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Le Conseil d’Etat autorise le fichage des individus et personnes morales selon leurs opinions politiques

Si le ministre de l'Intérieur a nié dans différents médias toute volonté de « créer un délit d'opinion » ou une surveillance de masse, c’est bien la dynamique à l’œuvre que l’on observe avec ces trois décrets, mais aussi la proposition de loi sécurité globale qui prépare l’industrialisation de la surveillance de masse.

C’est un désaveu pour les défenseurs des libertés publiques : le Conseil d’Etat a approuvé lundi les trois décrets permettant le fichage des citoyens mais aussi des personnes morales, donc les associations et les organisations professionnelles, selon leurs activités et opinions politiques et religieuses, appartenances syndicales ou données de santé comme des troubles psychologiques et psychiatriques. Fait notable, les trois décrets permettent également à la police d’inscrire sur ces fiches les propos tenus sur les réseaux sociaux. Les détracteurs des trois décrets accusent le gouvernement de poser la nouvelle pierre d’une dérive autoritaire liberticide, et de transformer chaque citoyen en un suspect à surveiller.

Fichage pour opinion politique et religieuse

Le 2 décembre 2020, trois décrets modifiant le Code de la sécurité intérieure sur le traitement des données personnelles ont provoqué les foudres et les inquiétudes de nombreux défenseurs des droits humains mais aussi d’organisations syndicales.

Déjà entrés en application depuis ce 5 décembre, ces trois décrets viennent officiellement renforcer le contrôle sur le risque d’atteinte « à la sureté de l’État ». Un terme flou qui sera laissé à la libre appréciation des agents chargés de récolter les données sur les opposants politiques et les associations.

Les décrets autorisent notamment les forces de l’ordre à ficher les « opinions politiques », les « convictions philosophiques et religieuses » et « l’appartenance syndicale », alors que les précédents textes se limitaient à recenser leurs « activités ». De plus, identifiants, photos et commentaires sur les réseaux sociaux y seront également annotés, comme les troubles psychiatriques.

Dans le détail, les décrets portent sur trois fichiers : le Pasp (prévention des atteintes à la sécurité publique) de la police ; le Gipasp (gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique) des gendarmes et l’EASP (enquêtes administratives liées à la sécurité publique) utilisé avant le recrutement de fonctionnaires sur des postes sensibles.

Pour avoir un ordre de grandeur, début novembre, 60.686 personnes étaient inscrites au Pasp, 67.000 au Gipasp et 221.711 à l’EASP, selon le ministère de l’Intérieur. Alors qu’ils visaient auparavant les hooligans et manifestants violents, ces fichiers recenseront désormais les données des personnes soupçonnées d’activités terroristes ou susceptibles « de porter atteinte à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République ».

Cette tournure de phrase laissant la place à une vaste interprétation, les défenseurs des droits humains voient les trois décrets comme la continuité d’une dérive autoritaire à l’œuvre sous le gouvernement Macron. Cette dérive s’est accentuée avec le nouveau « schéma national du maintien de l’ordre », publié par le ministère de l’Intérieur, qui vise à limiter, contrôler et sanctionner les manifestations beaucoup plus drastiquement.

Quelques mois après, le projet de loi sécurité globale a rencontré une mobilisation très forte de la part d’une grande partie de la population, y compris des organes de presse concernant l’interdiction de diffuser la vidéo d’agent(s) de police dans le cas où cette diffusion porterait « atteinte à son intégrité psychique ou physique ».

Là encore, un terme flou libre aux interprétations subjectives des agents, qui s’est déjà traduit par un renforcement de la répression policière sur les manifestants équipés de téléphone portable, mais aussi par de nombreuses interpellations de journalistes qui couvraient les événements.

Faible contrôle indépendant

Le Conseil d’Etat avait donc été saisi en référé par les organisations syndicales CGT, FO, FSU et des associations de défense des droits humains, dont La Quadrature du Net, qui dénonçaient la grande « dangerosité » de ces fichiers.

« C’est notre activité syndicale, notre raison d’être qui est visée, a insisté à l’audience Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT. Ces décrets entretiennent la confusion entre un militant, un adhérent, voire un salarié qui signe une pétition… Et en tant que personne morale, la CGT peut être mise en cause, c’est un risque pour la démocratie sociale. »

Cependant, le juge des référés, Mathieu Herondart, a décidé que ces textes ne représentaient pas « une atteinte disproportionnée » à la liberté d’opinion, de conscience et de religion ou à la liberté syndicale.

