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Charlène Descollonges répare le cycle de l’eau grâce à l’hydrologie régénérative

L’hydrologie régénérative est constituée de deux principes clés. Le premier est le quatuor : ralentir, répartir, infiltrer et stocker l’eau dans le sol, et, le second, de densifier la végétation.

Repenser la gestion des rivières, des eaux pluviales en ville par l’aménagement du territoire, l’activité agricole et/ou forestière afin de réparer les cycles de l’eau. Telle est l’ambition de l’hydrologie régénérative. Charlène Descollonges, ingénieure hydrologue, nous raconte l’histoire d’un cycle de l’eau régénéré.

Pour une hydrologie régénérative

Charlène Descollonges est ingénieure hydrologue indépendante, co-fondatrice et co-présidente de l’association “Pour une hydrologie régénérative » qu’elle a créée en 2022 avec Simon Ricard et Samuel Bonvoisin, deux ingénieurs spécialisés sur la gestion de l’eau en contexte agricole. Son objectif est de régénérer massivement les cycles de l’eau à l’échelle des bassins versants et des continents.

« On se base sur le recyclage continental de l’eau verte qui est l’eau évapotranspirée par le végétal et qui est recyclée en eau bleue par ce dernier à l’intérieur des continents » précise-t-elle pour La Relève et La Peste.  

L’hydrologie régénérative est constituée de deux principes clés. Le premier est le quatuor : ralentir, répartir, infiltrer et stocker l’eau dans le sol, et, le second, de densifier la végétation.

« Ralentir l’eau de pluie qui arrive à la parcelle en l’infiltrant dans les sols pour qu’elle puisse bénéficier à la végétation qui va la recycler en eau bleue. Le tout autour du triptyque : eau, sol, arbre » détaille Charlène Descollonges pour La Relève et La Peste.

« On a largement dégradé ce cycle des eaux verte, bleue et grise. L’eau verte a été profondément perturbée par le changement de la couverture et l’usage des sols causés par la déforestation, l’artificialisation, la transformation de prairies en monocultures. Tout cela affecte la trajectoire de la goutte de pluie qui ne va plus pouvoir s’infiltrer. » prévient Charlène Descollonges pour La Relève et La Peste

La notion d’eau verte est récente et commence à peine à être documentée. Si l’on fait la somme de l’empreinte des eaux verte, bleue et grise, on obtient ce que l’on appelle l’empreinte eau. En France, cette dernière est dominée à 80% par notre empreinte eau verte. Nous nous l’approprions démesurément à travers nos activités agricoles et forestières. Ensuite, nous avons l’empreinte eau bleue, associée à la consommation de l’eau que nous allons prélever et consommer à travers l’irrigation agricole ou l’évaporation des centrales nucléaires en circuit fermé.

« Il y a les impacts des hydrosystèmes : stocker l’eau dans des grands barrages ou des grands ouvrages comme les méga-bassines. Les rivières sont perturbées lorsqu’on les dévie, les canalise ou les enterre, ce qui accélère les flux d’eau en surface, quand on ne les supprime pas. Pour finir, il y a les impacts de l’empreinte eau grise qui sont tous les flux de polluants que l’on émet dans l’environnement et qui terminent dans les hydrosystèmes. 

Quand on fait la somme de l’empreinte des eaux bleue, verte et grise à l’année, on est, à l’échelle de l’humanité, à 24 000 milliards de mètres cubes d’eau. C’est comme si on détournait la moitié de tous les fleuves ceux du monde pour notre usage »

Charlène Descollonges

Charlène Descollonges – Crédit : Thierry Mesnard

Un autre cycle est possible

Un cycle qui allierait activités humaines et ce bien commun si précieux qu’est l’eau. Ce dernier contribuerait à sa régénération plutôt qu’à sa destruction. Certains pays sont des précurseurs en la matière.

« La Slovaquie est le premier pays européen à avoir largement déployé l’hydrologie régénérative sur son territoire. Ils ont axé leur gestion de l’eau en milieu forestier mais aussi agricole et fluvial. Il y a un ouvrage qui nous intéresse beaucoup en France que l’on appelle les “check dams”. Ce sont de petits barrages assez rustiques qui permettent de ralentir les flux d’eau dans les ruisseaux forestiers et la gardent dans des talwegs (ligne de plus grande pente d’une vallée secs, ndlr). Ces ruisseaux ne sont à la base pas considérés comme des cours d’eau puisqu’ils sont intermittents. Ils les réhydratent et créent ainsi des cours d’eau. » explique Charlène Descollonges pour La Relève et La Peste

D’autres ouvrages ont montré leur efficacité et n’attendent qu’à être répliqués à grande échelle. Comme les bassins d’infiltration, des petites cuvettes creusées pour optimiser l’infiltration des eaux de pluie en contexte agricole et forestier. Du côté de l’Australie, de l’Inde ou encore du Mexique, il y a les baissières, des fossés creusés perpendiculairement à la pente pour ralentir les eaux de ruissellement sur les courbes de niveau et où derrière chacune d’entre elles se trouve un bourrelet de terre dans lequel on plante des haies. Des alliances avec le Vivant sont possibles notamment avec une espèce ingénieure bien connue.

