commerce international, la gestion des frontières européennes, le budget de l’Union européenne (1 824 milliards d’euros pour la période 2021‑2027). Le Parlement peut également rejeter les accords commerciaux.
Après les dernières élections européennes en 2019, les principaux axes de travail du Parlement européen reposaient sur l’adoption d’un pacte vert, la première réglementation de l’intelligence artificielle et des GAFA et de nouvelles règles budgétaires pour l’Union européenne. Au cours des cinq dernières années, 389 textes ont été adoptés au Parlement européen.
Parmi eux : l’interdiction du plastique à usage unique (qui représentent 50 % des déchets retrouvés sur les plages), une taxe temporaire sur les superprofits des entreprises fossiles pendant la crise des prix de l’énergie, un budget d’1 milliard d’euros pour aider 10 territoires à se décarboner et reconvertir les emplois, l’interdiction de commercialiser des produits issus de la déforestation, la volonté d’inscrire l’écocide dans le droit européen.
La pandémie de COVID et la guerre en Ukraine ont radicalement redéfini les contours de son action et accéléré les transformations envisagées. Ainsi, le plan de relance européen « NextGenerationEU » de 750 milliards d’euros est le premier endettement commun des pays européens et a permis de diminuer les conséquences économiques et sociales du Covid.
Pour la guerre en Ukraine, des sanctions ont été prises en commun et un pacte de solidarité à hauteur de 98 millions d’euros a été voté. Une partie des prêts non-utilisés du plan de relance a servi à la création du plan RePowerEU (300 milliards) pour la souveraineté énergétique européenne afin de s’approvisionner en charbon, gaz et pétrole hors de la Russie.
Les reculs écologiques et sociaux
Lors de la dernière mandature, l’un des objectifs du Parlement européen était de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’économie européenne pour atteindre la neutralité carbone en 2050, faisant de l’UE le 1er continent à s’y engager.
Pour y parvenir, un ensemble de mesures instaurées dans le « Green Deal Implementation Act », traduction le Pacte Vert en français, parmi lesquelles : la réforme de la PAC (vécue comme un échec pour la transition agroécologique), la réduction des émissions de CO2 d’au moins 55% d’ici 2030, la fin du moteur thermique en 2035, la taxe carbone aux frontières, ou encore la suppression de certains pesticides au sein du « FIT for 50 ».
Hélas, les décisions prises n’ont pas été à la mesure de l’ambition première du texte. Ainsi, le texte sur la « restauration de la nature » a été voté en s’appuyant sur une obligation de moyens et non de résultats : pour la restauration de 20 % des terres dégradées et des mers de l’Union européenne d’ici à 2030, et de tous les écosystèmes d’ici à 2050.
Sur les déchets, la proposition de règlement relative aux emballages, conçue pour faire face aux niveaux alarmants de déchets d’emballages en Europe, a été largement affaiblie sous la pression d’un lobbying intense, aboutissant à la suppression de la plupart des dispositions visant à lutter contre les emballages inutiles et les objectifs de réutilisation pour 2040.
Côté agricole, la réautorisation du glyphosate pour 10 ans ou l’approbation des règles d’assouplissement des nouveaux OGM, dits « nouvelles techniques génomiques » (NTG) pose de sérieux défis sanitaires et écologiques.
Les chantiers importants à venir
Pour que le Pacte Vert retrouve son ambition initiale, il faudrait notamment trouver plus de fonds pour financer la transition écologique et sociale. Justement, le Parlement Européen tente de taxer la spéculation financière pour récolter 57 milliards d’euros par an. Le seul Etat-membre qui bloque encore cette mesure est la France.
« Lors du vote de la résolution, Stéphane Séjourné, présidence du groupe centriste au Parlement européen et proche de Macron a voté contre, le FN a voté contre : on voit que les fachos et les ultra libéraux partagent les mêmes dogmes » dénonçait Pierre Larrouturou à La Relève et La Peste l’an dernier
Les votes des français.es sont donc cruciaux pour toutes les lois que le Parlement européen pourrait mettre en place lors des cinq prochaines années : rendre les transports en communs gratuits, encourager une agriculture durable et bio, interdire les polluants éternels (PFAS), promouvoir les énergies renouvelables, interdire la surpêche, promouvoir l’égalité des genres et taxer les ultrariches.
Et pour veiller à ce que les futurs élus ne soient pas tentés de participer à une nouvelle affaire de corruption à l’image du QatarGate, certains partis ont des propositions en matière de transparence et de lutte contre les conflits d’intérêts.
Les listes de PS-Place publique et des Écologistes proposent la création de « délits d’atteinte aux intérêts démocratiques de l’Union », avec un système complet d’infractions (corruption active et passive, trafic d’influence actif et passif), mais aussi l’extension de la compétence du Parquet européen comme de l’Office de lutte antifraude (Olaf), pour poursuivre ce type de délits.
Étrangement, ces sujets ne figurent absolument pas dans de nombreuses autres listes, du PCF à Renaissance, en passant par Les Républicains (LR), le Rassemblement national (RN) ou Reconquête. Pour lutter contre les conflits d’intérêts, le PCF propose une seule mesure : interdire les pratiques de « pantouflage » (passage du public au privé), pour les commissaires comme pour les eurodéputé·es, durant une période de transition de sept ans – deux ans pour La France insoumise (LFI), cinq ans pour PS-Place publique.
Pour l’heure, les eurodéputé·es sortants devront attendre six mois avant de rejoindre le privé et échanger avec des élu·es de l’institution, tandis que les ancien·nes commissaires doivent faire connaître, dans les deux années qui suivent leur départ, leurs projets à la Commission européenne. Ils et elles ne peuvent pas non plus exercer de lobbying en lien direct avec leur ancien portefeuille durant cette même période de deux ans.
Tous les eurodéputés touchent la même rémunération mensuelle. Au 1er juillet 2023, elle s’élevait à 10 075,42 euros brut, soit 7 853,89 euros net selon le Parlement européen. Ils disposent en outre d’une indemnité de frais généraux de 4 950 euros (informatique, téléphone…), et d’une indemnité journalière de 350 euros. Les stagiaires et assistants parlementaires sont rémunérés via une dotation globale de 28 696 euros par mois que ne perçoivent pas directement les élus.
Cette année, le scrutin pourrait marquer une profonde évolution des rapports de force dans l’hémicycle européen. Montée en puissance des eurosceptiques, élargissement, budget commun, guerre en Ukraine, défi climatique et migratoire. Avec une inconnue majeure : quel sera le niveau de l’abstention pour ce scrutin déterminant pour l’avenir des Vingt-Sept ?
Au-delà de l’attribution de l’argent des contribuables vers certaines personnes, c’est sur la justice sociale avec la taxation des grandes fortunes et la redéfinition d’une société plus écologique que les citoyens européens sont invités à s’exprimer à travers ce vote. On l’a vu, chaque texte de loi est arraché à seulement quelques voix près, les abstentionnistes ont donc un rôle majeur à jouer cette année en faisant mentir les sondages.
En France, les bureaux de vote ouvriront ce dimanche à 8 heures et fermeront entre 18 et 20 heures, selon les communes. Pour aller voter, il faut être inscrits sur les listes électorales pour le scrutin du 9 juin, et une pièce d’identité suffit le Jour J. Les estimations et les résultats seront communiqués dimanche soir pour tous les pays de l’UE.