Vous cherchez un média alternatif ? Un média engagé sur l'écologie et l'environnement ? La Relève et la Peste est un média indépendant, sans actionnaire et sans pub.

Marine Calmet : « Le mouvement des droits de la nature est un marqueur de changement de civilisation »

"Le droit est une fiction, choisie et élaborée par des humains, qui définit les relations et les règles au sein d’une société. Dans notre cadre culturel précis et à cet instant T, le statut juridique de la nature est très lié au lien d’empathie inhérent à notre société."

Aujourd’hui, nous sommes dans une “société humaine d’oppression sur la nature” explique Marine Calmet, juriste en droit de l’environnement et présidente de Wild Legal. En droit français, la nature a le statut d’objet, objet d’appropriation, d’exploitation, et s’incline devant les entités qui ont le statut de sujet : les hommes, les entreprises, etc. Une situation juridique inadaptée à la lutte pour la préservation des écosystèmes et contre le réchauffement climatique. Pour changer cela, Marine Calmet travaille sur la reconnaissance des droits de la nature et insiste sur l’importance des droits coutumiers (droits des peuples autochtones) car ils s’analysent “en opposition au droit occidental”.

Les droits de la nature, de petites avancées

LR&LP : Les droits de la nature sont-ils un moyen de transformer notre rapport à l’environnement ?  

Marine Calmet : Nos sociétés occidentales ont un rapport de domination et d’exploitation au vivant. Il n’y a pas de droits de la nature. Dans les sociétés de droits coutumiers animistes, la relation de sujet à objet vis à vis de la nature n’existe pas. On considère le vivant comme un frère, comme un sujet à part entière, comme un membre de sa famille, cela a pour conséquence une meilleure protection de la nature.

Le droit coutumier a été interdit dans les territoires anciennement colonisés. Actuellement, les droits de la nature se construisent souvent sur un élan de résurgence des cultures et des droits des autochtones, une volonté des autorités locales de reprendre la main, de refuser ce droit occidental.

Les populations constatent les manquements de ce dernier à protéger leur milieu de vie et à contrer le pillage des ressources. C’est le cas en Ouganda, au Bénin et en Equateur où la Pachamama, la Terre-Mère, est reconnue comme entité naturelle juridique dotée de droits fondamentaux.

LR&LP : Ce droit coutumier a permis certaines avancées en France ? 

M.C. : En France, certains territoires au statut particulier reconnaissent le droit coutumier issu des premières nations. C’est le cas en Guyane où les autorités coutumières sont reconnues par le préfet, et doivent être consultées quand les politiques locales les concernent. On reconnaît là-bas des droits collectifs dans certains villages, c’est ce qu’on appelle les zones de droits d’usage collectif (ZDUC), avec un foncier, une gestion, etc.

Dans le cas des îles Loyauté (Nouvelle Calédonie), il y a un droit coutumier traditionnel et une culture locale issue du totémisme, c’est-à -dire avec une relation d’empathie dirigée vers certaines entités précises. Les tortues et les requins en font partie. C’est ce qui a permis la reconnaissance juridique des droits de ces deux espèces. Les kanak des Îles Loyautés sont désormais légalement leurs porte-paroles.

Marine Calmet travaille sur la reconnaissance des droits de la nature et insiste sur l’importance des droits coutumiers (droits des peuples autochtones) car ils s’analysent “en opposition au droit occidental”

Marine Calmet, juriste en droit de l’environnement et présidente de Wild Legal – Crédit : Alexandre Asmodé

LR&LP : Ce sont des petites avancées, la nature n’est pas reconnue dans son intégralité… 

M.C. : La force du mouvement des droits de la nature n’est pas que technique, elle est avant tout culturelle et politique. C’est un marqueur de changement de civilisation.

L’exemple de la Mar Menor (lagune du sud de l’Espagne qui a obtenu le statut d’entité naturelle juridique en septembre 2022 suite à une initiative citoyenne) est particulièrement évocateur. Les droits de la nature sont un changement de paradigme juridique qui repose sur une vraie transformation des mentalités au niveau local.

