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Depuis 20 ans, la population française perd de plus en plus de libertés et s’y habitue dangereusement

"La technologie a un effet démultiplicateur des pouvoirs de l’État. Sur la reconnaissance faciale, le gouvernement a reculé pour mieux sauter. Il y a une mission d’information au Sénat en cours sur son déploiement."

Ces cinq dernières années ont été émaillées par un recul net des libertés publiques, engendré par des réponses étatiques au mouvement des Gilets Jaunes et à la crise sanitaire. Loin d’être un seul « effet Macron », ce phénomène est en fait à l’œuvre depuis 20 ans en France. Un constat développé par Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer pour Amnesty International, et Pierre Januel, ancien attaché parlementaire et fonctionnaire au Ministère de la Justice, dans leur ouvrage « Comment l’État s’attaque à nos libertés ». Dans ce puissant décryptage historique, les deux auteurs nous avertissent : il est faux de dire que nous sommes dans un pays laxiste, au contraire la répression s’aggrave. La population s’habitue dangereusement à la perte de ses libertés, et il n’a jamais été aussi urgent de les défendre face au déploiement de technologies de surveillance comme la reconnaissance faciale.

LR&LP : Que vous a donné l’envie d’écrire ensemble cet ouvrage ?

A-S.S : L’idée est venue à un moment où l’on parlait beaucoup de libertés en 2021. Il y avait notamment une grosse mobilisation contre la loi sécurité globale et beaucoup de questionnements sur ce qu’on peut faire, ce qui s’est passé, quel est le moment où nos libertés ont basculé.

La réponse est complexe : certes, il y a eu beaucoup de lois répressives pendant le mandat d’Emmanuel Macron mais cette tendance vient de plus loin, par des dynamiques assez variées. En fait, il y a eu un effet d’accumulation, d’effet perlé de régression des libertés publiques qu’on observe en France mais également à l’étranger, comme nous l’observons dans le livre, car c’est un phénomène mondial.

P.J. : On a beaucoup parlé de libertés ces dernières années à travers la loi sécurité globale mais également suite aux mobilisations des Gilets Jaunes, avec de nombreuses questions autour de la gestion du maintien de l’ordre. Puis, s’est posée la question des libertés publiques pendant la crise sanitaire, où le premier réflexe de l’État français a été de mettre en place un état d’urgence sanitaire calqué sur la loi de 1955 qui avait précédemment servi après les attentats du 13 novembre 2015. Cette gestion assez policière de la crise sanitaire nous a interrogé, c’est pourquoi on a voulu retracer l’historique des libertés publiques ces 20 dernières années.

LR&LP : La France est le 1er pays européen à avoir mis en place le pass sanitaire : comment expliquer que le « pays des droits de l’homme » soit le plus prompt à mettre en place un outil de contrôle de la population et de ses déplacements ?

P.J. : Nous sommes en fait le pays de la déclaration des droits de l’homme, c’est un distinguo important. Ensuite, il y a une sorte d’habitude française de mettre en place des mesures administratives face à un problème social. La France n’est pas le seul pays à l’avoir mis en place, mais on a été le premier et on a fait une transition rapide du pass sanitaire au pass vaccinal. Il y a une volonté et habitude pour l’État français d’adopter de suite ce type de solutions.

A-S.S : Ces réflexes sur des réponses basées sur la répression remontent à loin dans le temps, dès la lutte contre les « jeunes délinquants en banlieue », qui s’est ensuite diffusée dans plein de domaines, et on le retrouve aujourd’hui dans la question de la gestion sanitaire.

Alors qu’il s’agissait vraiment d’une crise de santé publique, la réponse a été très largement policière avec des amendes, et tout l’historique de l’état d’urgence est spécifiquement français avec les attentats de 2015 même si d’autres États ont mis en place des réponses répressives et un renforcement de la sécurité, en France cela a été extrêmement fort.

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LR&LP : Pourquoi la France a pris ces habitudes d’État d’urgence et de réponse policière systématisée lorsqu’une crise s’annonce ?

A-S.S  : Il n’y a pas un seul facteur mais surtout des enjeux de communication et électoraux. On commence par la campagne électorale de 2002 où c’était plus avantageux pour certains partis de mettre en avant des thèmes sécuritaires, et on voit aujourd’hui comment cette pratique a perfusé dans la plupart des autres partis politiques.

