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11 pays de l’UE utilisent déjà des technologies de reconnaissance faciale dans l’espace public

Puisqu’il ne peut être question d’obtenir un quelconque consentement dans les espaces publics, la reconnaissance biométrique devrait être de facto interdite dans l’Union. C’est du moins ce que suggère la législation européenne.

Les services de police d’au moins onze pays de l’Union européenne (UE) utilisent des technologies d’identification biométrique à distance, en particulier la reconnaissance faciale. C’est ce que révèle un rapport d’octobre 2021 commandé par la coalition des Verts au Parlement européen, favorable à l’interdiction de tels systèmes de surveillance dans l’espace public.  

En plein essor ces dernières années, ce qu’on nomme biométrie comprend un ensemble de technologies conçues pour identifier, authentifier ou évaluer des personnes à partir de leurs caractéristiques physiques ou comportementales : traits du visage, timbre de la voix, empreintes digitales, émotions, démarche, etc.  

La reconnaissance faciale est sans nul doute la reine de ces technologies : par ce procédé, les propriétés physiques d’un visage, isolées sur une photo ou une vidéo, sont converties en données, puis comparées avec une infinité d’images contenues dans une ou plusieurs bases centralisées.

Distance entre les yeux, longueur du nez, largeur de la mâchoire, forme des joues et même texture de la peau, environ quatre-vingts « points nodaux » du visage, dont la somme est propre à chaque être humain, sont analysés par les logiciels de reconnaissance pour identifier un individu.    

Alors qu’elles envahissaient le marché des téléphones (qu’on pense seulement au déverrouillage par empreintes digitales), les technologies biométriques se sont plus discrètement diffusées au sein des services de police de la plupart des pays du Nord, qui les expérimentent ou les emploient principalement à des fins judiciaires.

Stratégie du fait accompli

L’étude remise au Parlement européen portait exclusivement sur les procédés biométriques dits non coopératifs, autrement dit ceux qui permettent d’identifier une personne sans son consentement ou à son insu, à la différence des systèmes de déverrouillage des téléphones.

À l’heure actuelle, indiquent ainsi les cinq auteurs du rapport, onze pays de l’UE auraient déployé, à une échelle limitée, ces technologies dans leur espace public : l’Autriche, la Finlande, l’Allemagne, la Hongrie, la Grèce, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie, les Pays-Bas et la France.

D’autres États — Croatie, Chypre, République tchèque, Estonie, Portugal, Roumanie, Espagne et Suède — s’apprêteraient à leur emboîter le pas. Le reste des pays de l’UE, quant à eux, n’auraient encore aucun projet dans les cartons.

À l’avant-garde de cet armement technique, la reconnaissance faciale est le plus souvent utilisée pour identifier a posteriori des suspects lors d’enquêtes criminelles. Selon les chercheurs, cette utilisation « ex post » des images aurait été rendue possible par une expansion sans précédent des bases de données biométriques et le recours simultané à de nombreux systèmes d’identification. 

«Ce que nous constatons avec ces projets, c’est qu’ils suivent de plus en plus une stratégie du “fait accompli”, a commenté l’un des auteurs de l’étude, Francesco Ragazzi, professeur à l’université de Leiden. Ils sont généralement présentés comme des projets pilotes, exigeant des circonstances particulières pour le déploiement de la technologie. Ils ne demandent une autorisation que dans un second temps.»

En Allemagne, par exemple, les villes de Berlin, Hambourg et Mannheim ont toutes trois déployé des logiciels de reconnaissance faciale pour détecter des comportements suspects à l’intérieur d’importants rassemblements de foule.

Provisoires, ces essais ne s’en situent pas moins, juridiquement, dans une « zone grise » et pourraient « à long terme […] normaliser la surveillance » biométrique, dont on mesure encore très mal « l’impact potentiel » sur « les droits fondamentaux des citoyens européens », estiment les auteurs du rapport.

Crédit : Eliza Galstyan

Nice, laboratoire sécuritaire

Outre Paris, Marseille et Valenciennes, c’est certainement la ville de Nice qui, en France, fait figure de « leader national » dans l’expérimentation des technologies biométriques. Le maire de la commune des Alpes-Maritimes, Christian Estrosi (LR),  a d’ailleurs clairement affiché son ambition de faire de Nice un laboratoire des politiques de prévention du crime.

« Depuis 2010, poursuivent les chercheurs, plus de 1 962 caméras de surveillance ont été déployées à travers la ville, ce qui fait de Nice la ville la plus vidéosurveillée de France (27 caméras par kilomètre carré). »

Le premier système de reconnaissance faciale a été installé en février 2019, durant le carnaval de Nice. La municipalité souhaitait alors évaluer l’efficacité du logiciel de l’entreprise israélienne AnyVision, en dissimulant parmi la foule des figurants dont les images ont été recoupées avec une base de données créée pour l’occasion.   

En partenariat avec la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), la mairie niçoise a ensuite voulu équiper le lycée des Eucalyptus d’un dispositif de contrôle d’accès par reconnaissance faciale, mais ce projet a été retoqué, en 2020, par le tribunal administratif de Marseille, qui a donné raison à plusieurs associations de défense des droits, parmi lesquelles La Quadrature du Net.

Dans leur jugement, les magistrats estimaient que la région PACA ne possédait pas les compétences adéquates pour mener à bien une telle expérimentation et rappelaient que la sécurisation d’un lycée ne constitue pas « un motif d’intérêt public »

Passage en force

Le Règlement européen sur la protection des données (RGPD), de 2016, considère tout fichier biométrique comme une donnée personnelle très sensible, exigeant le consentement des citoyens en cas de collecte.

Puisqu’il ne peut être question d’obtenir un quelconque consentement dans les espaces publics, la reconnaissance biométrique devrait être de facto interdite dans l’Union. C’est du moins ce que suggère la législation européenne. 

Ce point de doctrine, assez flou, n’empêche pas la France d’expérimenter ces technologies dans cinq aéroports, deux gares et au départ des bus circulant par l’Eurotunnel, comme l’indique la Quadrature du Net. Depuis 2020, la RATP déploie également un système de reconnaissance faciale dans les couloirs du métro parisien.

En conclusion de leur rapport, les cinq chercheurs recommandent aux parlementaires européens d’interdire « le déploiement à la fois généralisé et “ciblé” de l’identification biométrique à distance dans les espaces publics », ainsi que celui de « l’identification ex post », particulièrement attentatoire aux libertés.

Leur position rejoint celle de la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui alertait en juillet 2021 sur « le risque de violation du principe de non-discrimination et, plus généralement, des droits fondamentaux que ces technologies représentent pour les personnes qui y sont exposées ».

Augustin Langlade

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