Depuis l’adoption de la loi, l’implication des élus et des agents territoriaux dans la protection de la lagune s’est démultipliée. Dans la totalité des territoires où les droits de la nature sont implantés, la manière dont les élus et les citoyens conçoivent leurs relations à leurs écosystèmes et leur milieu de vie se transforme.

Un changement de civilisation

LR&LP : L’exploitation d’orpaillage de la Montagne d’Or en Guyane, dont la prolongation vient d’être entachée par le Conseil d’État, est-elle l’un des exemples de ce changement de mentalité ? 

M.C. : Il y a encore quelques années, le code minier était très peu regardant sur la question de la protection de la nature et laissait une grande liberté au gouvernement de délivrer ou non des concessions minières. C’est comme cela que le projet Montagne d’Or, une grande exploitation d’orpaillage en Guyane, est arrivé sur le bureau d’Emmanuel Macron quand celui-ci était à Bercy en 2015.

A l’époque, les mégas projets miniers étaient annoncés comme la panacée pour les territoires avec en perspective un boom économique. Aujourd’hui, moins de 10 ans après, tout a changé.

Les guyanais ne voulaient pas de ce projet et l’ont fait savoir. Avec les associations locales, nous nous sommes mobilisés contre ce code minier injuste qui autorisait des multinationales étrangères à piller le territoire. Nous avons obtenu la révision du code minier avec l’introduction de critères environnementaux.

Mais surtout, les politiques savent désormais pertinemment qu’ils ne peuvent plus revenir avec un tel projet, parce qu’ils ont compris qu’il y avait un changement de paradigme au sein de la population. Cela a un impact majeur au niveau des élus. Le renforcement du droit visant à protéger la nature est un marqueur de cette page qu’on est en train de tourner, d’un extractivisme complètement débridé.

LR&LP : Comment atteindre une reconnaissance intégrale des droits de la nature? 

M.C. : Le droit est une fiction, choisie et élaborée par des humains, qui définit les relations et les règles au sein d’une société. Dans notre cadre culturel précis et à cet instant T, le statut juridique de la nature est très lié au lien d’empathie inhérent à notre société.

Mais cela évolue. En France, le statut de nos animaux domestiques est bien plus protecteur que les animaux sauvages avec qui nous avons peu de liens d’empathie. Le statut des animaux d’élevage est purement utilitariste et hygiéniste. Encore une fois, leur statut est une traduction immédiate de notre lien d’empathie.

Avant de pouvoir imaginer reproduire le modèle équatorien, qui reconnaît la totalité de la nature comme entité juridique, nous devons faire évoluer notre empathie vis-à-vis des êtres vivants non humains et de la nature en général. Les droits de la nature doivent permettre un changement de mentalité qui provoquera une transformation sociétale.

C’est en poussant sur  la reconnaissance des droits de certaines forêts, fleuves ou montagnes, à la fois par des actes symboliques ou par des réglementations locales qu’avec l’association Wild Legal nous tentons de montrer que la société est prête à ces changements politiques et juridiques.

Nous pensons que nous sommes obligés de passer par une phase de compréhension du sujet, de remise en question éthique, politique et ontologique vis-à-vis de la nature, mais qu’à terme cela va avoir des répercussions à l’échelle nationale. 

Florian Grenon

Faire un don
"Le plus souvent, les gens renoncent à leur pouvoir car ils pensent qu'il n'en ont pas"

Votre soutien compte plus que tout

Découvrez Océans, un livre puissant qui va vous émerveiller

Plongez en immersion avec les plus grands scientifiques pour tout comprendre sur l’état de nos océans. Des études encore jamais publiées vous feront prendre conscience de l’incroyable beauté de nos océans. Tout cela pour vous émerveiller et vous donner une dose d’inspiration positive.

Après une année de travail, nous avons réalisé l’un des plus beaux ouvrage tant sur le fond que sur la forme. 

Articles sur le même thème

Revenir au thème

Pour vous informer librement, faites partie de nos 80 000 abonnés.
Deux emails par semaine.

Conçu pour vous éveiller et vous donner les clés pour agir au quotidien.

Les informations recueillies sont confidentielles et conservées en toute sécurité. Désabonnez-vous rapidement.

^