On sort de deux ans de pandémie, et le débat des élections n’est pas du tout axé autour d’une politique de santé publique.

Cela s’explique aussi par le fait que les hommes et femmes politiques vont être tenus responsables de ce qu’ils ont fait ou pas face à une crise, et il est plus facile pour eux de mettre en place un nouveau délit ou une nouvelle amende, et de compter les personnes sanctionnées, plutôt que mettre en place des politiques de plus long terme autour de l’éducation ou de la santé publique.

Leurs effets sont plus solides à terme mais moins mesurables de manière quantitative. Il est moins facile d’adopter « la politique du chiffre » dans le domaine des sciences sociales que cela ne l’est sur une approche répressive, qui n’est pourtant pas très efficace comme on l’a montré.

P.J : On observe concrètement une certaine accoutumance à ces méthodes répressives systématiques. En 2002, notre Code Pénal comptait 5400 délits et 411 crimes, en 2018 il listait 8000 délits et 700 crimes. De la même façon, on avait à peu près 49 000 détenus en 2002, on vient de repasser au-dessus de 70 000.

Il est faux de dire qu’on est dans une société de plus en plus laxiste, on est plutôt dans une société de plus en plus répressive.

Même sur les durées de détention, il y a 20 ans, un étranger sans papiers restait maximum 12 jours dans un centre de rétention, aujourd’hui, c’est trois mois. Et c’est cette accoutumance qu’on a souhaité interroger. Il y a une grande continuité politique française, il n’y pas un effet Macron, un effet Hollande, ou un effet Sarkozy : depuis 2002, c’est une continuité dans le mode de pensée politique et la façon de faire.

A-S.S : Sur la manière dont les hommes et femmes politiques peuvent se sentir obligés de l’autoritarisme, on a vu la dynamique à l’œuvre dans le suivi parlementaire sur les mesures de l’état d’urgence anti-terroriste.

Plus on avançait dans le temps après les attentats, moins ces mesures étaient efficaces et c’était reconnu dans les débats politiques mais il y avait une peur de les enlever parce que s’il y avait un attentat, les politiques risquaient d’en être tenus pour responsables, et donc cette accoutumance s’est aussi créée de cette manière-là. Comme si se désarmer faisait qu’on allait être responsables de ce qui se passerait par la suite. Et le résultat c’est la surenchère dans différents domaines au détriment d’autres moyens de lutter contre les problèmes de fond.

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LR&LP : Est-ce que cette obligation peut se ressentir quand le Ministre de la Santé Olivier Véran est venu hurler sur les députés à l’Assemblée Nationale pour les obliger à suivre les consignes sanitaires de l’exécutif ?

P.J : Personnellement, cet épisode ne m’a pas tant choqué, c’est le jeu politique habituel. Les restrictions de liberté peuvent être nécessaires et justifiées dans un certain laps de temps mais on ne prend jamais le temps d’en débattre pour le définir rationnellement.

On prend l’habitude de renforcer le pouvoir de l’État. Après les attentats du 13 novembre, on a fini par prolonger l’état d’urgence pendant deux ans pour finir par intégrer ces mesures dans le droit commun en octobre 2017. Cette habitude est désormais bien ancrée.

A-S.S  : Je trouve quand même qu’il est devenu compliqué d’avoir des débats apaisés au Parlement sur des sujets de cette importance-là parce qu’il y a eu beaucoup de lois très rapidement, des lois fourre-tout où l’on examine rapidement énormément de sujets qui mériteraient plus de temps de débat voire des lois spécifiques, souvent sur des procédures d’urgence, avec un vote assez automatique de la majorité qui faisait que la réaction de l’opposition allait être de proposer des milliers d’amendements en réponse pour protester.

Du coup, on perd la possibilité d’avoir des vraies réflexions de fond, et de prendre le temps de faire une réelle évaluation de l’efficacité des mesures qui sont prises : plus les députés passent du temps à voter de nouvelles lois sur plein de sujets, moins ils ont de temps pour l’évaluation. Le jeu politique a perdu en qualité avec ce type de réflexe législatif face à une crise. Il faudrait toujours se demander si c’est vraiment nécessaire de faire une loi et quel type de loi.