« Le castor, 8 millions d’années d’expérience ! Il cohabite avec tout un écosystème que ce soit les végétaux, les zones humides, les truites, les saumons et ses prédateurs. Il s’adapte dans un contexte rivière qui est foisonnant. Ils sont capables de recréer des zones humides, de ré-inonder des plaines et de faire remonter le niveau du cours d’eau, réhydrater la nappe d’accompagnement et d’aggrader le lit de la rivière pour qu’elle puisse s’écouler latéralement. Cela crée ainsi des nouveaux chenaux diversifiés et complexifiant la rivière. » se réjouit Charlène Descollonges pour La Relève et La Peste

Des solutions à portée de mains

Aujourd’hui, l’agroécologie intègre l’approche hydrologie régénérative avec les couverts permanents, les inter-cultures, les engrais verts, les amendements organiques ou encore le biochar. Tout ce qui augmente le taux de matière organique dans un sol permet de mieux stocker l’eau.

Les associations de cultures et les champignons nourrissent les sols et les structures. L’agroforesterie ou l’agriculture syntropique permettent d’optimiser sur des petites surfaces la production autour des arbres. Enfin, on peut citer l’agriculture biologique de conservation des sols qui est l’alliance à priori impossible entre l’agriculture biologique et l’agriculture de conservation.

« Dans mon livre « Agir pour l’eau », j’essaie de faire le lien entre le ralentissement de nos modes de vie et celui du cycle de l’eau. Pomper, consommer, rejeter, canaliser les rivières pour le transport fluvial et artificialiser les sols pour construire des routes pour aller toujours plus vite contribue à son accélération. Pour le ralentir, on doit mettre un frein à nos modes de vie, de consommation, de mobilité. C’est la sobriété. » décrypte Charlène Descollonges pour La Relève et La Peste

Il est possible de s’informer et de se sensibiliser avec le mouvement d’alliance pour le peuple castor (MAPCA) et de prendre soin de nos cours d’eau. Cette association préconise de se mettre en lien avec les services compétents sur la gestion des rivières. Il y a aujourd’hui 1600 techniciens de rivière en France montés en association (ARRA, association rivière Rhône-Alpes Auvergne) qui apprennent ces nouvelles techniques. Pour aller plus loin et sur un plan juridique, le mouvement de reconnaissance des droits des rivières et des fleuves agit afin de les intégrer aux documents d’urbanisme.

Charlène Descollonges – Crédit : Yannick Perrin

Des mesures phares pour opérer le basculement

Selon Charlène, il y a aujourd’hui des actions et des solutions possibles afin de réhydrater nos paysages. A l’échelle nationale, il est possible de réformer la PAC, notamment en interdisant l’usage des pesticides. Dans un premier temps sur les périmètres de captage d’eau potable puis de les étendre par la suite. Toujours selon Charlène, développer massivement les paiements pour services environnementaux (PSE) permettraient des rémunérations intéressantes pour les agriculteurs.

Aux yeux de l’hydrologue, d’autres problématiques sont à prendre en compte pour préserver le cycle de l’eau. « Les questions du nucléaire et de la réouverture des mines de lithium pour assouvir nos besoins en énergie doivent être repensées sous le prisme de la sobriété en passant par la décarbonation de notre mobilité ainsi que de notre industrie » précise-t-elle pour La Relève et La Peste.

Pour Charlène, d’autres pistes accessibles se passent à l’échelle locale. Là où nous créons du lien avec les habitants et les politiques de proximité et aussi où nous avons le pouvoir d’agir sur le terrain de manière efficace et immédiate. Dans ses préconisations : les barrages (parfois mimétiques) de castors, les ouvrages d’hydrologie régénérative cités plus haut. Quant au niveau national, elle préconise l’arrêt de projets comme les méga-bassines ou les grandes infrastructures routières pour aménager le territoire via la mise en œuvre de la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette).

« Il faut aussi désimperméabiliser les sols en contexte urbain : les parkings, les cours d’école, tous les espaces qui peuvent être re-végétalisés » détaille Charlène Descollonges pour La Relève et La Peste

Enfin, Charlène Descollonges plaide pour l’éducation des enfants. Certaines associations, comme la Water Family dont l’hydrologue est ambassadrice, font de la sensibilisation dans les écoles autour de l’eau, des rivières ou des zones humides afin d’apprendre à les observer, les comprendre et les protéger.

« Dès le plus jeune âge, ils parlent de l’empreinte eau. C’est génial car quand les enfants rentrent à la maison, ils demandent aux parents de mettre en place des potagers et de choisir une viande issue d’une agriculture locale et biologique par exemple » s’enthousiasme Charlène Descollonges pour La Relève et La Peste

Sensibiliser les enfants, mais les adultes aussi. Charlène nous confie que même dans des grandes entreprises qu’elle est amenée à côtoyer et qui n’ont pas de modèle régénératif, les lignes bougent. Notamment dans certaines institutions financières avec des personnes qui emploient des termes comme décroître ou décroissance économique. Cela lui donne une note d’espoir malgré un climat ambiant délétère.

« Il y a un proverbe Africain qui dit : on entend l’arbre qui tombe, mais pas la forêt qui pousse. Je pense vraiment qu’une forêt est en train de pousser » conclut-elle d’un ton optimiste.

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Liza Tourman

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