Il s’est justifié en expliquant que le recueil de données sensibles était déjà, par dérogation, autorisé dans le code de la sécurité intérieure, et que seules les activités « susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat » sont concernées, ce qui « interdit notamment un enregistrement de personnes sur une simple appartenance syndicale ».

Effectivement, il existe quelques garde-fous législatifs et réglementaires pour contrôler le fichage policier. Ainsi, les articles 31 et 32 de la loi Informatique et Libertés précisent ainsi que, dans tous les cas, les projets d’institution ou de modification des fichiers de police doivent être soumis, pour avis, à la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL). L’avis rendu doit également être publié.

Mais dans les faits, l’avis rendu par la CNIL n’a plus aucune valeur contraignante depuis une modification législative de 2004, et la CNIL manque de moyens pour mener à bien son travail de vérification et suivi. Dans le cas de ces trois décrets, ces derniers ont même été modifiés une fois l’avis rendu !

« D’aucuns pourraient ici penser à une intervention du Conseil constitutionnel, dont les censures sont souvent médiatiques (comme par exemple lors de la récente loi Avia sur les contenus haineux sur Internet). Il n’en est pas question ici. En effet, le Conseil constitutionnel ne contrôle que la constitutionnalité des lois, et non des règlements. (…)

Avec une CNIL relativement impuissante, un Conseil d’État souvent peu protecteur et des textes réglementaires qui semblent prévoir une collecte de données toujours plus importante, les fichiers de police ont un bel avenir devant eux, sans, pour le moment, de débat démocratique ni de limites véritables. L’application des décrets du 2 décembre 2020 devra donc être particulièrement surveillée. » explique Yoann Nabat, Doctorant en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Bordeaux sur le site TheConversation

Ainsi, si le ministre de l’Intérieur a nié dans différents médias toute volonté de « créer un délit d’opinion » ou une surveillance de masse, c’est bien la dynamique à l’œuvre que l’on observe avec ces trois décrets, mais aussi la proposition de loi sécurité globale qui prépare l’industrialisation de la surveillance de masse.

De plus, la proposition de ficher les individus en fonction de leurs opinions politiques n’est pas nouvelle. En 2008, le fameux fichier baptisé « Edvige » prévoyait entres autres de recenser des personnes exerçant ou ayant exercé un mandat politique, syndical ou économique, avait suscité un tel tollé qu’il avait été retiré. L’an dernier, un rapport gouvernemental considérait les anarchistes et les véganes comme des terroristes en puissance.

Lire aussi : https://lareleveetlapeste.fr/dans-un-rapport-gouvernemental-les-anarchistes-et-les-vegans-sont-designes-aussi-dangereux-que-des-djihadistes/

 Reste donc à savoir sur quelle légitimité des fonctionnaires normalement élus par le peuple auraient tout droit et pouvoir pour décider de l’idéologie dominante en ayant une velléité d’étouffer tout débat démocratique ?

« C’est en tous cas une loi qui, à travers cette volonté de surveillance et de fichage, révèle bien que le gouvernement nous considère tous comme suspects, comme des terroristes en puissance. On fait sauter les barrières. Pour le gouvernement, tout le monde a le droit d’être surveillé par des caméras fixes, des drones et des caméras piéton. Et puis aussi, tout le monde ou presque, parce qu’on parle de plusieurs centaines de milliers de personnes, peuvent être fichées plus facilement par la police. Il y a ce truc où, en fait, on devient de plus en plus suspect et où le gouvernement nous considère de plus en plus comme suspect par principe. Et on subit alors un renversement de la charge de la preuve : c’est à nous de prouver, derrière, notre innocence. » explique Martin Drago, juriste à la Quadrature du Net, pour QG le média libre

Alors que l’étau de la surveillance de masse et du fichage politique s’affirme de plus en plus en France, et que les restrictions sanitaires se sont accompagnées d’une isolation numérique à une échelle sans précédent, on peut se demander quels seront les derniers espaces de liberté et d’expression laissés à la population.

Crédit photo couv : Karine Pierre / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Laurie Debove

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