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Répression au balcon : aucune loi n’autorise à imposer le retrait des banderoles

L’avocate de Laura quant à elle, Me Claire Dujardin, a déclaré à l’AFP qu’il n’y avait aucune infraction constituée : « On est plutôt sur du renseignement, de la police politique. »

Dans le courant du mois d’avril, de nombreuses personnes ont été sommées par les forces de l’ordre de retirer des banderoles à caractère politique accrochées à leur balcon ou à leur fenêtre. Dernier moyen de manifester sa colère dans une période inédite de confinement, ces banderoles ne sont pourtant pas illégales et leur retrait forcé semble être un énième abus de notre système répressif zélé.

Florilège de banderoles au balcon

Confinés, ils avaient accroché des banderoles à leurs fenêtres, des lettres noires inscrites sur de grands draps blancs, pendus aux lucarnes pour que toute la rue puisse les voir, pour que le slogan résonne chaque jour dans la tête des passants. À Paris, Caen, Toulouse ou Marseille, ils se ne connaissaient pas mais avaient pris part au même mouvement qui proposait d’exprimer sa colère depuis balcons et fenêtres.

« Macronavirus, à quand la fin ? » ; « Macron, on t’attend à la sortie !! »

Leurs banderoles avaient une virulence particulière en cette période d’exigence d’unité nationale et d’état d’urgence sanitaire : « Nous sommes gouvernés par des criminels ! », pouvait-on lire dans une rue de Montpellier, sur une grande affiche reconvertie pour l’occasion. « La liberté n’est pas confinée » ; « Des milliards pour la santé, pas pour le Cac 40 ! » À Marseille, des locataires avaient réussi à synthétiser en une phrase tout le problème du dépistage en France : « Tu veux savoir si t’as le corona ? Crache sur un bourgeois et attends ses résultats ! »

Le point commun de toutes ces personnes ? La police est venue retirer leur banderole ou les cueillir chez elles, parfois pour les placer en garde à vue.

Depuis que le confinement a débuté le 17 mars, tous les rassemblements sont interdits. Il est donc clairement défendu de manifester. Face à cette impossibilité d’employer les moyens traditionnels d’expression de la colère, des initiatives nationales sont nées spontanément. C’est ainsi que le mouvement « Cortège de fenêtres » a vu le jour, entendant rappeler « aux gouvernements successifs leur responsabilité dans la casse de l’hôpital public », à travers des banderoles, des chants tels que « Bella Ciao », ou des rendez-vous donnés sans sortir de chez soi.

« Manifestons au balcon » en est un autre exemple, et a donné naissance à des expressions saisissantes, comme « Nos vies, pas leurs profits », « De l’argent pour l’hôpital, pas pour le capital », ou encore « Confinés, égalité, fraternité ». Les murs et les enceintes des hôpitaux ont également vu fleurir un slogan qui restera dans les annales, tant il résume à merveille le cynisme du système actuel : « LVMH-PSA-Bouygues-BNP. Payez vos impôts. L’hôpital se fout de la charité ! » 

Crédit : Adrien Weiss

Répression au balcon

Cependant, la police et la magistrature ne l’entendaient pas ainsi et durant tout le mois d’avril, les mesures de répression et les interpellations se sont multipliées. Dans le quartier pavillonnaire de la Roseraie, à Toulouse, cela faisait un mois que plusieurs colocataires avaient affiché, à l’entrée de leur maison, une banderole qui faisait référence à la une du Charlie Hebdo du 29 janvier : « Macronavirus, à quand la fin ? »

À la mi-avril, rapporte La Dépêche du Midi, cinq policiers viennent sommer les résidents d’enlever leur banderole. Ils s’exécutent. Mais Laura (pseudonyme), l’une des colocataires ayant donné son identité, reçoit quand même une convocation et est placée en garde à vue le 23 avril, pour « offense au Président de la République », un délit qui n’existe pourtant plus depuis 2013, car il n’est pas conforme aux exigences européennes. Au bout de quatre heures, Laura est relâchée et l’affaire ne semble pas avoir eu de suite, bien que les six autres colocataires aient également été entendus par la police la semaine suivante.

Dans un communiqué, le NPA-31 a dénoncé « un cas grave de remise en cause de la liberté d’expression comme du droit à critiquer le pouvoir, y compris par la caricature », indiquant que les banderoles représentent « l’un des rares moyens que nous avons pour exprimer nos revendications, le droit de manifestation ayant été suspendu dans le cadre du confinement ».