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LR&LP : Cela revient à ce que l’on évoquait précédemment, l’état d’urgence sanitaire a été validé alors qu’on a vu les limites de l’efficacité de l’état d’urgence contre le terrorisme. La population en arrive donc à tolérer des pertes de libertés pour des mesures peu probantes, comment cela se fait-il ?

A-S.S : Les deux restent très différents. Il peut y avoir des mesures qui ont été utiles, mais elles n’ont pas été évaluées. Le terme d’urgence devrait être questionné. On pourrait très bien envisager des mesures d’urgence pour 3 mois dans des conditions extrêmement strictes et après on voit où on en est, plutôt que la prolongation permanente de ces mesures.

Et sur la question de l’acceptabilité des citoyens, il y a un effet d’accoutumance très fort. Sur la question des fouilles, on l’a tous accepté après le choc des attentats puis finalement c’est quelque chose qui est rentré dans nos vies quotidiennes et vont assez loin puisque maintenant on se fait fouiller pour aller en manifestation, avec des personnes qui se font arrêter simplement pour ce qu’elles ont dans le sac en allant manifester, quand bien même elles allaient être pacifiques. C’est une privation de liberté très forte qui est à l’œuvre car elle peut dissuader les gens d’utiliser leur droit à manifester.

Il y a régulièrement un usage excessif du gaz lacrymogène face aux manifestants. Tout le monde a été très choqué par les blessés graves et les mutilés par les forces de l’ordre lors du mouvement des Gilets Jaunes mais cela occulte le fait qu’on a de très nombreuses armes qui circulent dans l’espace public en permanence. Puis en France, on a moins d’attachement aux libertés publiques que dans les pays anglo-saxons.

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LR&LP : Qu’est-ce qui distingue la France des pays anglo-saxons ?

A-S.S. : C’est avant tout culturel, ils comptent notamment de grosses ONGs uniquement basées sur la défense des libertés. Cependant, ces pays ne font pas exception à la règle : ces régressions des libertés publiques s’observent partout dans le monde.

Même au Royaume-Uni en ce moment, il y a une Policing bill qui a été votée qui s’attaque assez frontalement au droit de manifester, qui est une réponse au mouvement Black Lives Matter et à toutes les actions de blocage écologistes, c’est une vraie atteinte aux droits de manifester qui entraîne une mobilisation massive de la société civile au Royaume-Uni contre cette loi, y compris par les parlementaires.

Le maintien de l’ordre au Royaume-Uni n’est pas exemplaire, mais comprend des policiers moins armés et va prendre le temps de mener des réflexions sur la façon de faire les choses qui soient plus basées sur le dialogue qu’en France.

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LR&LP : L’un des chapitres du livre explique comment la dystopie technologique est en marche, de la vidéosurveillance à la biométrie. Le phénomène est très fort à Nice qui a même mis en place une expérimentation de reconnaissance faciale à grande échelle, à Millau des citoyens ont reçu une amende par vidéosurveillance pour avoir manifesté, puis maintenant le pass vaccinal et son QR Code : la surenchère technologique de la surveillance des citoyens est-elle un danger pour les libertés publiques ?

P.J. : C’est un point clé quand on regarde l’évolution de la répression ces dernières années. Aujourd’hui la technologie permet des choses qui n’étaient pas possibles, même pas envisageables il y a 20 ans.

Sur la mise en place de ces technologies, il y a une pression assez forte d’un certain nombre d’industriels d’aller plus loin et permettre des choses qui aujourd’hui ne sont pas autorisées. Jusqu’ici la CNIL a plutôt tenu bon, malgré quelques expérimentations à droite et à gauche, en exigeant un cadre légal.

Suite aux manifestations sur la loi sécurité globale, le gouvernement qui s’était déclaré en faveur d’expérimentations a reculé a priori jusqu’après les élections présidentielles. Jusqu’ici, on sent une vraie réticence de la population qui veut éviter à tout prix la surveillance technologique qui existe en Chine. Tous les industriels européens vont vous dire que le modèle français sera très différent de ce modèle-là, mais nous n’avons aucun garde-fou une fois qu’elles seront mises en place.

