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France : la criminalisation des militants par le gouvernement s’accélère !

Ces dernières années, les lois qui restreignent peu à peu le droit de manifester pacifiquement se multiplient. Toutes ces lois ont permis aux forces de l’ordre de punir des dizaines de milliers de manifestants et de restreindre considérablement leurs libertés. Mesures hautement dissuasives, elles sapent en profondeur l’exercice du droit fondamental de manifester, en instillant la peur au sein de la population.

À l’heure de l’état d’urgence et des restrictions sanitaires, il semble utile de revenir sur la situation des libertés publiques. Émaillées de manifestations aussi historiques que massives, ces trois dernières années ont vu drastiquement reculer nos droits les plus fondamentaux, comme le démontre un rapport d’Amnesty International, « Arrêté·e·s pour avoir manifesté », en date de septembre 2020.

Une montée en puissance de la répression policière

Le mouvement des « Gilets Jaunes », les marches pour le climat, les manifestations contre la réforme des retraites ou le Code du travail, les actions contre l’injustice fiscale, la lutte pour l’égalité raciale : toutes ces expressions de la société ont en commun d’avoir fait l’objet, de la part du gouvernement, d’une répression sans précédent dans l’histoire récente.

Dans la droite ligne de ses prédécesseurs, le quinquennat d’Emmanuel Macron est jusqu’ici marqué par une escalade autoritaire se traduisant dans la législation et les pratiques des forces de l’ordre.

Le 17 novembre 2018, près de 300 000 personnes descendent dans les rues, ronds-points, stations services, péages de toute la France pour protester contre la flambée des prix du carburant, notamment à cause de la taxe carbone. Ils revêtent comme signe distinctif la chasuble de sécurité obligatoire dans tous les véhicules : le mouvement des « Gilets Jaunes » est né.

S’il dure encore aujourd’hui, plus sporadiquement, son apogée semble avoir été atteint entre l’acte III (polémique de l’Arc de Triomphe) et l’acte VIII (l’entrée dans la cour de l’hôtel de Rothelin-Charolais), lorsque les manifestants ont surpris le monde entier par la puissance et l’originalité de leurs actions.

Très vite, le mouvement élargit ses revendications à tous les domaines de la société, organise des assemblées et des débats, formule des propositions au législateur. Spontanéité, justice sociale et démocratie directe sont les maîtres mots.

Face à l’ampleur des manifestations et leur caractère souvent incontrôlable, les pouvoirs publics mettent en œuvre une répression sans commune mesure depuis Mai 68.

Image du rapport d’Amnesty International

Le 1er janvier 2019, le nombre de manifestants blessés s’élève à 1 700, dont une centaine de blessés graves (œil crevé, main arrachée, crâne fracturé, etc.), causés par l’utilisation excessive de projectiles à impact cinétique (ou armes non létales).

Selon les chiffres officiels, rien qu’en 2018, les forces de police auraient tiré 19 071 balles de défense, 1 428 grenades lacrymogènes (GLI-F4) et 5 420 grenades de désencerclement.

Cette stratégie de dissuasion par la violence fut doublée d’un déchaînement de la machine judiciaire. Les statistiques communiqués par Amnesty font état, entre novembre 2018 et juillet 2019, de 11 203 gardes à vue et 5 241 poursuites, ayant entraîné 2 530 rappels à la loi et 3 204 condamnations dans toute la France.

Parmi ces dernières, au moins 1 000 manifestants ont subi une peine de prison ferme (dont 400 avec incarcération immédiate) et 1 240 une peine de prison avec sursis, tel que le confirment les chiffres obtenus par Le Monde.

Comme l’indique Amnesty, le mouvement des Gilets Jaunes n’est qu’un exemple, car le même constat pourrait être dressé vis-à-vis de la contestation contre la réforme des retraites et dans une certaine mesure les marches contre le climat. Plus les années passent, plus les militants sont criminalisés, plus la justice pénale évolue pour entraver la liberté d’expression et le droit de manifester.

Lire aussi : « Répression au balcon : aucune loi n’autorise à imposer le retrait des banderoles »

Les violations françaises à la liberté de manifester

Ces dernières années, les lois qui restreignent peu à peu le droit de manifester pacifiquement se multiplient. L’ONG Amnesty en mentionne plusieurs, qu’elle estime « en violation du droit international et régional relatif aux droits humains et des normes en la matière, dont l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), deux textes auxquels la France est un État partie. »

1. L’interdiction générale de la dissimulation du visage. Adoptée en avril 2019, cette mesure assimile toute dissimulation du visage à un comportement violent ou à une intention de se livrer à des actes de violence. Une personne peut dès lors être injustement interpellée et condamnée pour s’être couvert le visage aux abords d’une manifestation.

2. L’outrage à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique. Bien que cette loi existe depuis fort longtemps, la police en a fait récemment une utilisation abusive. En 2019, 20 280 personnes ont été déclarées coupables de ce délit, pour avoir critiqué de vive voix, affiché des banderoles ou entonné des slogans plus ou moins contre les forces de l’ordre (Amnesty cite par exemple le slogan « Oui au muguet, non au LBD »).

