Au fin fond du Diois se trouve l’un des plus vieux GAEC de la Drôme : la ferme de Montlahuc où un jeune castor s’est installé il y a trois ans, inondant 2000m2 de terre, un exploit pour un lieu situé à 1000m d’altitude. Aujourd’hui, les 6 associés du GAEC cohabitent avec cet allié, réhydratant petit à petit les paysages et régénérant la biodiversité.
D’une ferme conventionnelle à un havre de biodiversité
Marco est l’un des associés du GAEC, la ferme de Montlahuc. Arrivé il y a une dizaine d’années, il développe l’activité « écosystème » qui consiste à prendre soin du territoire, de tout ce qui effleure de près ou de loin le Vivant et la durabilité de la ferme.
« En 2013, le GAEC a amorcé une grosse transition où il y a eu un changement d’associés. On était trois jeunes à arriver. On a essayé de travailler avec l’inspiration Kogi, ce peuple ancestral de Colombie très connecté au Vivant. Comment repenser notre modèle agricole en laissant faire la nature au maximum ? » raconte-t-il pour La Relève et La Peste
La ferme conventionnelle s’est transformée en quelques temps en poly-élevage, modèle vertueux pour la biodiversité. Le groupe fonctionne à 100 % en vente directe et a en une dizaine d’années redynamisé le village en passant d’une dizaine à une quarantaine d’habitants, relançant ainsi l’école.
Le rôle du castor dans le cycle de l’eau
Il y a trois ans, un castor s’est installé au GAEC. De fil en aiguille, il a réhydraté le paysage.
« Il a commencé par creuser un fossé au milieu de la prairie qui est devenue l’année suivante un véritable plan d’eau. Il a immergé 2000m2 de la parcelle sur 5000m2. Le premier raisonnement des voisins a été de nous dire de ne pas le laisser faire car nous étions en train de perdre de la surface pour le foin pour les animaux. On a quand même 1100 hectares, on s’est dit que 2000m2, on pouvait les laisser aux castors. Notre ruisseau temporaire est devenu permanent » se remémore Marco auprès de La Relève et La Peste
Petit à petit, la biodiversité a fructifié. Des espèces aquatiques se sont installées comme une trentaine d’espèces de libellules, des canards et des oiseaux de zones humides. Le plus surprenant étant l’impact du rongeur sur l’écosystème en cultivant les espèces nécessaires pour se nourrir.
« Le castor immerge l’entrée de sa maison par des retenues d’eau mais cultive toutes les espèces avec lesquelles il alimente son habitat, notamment les saules et les peupliers qu’il préfère. Ces arbres vont stimuler les milieux humides en pompant de l’eau, en la remontant en permanence et en la diffusant ensuite dans l’écosystème » détaille Marco pour La Relève et La Peste
D’une prairie sèche et d’une végétation pauvre, la parcelle est devenue riche et dense. Des légumineuses sont apparues et ont diversifié le paysage. Une aubaine pour le pâturage. Ces légumineuses amènent des fleurs qui attirent tout un cortège de papillons et d’insectes, créant ainsi une vie spectaculaire avec l’apparition de feuillus là où auparavant ne cohabitaient que des pins.
« Les pins sont des espèces intéressantes mais qui partagent assez peu l’eau dans les écosystèmes, des espèces un peu plus « égoïstes » que les feuillus. Ces derniers travaillent ensemble. Ce qui permet une régénération de cet écosystème qui l’emmène vers un milieu qui amplifie la vie » sourit Marco
Si le castor est arrivé seul sur cette parcelle il y a trois ans, ils sont aujourd’hui entre trois et quatre à habiter les lieux. Cependant, Marco nous signifie que sa présence existe sur ce petit cours d’eau depuis déjà une dizaine d’années, à quelques 3 kilomètres de là.
« Notre petit ruisseau constitue la connexion entre le bassin des Baronnies et le bassin de la Drôme. C’est quasiment l’un des seuls corridors écologiques de zone humide entre ces deux grands bassins versants pour la circulation des espèces aquatiques : c’est un espace fondamental » précise Marco pour La Relève et La Peste
Le castor, un allié précieux
Après des années de politique d’évacuation rapide de l’eau vers nos mers, on a aujourd’hui un assèchement majeur des territoires. Cette course a créé de l’érosion et donc une incision des ruisseaux qui ont tendance à descendre en profondeur. Les impacts bénéfiques du castor sur les écosystèmes sont multiples. L’un d’eux est le ralentissement et l’infiltration de l’eau dans les sols.
« L’eau s’infiltre à la même hauteur que le ruisseau quand le castor fait un barrage, il remonte son niveau et aussi celui de cette nappe phréatique qui fait que les plantes ont plus d’accès à l’eau » détaille Marco.