Il y a 25 ans, quand vous vouliez faire suivre une personne, vous pouviez la filocher, mettre sur écoute sa ligne téléphonique mais vous n’aviez pas accès comme aujourd’hui à toutes les informations qu’on donne à Google et à notre téléphone portable, où on est géolocalisés en permanence, où on a un échange beaucoup plus riche avec d’autres personnes et l’historique de nos recherches qui dévoile chacun de nos centres d’intérêt… Donc la question est de savoir jusqu’où va-t-on et permet-on à la loi d’aller quand la technologie est si puissante ?

A-S.S. : La technologie a un effet démultiplicateur des pouvoirs de l’État. Sur la reconnaissance faciale, le gouvernement a reculé pour mieux sauter. Il y a une mission d’information au Sénat en cours sur son déploiement.

Et la question qui se pose essentiellement lors de cette mission est : comment légiférer ? C’est à dire que le débat sur la nécessité ou non d’avoir de la reconnaissance faciale dans l’espace public est déjà passé. Il va y avoir de l’expérimentation, parfois censurée par la CNIL, une utilisation illégale de temps en temps c’est ce qu’on a vu sur les drones déployés dans le cadre de manifestations contre le confinement alors que ce n’était pas légal, donc cela avait été censuré par le Conseil d’État.

Cela arrive par petites touches, on tente de le déployer dans l’espace public et puis ensuite, c’est là, donc il faut légiférer pour que cela devienne légal et la population est mise devant le fait accompli : il faut une loi car ces technologies existent. C’est de cette façon qu’elles s’imposent, c’est à dire qu’on se passe du débat d’origine sur nos besoins, les pertes de nos libertés, et de leur apport réel, ou non, pour la société. Alors que le déploiement de ces technologies peut créer d’énormes problèmes sociétaux.

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Un autre point assez typique, et cela dans tous les pays, c’est que quand ces technologies arrivent elles ne sont utilisées que pour des buts absolument légitimes que personne ne pourra contester.

En Inde, ils l’ont déployé pour retrouver des enfants perdus. En Russie, c’était utilisé initialement pour lutter contre le terrorisme. Résultat, en Inde comme en Russie, cela a été utilisé pour identifier les manifestants. Le point d’entrée n’est donc jamais choquant mais ensuite le cadre s’élargit et s’attaque aux libertés publiques.

Et cela vaut pour ces technologies et pour d’autres domaines, comme les fichiers d’empreinte génétique. Au début, ils étaient réservés pour les crimes les plus graves comme les violences sexuelles, la pédophilie. Aujourd’hui, il y a 4,8 millions de français dont les empreintes génétiques sont fichées.

Parmi eux, des personnes étaient simplement en manifestation et ont subi des arrestations arbitraires sans que l’on trouve quoi que ce soit à leur reprocher derrière, donc ça s’est très largement élargi. C’est la technique du pas dans la porte pour toutes ces nouvelles technologies.

P.J. : Un autre bon exemple, ce sont PASP et GIPASP qui ne sont pas des relevés d’empreintes mais des fichiers de renseignement territoriaux, là où on stocke les informations autour des personnes jugées violentes qui relève du renseignement territorial. En écrivant le livre, on s’est aperçus que le Ministère de l’Intérieur avait publié un certain nombre de décrets relatifs à ces fichiers de manière assez discrète. Ils sont parus au Journal Officiel sans annonce préalable.

On a appris à ce moment-là que d’une part il y avait une possibilité de fichage des activités politiques, ce qui au moment de la création de ces fichiers il y a 15 ans, a suscité un scandale, c’était le scandale Edvige, et est entré dans la loi aujourd’hui. On s’est aussi aperçus que les fichiers avaient pris 20 000 inscrits supplémentaires en deux ans, de 40 000 à 60 0000 personnes fichées, directement en lien à la crise des Gilets Jaunes.

Et je ne suis pas persuadé que tous les Gilets Jaunes qui occupaient des ronds-points à côté de chez eux avaient conscience de risquer d’être fichés pour les 10 prochaines années dans tous les commissariats de France. Il y a 30 ans, vous étiez fiché sur des fiches en carton, aujourd’hui votre profil est accessible en ligne depuis n’importe quel commissariat, grâce à la technologie.