3. La participation à un groupement en vue de la préparation de violences. Ce délit a été introduit dans le Code pénal en 2010 ; 1 192 manifestants en ont été déclarés coupables en 2019. C’est cette disposition qui a permis aux forces de l’ordre d’arrêter systématiquement toute personne qui s’était munie de lunettes de plongée, d’un masque, de gants ou encore d’un casque en manifestation, alors que ces objets servent la plupart du temps à se protéger des violences policières. D’une formulation extrêmement imprécise, cette disposition a aussi permis d’arrêter des journalistes

4. L’obligation de déclarer les manifestations (42 « coupables » en 2019). En France, le Code de la sécurité intérieure oblige les organisateurs de manifestations ayant lieu dans l’espace public de faire une déclaration aux autorités compétences entre trois et quinze jours avant les faits, sans quoi ils s’exposent à de lourdes peines. Ce délit a été particulièrement utile pendant le mouvement des Gilets Jaunes, dont un très grand nombre de manifestations étaient organisées spontanément, sans prévision de point de rassemblement ni de trajet.

5. Les peines complémentaires. Cette dénomination inclut l’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, l’interdiction de séjour et la restriction du droit de circuler librement. Depuis avril 2019 également, les juges peuvent prononcer ces peines complémentaires pour des personnes reconnues coupables des délits précédents, de violence ou de dégradation.

Enfin, il faut ajouter à cette liste les délits d’attroupement et de participation à une manifestation susceptible de troubler l’ordre public. Toutes ces lois, en plus des autres, ont permis aux forces de l’ordre de punir des dizaines de milliers de manifestants et de restreindre considérablement leurs libertés. Mesures hautement dissuasives, elles sapent en profondeur l’exercice du droit fondamental de manifester, en instillant la peur au sein de la population.

Les associations dans le viseur des pouvoirs publics

Dans son premier rapport, publié le 6 octobre, le nouvel Observatoire des libertés associatives a recensé, preuves à l’appui, une centaine de situations dans lesquelles les pouvoirs publics ont entravé ou porté atteinte directe aux associations, entre 2010 et 2020.

Choisies parmi des milliers d’autres, ces cent expériences sont présentées comme représentatives de l’infléchissement actuel des libertés publiques.

Des centres-villes aux campagnes en passant par les quartiers populaires, tous les territoires semblent touchés, ainsi que tous les types d’associations, qu’elles défendent l’environnement, le droit au logement ou combattent les discriminations.

Selon les auteurs du rapport, les atteintes de l’État seraient de quatre sortes : mise au ban et disqualification verbale des acteurs associatifs ; coupes des subventions et obstacles à l’obtention de locaux ; entraves judiciaires et administratives, à travers des procès ou des plaintes ; entraves policières (arrestations, perquisitions, dispersions, intimidations…).

Comme l’ont révélé en avril dernier Mediapart et Reporterre, à Bure, dans la Meuse, les opposants au projet de construction d’un centre d’enfouissement de déchets nucléaires, par exemple, subissent depuis des années une surveillance policière massive, qui passe par des écoutes téléphoniques, des filatures, un fichage de grande ampleur ou encore des entraves à la liberté.

Depuis 2017, de nombreux militants des collectifs locaux font l’objet de procédures juridiques sous le chef d’inculpation « d’association de malfaiteurs », avec mise en examen et interdiction de se rencontrer.

En décembre 2018, l’association Genepi (pour (Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées) s’est vu retirer ses 51 000 euros de subventions annuelles, au prétexte d’une baisse de ses activités, officieusement parce qu’elle s’attaquait à l’institution carcérale.

À Hayange, en Moselle, la municipalité tente d’ostraciser la section locale du Secours populaire, à cause de certaines déclarations de la présidente de l’association dans la presse. À Paris, le 13 mars 2020, des militants d’Attac ont été interpellés et placés en garde à vue pour avoir voulu manifester devant l’Élysée.

En novembre 2018, la garde des sceaux Nicole Belloubet n’a pas renouvelé l’agrément qui permettait à Sherpa, troisième plus grande association de lutte contre la corruption, de signaler au parquet des suspicions de délit et de rouvrir des dossiers classés…

Dans le même ordre d’idées, la cellule de renseignement « Déméter » constitue un cas d’école. Créée en 2019 par Christophe Castaner pour combattre, officiellement, l’augmentation des pratiques « d’agribashing » (un terme diffusé par le lobby de l’agriculture intensive), cette cellule de la gendarmerie nationale vise en réalité à faire taire et punir les militants qui s’opposent (le plus souvent symboliquement) au système agricole industriel et à l’élevage en batterie.

L’observatoire des libertés associatives rapporte ainsi que le 26 janvier dernier, le président de l’association Alerte Pesticides Haute-Gironde a subi l’interrogatoire de plusieurs gendarmes, une visite sans motif, visiblement effectuée à de seules fins d’intimidation. 

Interpellations et perquisitions contre des personnes ayant accroché des banderoles à caractère politique pendant le confinement, condamnations contre celles qui ont décroché des portraits du président de la République, arrestation systématique des écologistes… La liste pourrait continuer à l’infini.

Amnesty International constate que le processus de criminalisation des militants et des manifestants prend aujourd’hui une ampleur inquiétante, à mesure que des comportements qui n’étaient pas considérés auparavant comme nuisibles pour la société sont transformés en délits.

Crédit photo couv : Frédéric Scheiber / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP. Une centaine de personnes ont tenté de se rassembler à 14 heures. dans le centre-ville pour exprimer leur mécontentement vis-à-vis du gouvernement. La police a procédé à des contrôles et des arrestations pour des manifestations interdites alors que la France a entamé son endiguement depuis le 11 mai suite à la crise sanitaire liée au Coronavirus; Covid19. 16 mai 2020, Toulouse, France.

Augustin Langlade

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