L’avocate de Laura quant à elle, Me Claire Dujardin, a déclaré à l’AFP qu’il n’y avait aucune infraction constituée : « On est plutôt sur du renseignement, de la police politique. » Indignés par cet événement d’arbitraire, de nombreuses personnalités politiques, comme François Ruffin ou Olivier Besancenot, ont participé à une vidéo de soutien à la colocation, dans laquelle des centaines de personnes tiennent une pancarte arborant le même slogan. À Toulouse, La Dépêche rapporte que dans les jours qui ont suivi cette garde à vue, d’autres banderoles ont été décrochées par les forces de l’ordre, comme si de rien n’était.

Plusieurs journaux tels que Mediapart relatent des événements analogues dans toutes les villes de France. À Montpellier, la police municipale, à la demande du maire, est intervenue fin avril chez un homme qui avait décoré son balcon d’une banderole où était écrit : « Nous sommes gouvernés par des criminels ». Apparemment, les deux policiers municipaux ne savaient pas même quelle loi enfreignait ou quel délit commettait le résident.

À Paris, dans le XIXe arrondissement, la police a rendu visite à Thomas et Simon, qui avaient affiché « Macron, on t’attend à la sortie !! » à leur fenêtre. Alors que la banderole à connotation politique a dû être retirée immédiatement, la procédure n’a pas entraîné de verbalisation ni de convocation, la police étant bien incapable d’invoquer un cadre légal quelconque. Seulement, les faits sont là : elle a empêché ces deux jeunes hommes de manifester.

De la même manière à Caen, la police est venue frapper chez un étudiant qui avait affiché une banderole ne comportant pas la moindre trace de diffamation ou d’insulte : « Il y en a de l’argent magique, du fric pour le service public ». Après lui avoir demandé son identité et ses revendications politiques (sic), les policiers sont repartis bredouilles.

1er Mai confiné – Crédit : Album collaboratif de Cerveaux Non Disponibles

Une interdiction illégale

Si ces pancartes et ces banderoles avaient été brandies au cours d’une manifestation, la police n’aurait rien pu faire. Or, maintenant que les citoyens sont confinés chez eux, isolés, leur identité exposée, tous les abus de pouvoirs sont permis et les arrestations sont chose facile. Mais jouons le jeu : les policiers ont-ils le droit de faire retirer une banderole ?

Le code de l’environnement indique que tout affichage à une fenêtre est considéré comme de la publicité et en ce sens, la préfecture ou la mairie peuvent demander à l’intéressé(e) de décrocher la banderole de son balcon dans un délai de quinze jours, indique le journal Libération. D’un autre côté, la liberté d’expression est inscrite dans les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’Homme, qui possède une valeur constitutionnelle, c’est-à-dire supérieure à toute autre norme, comme le rappelle la Ligue des Droits de l’Homme dans un communiqué en date du 27 avril et faisant suite à la convocation de Laura.

« En laissant le procureur de la République agir de manière aussi partisane, c’est l’institution judiciaire elle-même qui perd sa crédibilité. »

Il n’y a ainsi aucune loi qui permette de retirer une banderole si elle n’est pas directement injurieuse ou diffamatoire.

Cette année, pour la première fois depuis 1890, le cortège traditionnel célébrant la Fête du Travail n’a pas défilé dans les rues de France. Toutefois, à l’occasion d’un 1er mai confiné, de nombreux appels ont été lancés à manifester aux fenêtres ou à y exprimer sa colère et son indignation. Dans la journée, des centaines de vidéos de casseroles, de chants et de slogans criés aux balcons ont circulé sur internet. Que ce soit au moyen de banderoles, de drapeaux, de rassemblements aux fenêtres à l’échelle d’une rue ou d’un quartier, travailleurs et syndicats ont tout de même tenu à manifester.

Quelques groupes de manifestants se sont rassemblés dans les rues, mais ils ont très rapidement été interpellés par la police, qui cette fois-ci avait en main tous les motifs qu’elle désirait. Dans d’autres villes, comme Rouen, Orléans, Marseille ou Toulouse, d’autres rassemblements miniatures ont eu lieu, mais ceux-ci demeurent anecdotiques. Rendez-vous plutôt l’année prochaine.

Crédit Photo couverture : Martin BUREAU / AFP

Augustin Langlade

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