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LR&LP : Que répondez-vous à ceux qui pensent qu’ils n’ont rien à se reprocher et donc rien à cacher ?

A-S.S. : On s’en fiche trop souvent quand on n’est pas concernés, et effectivement ces mesures sont toujours présentées comme des moyens de lutte contre une menace nationale. Mais d’une part, ce sont des ennemis à définition variable, et d’autre part, on l’a vu, cela s’étend toujours très rapidement. Donc tout le monde devrait se sentir concernés et s’y intéresser beaucoup plus tôt.

A Millau, ils ont fini par gagner au tribunal, deux ans après : deux ans de bataille judiciaire pour être allés manifester pour les soignants c’est un peu lourd.

Et surtout, les outils qu’on met en place dans l’espace public aujourd’hui vont rester quels que soient les gouvernements à venir donc quand on laisse des notions juridiques vagues servir de garde-fou, on laisse beaucoup de pouvoir à l’exécutif.

Si on a un jour un gouvernement qui considère que les syndicalistes sont de dangereux agitateurs, ils peuvent devenir la cible de mesures de contrôle et de surveillance, ce qui a d’ailleurs déjà été le cas à plusieurs reprises.

Quand on dit que ces outils sont utilisés avec « discernement », c’est excessivement dangereux pour les libertés publiques que le garde-fou d’une autorité en place soit le « discernement » en cas de débat démocratique. Ce n’est pas du tout sécurisant, le droit doit être beaucoup plus encadré que ça.

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LR&LP : Quand on voit qu’on est fiché, quand on voit qu’on est fouillé, et qu’il y a une espèce d’hystérisation du débat public avec le fait de devoir prendre des mesures en urgence sinon on est responsables de tous les maux de la société française, quels espaces restent-ils aux citoyens pour débattre sereinement et faire valoir leurs opinions sur des sujets de fond ?

P.J. : La France n’est pas une dictature, il reste encore des espaces de liberté et heureusement. Un des points majeurs, évoqué dans l’ouvrage, c’est que les mobilisations citoyennes sont centrales pour défendre et protéger les libertés publiques.

On l’a vu lors de la loi sécurité globale, au départ l’article allait passer et c’est la mobilisation citoyenne qui a permis un recul sur ce point, d’abord au sein-même du Parlement qui s’est emparé des revendications citoyennes puis avec la décision courageuse du Conseil Constitutionnel. Il est donc crucial de prendre ce sujet au sérieux, et ne pas minimiser la puissance de la société civile pour actionner les institutions servant de contre-pouvoir de l’exécutif

LR&LP : Sur cette loi sécurité globale, ce qui est assez prégnant c’est que de nombreuses strates de la société ont unies leurs forces. Peut-on en déduire que l’augmentation de la répression de l’État entraîne une convergence des luttes ?

A-S.S. : La mobilisation des journalistes a beaucoup joué pour médiatiser la lutte, mais aussi des universitaires et des avocats. Ce qui doit nous inquiéter, c’est que derrière la loi sécurité intérieure a repris l’article controversé et l’a inscrit dans la loi en le modifiant un peu pour le rendre constitutionnellement acceptable, et là il n’y a pas eu de mobilisation. C’est là toute la difficulté.

Oui, il peut y avoir une convergence des luttes, mais comme la stratégie politique c’est l’accumulation de petits textes de lois, de décrets, un peu partout, les gens ne peuvent pas être mobilisés tout le temps et c’est le piège contre lequel je mettais en garde au départ. La perte des libertés est assez perlée, assez discrète avec des phases d’expérimentation et de pratiques illégales, des phases d’état urgence qui finissent par être prolongées et du coup il faudrait être mobilisés, longtemps, en continu et à beaucoup.

Pour finir quand même sur une note d’espoir, il n’y pas forcément besoin d’être si nombreux que ça pour faire basculer le rapport de force, on le voit à chacune des victoires citoyennes comme celle contre la loi sécurité globale qui a rassemblé des gens qui n’étaient pas experts sur le droit. Pour défendre nos libertés publiques, il suffit qu’une petite partie de gens qui ne s’y intéressent pas d’habitude se mobilisent pour changer les choses.

Crédit photo couv : Steven Wassenaar / Hans Lucas via AFP

Laurie Debove

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