En édifiant des micro-retenues, le castor empêche une trop grande quantité d’eau de s’échapper. En la ralentissant et la stockant, elle est diffusée progressivement dans le paysage, ce qui évite les inondations.
« On dit que le castor, en construisant des retenues, a tendance à réchauffer l’eau et que c’est mauvais pour les écosystèmes. En réalité, l’eau qui sort de terre est forcément plus fraîche et donc rafraîchit le cours d’eau. »
Une expérience que la Californie, aux Etats-Unis, connaît bien. Face aux feux de forêts amplifiés par le dérèglement climatique, la Californie a mis en place des « zones castors », plus résistantes au feu grâce à l’humidité du sol. Ces fameuses « zones castors », dont la végétation perdure, peuvent recréer par la suite les forêts parties en fumée. Lieux refuges pour les animaux, ces derniers retournent dans les espaces désertifiés une fois le danger passé et, en déféquant des graines, régénéreront petit à petit les paysages.
Le castor est un animal clé dans l’équilibre des grands cycles, la régulation et la régénération des paysages. Depuis des millions d’années, il cohabite avec la rivière, ce qui en fait de lui en quelque sorte le gardien. Impressionnés par l’efficacité du castor sur cette parcelle, les agriculteurs tentent de l’attirer au plus près de la ferme de Montlahuc. Les associés ont tout mis en place pour rendre, selon l’expression de Baptiste Morizot, un emplacement attractif pour le plus gros rongeur d’Europe.
« On a créé des petites retenues pour que son terrier soit immergé. On a aménagé ces espaces près des peupliers tremble, ses préférés, et on continue à en planter là-bas. Il y a de grandes chances qu’il soit déjà passé sur le lieu et qu’il l’ait repéré et qu’il vienne s’installer chez nous dès qu’il en aura besoin » espère Marco.
Sur la ferme de Montlahuc, le réchauffement climatique se fait ressentir depuis une dizaine d’années. Le vent est de plus en plus fort et les parcelles, de plus en plus sèches. Avec une quantité de foin de moins en moins importante, chaque année est un peu plus difficile pour les associés.
« On a planté 3000 arbres, un peu plus de 3km de haies. Ces arbres on les achète, il faut les protéger avec des clôtures, préparer les tracteurs, aller les planter. Tout ça prend beaucoup de temps, d’énergies fossiles, d’argent alors qu’en deux ans, le castor est plus efficace en utilisant moins d’énergie » résume Marco
Les Etats-Unis ont ainsi mis en place des indemnisations pour les agriculteurs qui perdent des parcelles agricoles où le castor se réinstalle. Historiquement, le mot maraîchage est lié au marais, terres très fertiles qui ont été subtilisées aux castors. Ainsi, ce sont dans ces espaces qu’il va revenir d’où la nécessité que l’État prenne des mesures. Le modèle allemand a également un barème d’indemnisation agricole en cas de dégâts, de façon à ce qu’il y ait moins de problèmes de cohabitions entre les castors et les agriculteurs.
Entre envahir et infuser le Vivant pour l’habiter, il n’y a qu’un pas
Co-créer avec le castor a une signification plus profonde et puissante sur notre urgence à cohabiter avec le Vivant, dont nous, humains, faisons pleinement partie. Ce sont des millions d’années de cohabitation qui se sont créées entre les espèces. Chacune, de par sa façon de vivre, a un rôle écologique, une fonction dans les écosystèmes.
Chaque fois que l’une d’elles disparaît, c’est une fonction qui s’évapore et un équilibre qui est complètement modifié. Tout ce que l’on créait comme déséquilibre, c’est à nous que ça coûte économiquement, en charges de temps de travail et de tous les impacts. Il y a tout intérêt à amplifier la vie et de travailler avec lui.
Pour Marco, on doit faire avec la nature et cohabiter avec elle dans tous nos espaces. La clé ne serait pas de sanctuariser quelques zones. En revanche, il préconise de préserver quelques endroits de l’intervention humaine de façon à laisser les dynamiques se mettre en place pour qu’ensuite elles puissent se propager. Les Kogis les appellent « zones d’espace sacré ». Que ces espèces puissent y perdurer en dépit du dérèglement climatique. Ainsi, une fois que cela se sera à peu près stabilisé, elles pourront recoloniser et régénérer le reste du paysage.
« Puisque c’est la vie qui génère et amplifie la vie, il faut que cette diversité d’espèces et ces équilibres qui ont été créés depuis des millions d’années puissent fonctionner et réparer ce qu’on a fait derrière. Cette notion de sanctuaire arrive un peu là. Il n’y a pas une solution absolue, c’est la multitude de solutions qui va permettre qu’on s’en sorte demain »
Le retour en force du castor dans nos campagnes françaises est donc une formidable façon de faire alliance avec le reste du Vivant.