Il y avait foule à l'audience du tribunal administratif de Toulouse où les opposants à l'autoroute A69 présentaient leurs arguments sur le fond pour demander l'annulation de l'autorisation environnementale de destruction d'espèces protégées, avec l'appui inattendu de la rapporteure publique.
Procès sur le fond contre l’A69
Sur le parvis de la gare Matabiau à Toulouse, à deux pas du tribunal administratif, des représentants de tout ce que le projet contesté d’autoroute entre Castres et Toulouse cristallise étaient rassemblés dès 8 heures. Une cinquantaine de représentants d’associations, des habitants, des zadistes étaient là pour soutenir et accompagner les parties requérantes au procès attendu depuis un an et demi.
La petite foule est électrique, anxieuse un peu, mais portée par un coup de théâtre en sa faveur. Le 20 novembre, la rapporteure publique, Mme Rousseau, sur les conclusions de laquelle la cour administrative va se baser pour examiner la requête en annulation a été limpide : il faut annuler l’autorisation environnementale de l’autoroute A69 entre Castres (Tarn) et Verfeil (Haute-Garonne) et de l’A680 entre Castelmaurou et Verfeil.
Comme en écho à l’énorme travail d’enquête, de compilation, de consultation d’experts menés par les associations et sympathisants depuis des années, la rapporteure ne voit « aucune raison impérative d’intérêt majeur justifiant la dérogation espèces protégées ». Cette fameuse RIIM sans laquelle on ne peut déroger aux règles de protection de la nature serait tout simplement à mettre à la poubelle. La Déclaration d’utilité publique n’aurait plus lieu d’être et l’autoroute serait illégale.
Avoir le rapporteur public dans son camp est précieux et l’on comprend qu’Alice Terrasse, avocate de douze des quatorze parties requérantes déroule son exposé avec confiance. Elle rappelle que la destruction de la biodiversité et des corridors écologiques serait irrémédiable et ne pourrait être compensée ; que l’autoroute aurait un effet catalyseur des phénomènes locaux liés au dérèglement climatique ; que cela aurait des répercutions sur les populations et la fameuse indépendance alimentaire dont on entend si souvent parler dans les discours, ainsi que sur la santé, avec une aggravation de la pollution (en plus de la présence des centrales d’enrobés destinées à fournir le bitume de la future autoroute).
Sans compter l’atteinte au patrimoine historique du château de Maurens-Scopont. Elle contribuerait par ailleurs à accentuer la fracture sociale au sein de la population locale à cause d’un coût du péage exorbitant (17 € estimés l’AR, pour 53 km).
« Désenclaver », un mantra qui ne fait plus recette
Pour que l’État autorise la destruction d’espèces et de milieux que lui-même protège, il faut en effet des arguments solides, en faveur du bien être des habitants et d’un réel gain économique et de sécurité. C’est pourtant sur ce point, en occultant pratiquement tout le volet environnemental, que les parties adverses, (l’État, les entreprises Atosca et Guintoli et les Autoroutes du Sud de la France) ont choisi de répondre, en se basant sur les chiffres de la Chambre de commerce et d’industrie de Castres, alors que Me Terrasse basait sa démonstration sur des études de l’INSEE.
Le mot « désenclavement » répété comme un mantra par les avocats de la défense ne semble en effet pas vraiment pertinent alors que Castres et son bassin connaissent un développement normal de ville moyenne, laquelle dispose même d’un aéroport.
L’argument du représentant des préfectures de la Haute-Garonne et du Tarn*, Yasser Abdoulhoussem fait même sourire. Selon lui, l’abandon de ce projet signifierait la fin de tout investissement dans les infrastructures routières du Tarn. Surtout, le groupe Pierre Fabre installé à Castres, (deuxième groupe phytopharmaceutique français, avec des produits distribués dans 116 pays) « souffre de l’enclavement du bassin castrais et se pose régulièrement la question de sa délocalisation ». Un chantage à l’emploi dont la ficelle paraît grosse mais qui fait grimacer une partie de l’audience.
L’avocate des requérants rappelle encore que les voyants étaient au rouge dès le départ, les avis critiques ou négatifs des autorités indépendantes (Autorité environnementale, Commissariat général à l’investissement, Conseil national de protection de la nature, etc.) rejoignaient ceux des opposants et pourtant le préfet n’a eu de cesse de dire que « son job » [sic] était de favoriser l’A69, une « ingérence scandaleuse de l’État dans une enquête publique » relève Me Terrasse.
En 2021, la précipitation du gouvernement, par la voix de Jean Castex alors Premier ministre, à lancer le projet (le jour même où naissait au « Festivad » le collectif La Voie est libre (LVEL), ne signifie pas pour autant qu’il est irréversible, alors que c’est un argument de la défense. Les terrassements sont effectués à 45 % (donc il en reste la moitié à faire), les ouvrages d’art sont érigés à 70 % (mais il est possible de les démonter), les usines d’enrobage vont être mises en route (elles ont un an de retard).
Le collectif LVEL souligne par ailleurs qu’« après 18 mois de chantier, le projet d’autoroute A69, mené par ATOSCA, s’est illustré par 21 rapports en manquement administratif et 6 arrêtés préfectoraux de mise en demeure […] ». Le mois dernier, un nouveau pont a dû être démonté car il était trop bas…
En outre, la commission d’enquête parlementaire sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69, même si elle est interrompue depuis la dissolution de l’Assemblée nationale a révélé déjà des manquements, notamment sur l’information et des publics et des élus locaux, comme le souligne sa rapporteure, Christine Arrighi, députée de la Haute-Garonne.
Un déni de démocratie environnementale
C’est sur cette veine du manquement à la démocratie environnementale qu’attaque l’avocate de Notre affaire à tous, Marine Yzquierdo, en rappelant que la convention d’Aarhus que la France a signée et ratifiée exige une bonne information du public et sa participation à l’élaboration de grands projets d’infrastructure. Ce qui a fait défaut ici. Elle aussi parle de déni de démocratie environnementale. Et de rappeler comme sa consœur les mots d’Élisabeth Borne en 2018, avant même l’enquête publique : « Je peux vous assurer que l’A69 se fera. »
A la sortie de l’audience, les collectifs d’opposants à l’A69 sont confiants tout en étant lucides. Alice Terrasse rappelle que le jugement sera délivré dans une quinzaine de jours. Si la DUP est annulée, les travaux s’arrêtent mais Atosca et consorts feront appel. Cet appel est suspensif des travaux, sauf s’ils déposent un sursis à exécution auprès du juge qui peut alors décider que les travaux peuvent pendant les phases d’appel auprès de la Cour administrative d’Appel puis du Conseil d’État. Si le jugement est défavorable aux associations, celles-ci continueront le combat sur le plan juridique et sur le terrain, assure LVEL.
Dans un contexte plus général où le droit environnemental gêne de plus en plus des décideurs politiques, certains agriculteurs et les entrepreneurs de travaux public notamment, une décision en faveur de l’arrêt des travaux de l’A69 serait un coup de tonnerre. Mais l’agenda est serré : un sénateur a déposé le 14 novembre une proposition de loi qui porte sérieusement atteinte à la loi zéro artificialisation nette (zan).
Tout à l’heure, dans la foule, quelqu’un criait « C’est pas nous les utopistes, c’est eux, avec leur projet d’un autre temps ! Les écoterroristes, c’est eux [Atosca, les laboratoires Pierre-Fabre, l’Etat] ! »
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