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Pass sanitaire et réformes sociales : des mesures liberticides et une guerre sociale inavouée

L’argent pourrait tout à fait être redistribué des plus grandes fortunes vers les populations précarisées. Les choix économiques du gouvernement conduisent de nombreux observateurs et défenseurs des droits humains à parler d’une « guerre sociale » à l’œuvre dans le pays, de façon insidieuse.

Le Président de la République a fait hier un discours attendu sur les suites de la stratégie gouvernementale concernant le coronavirus. Mais alors que pro et anti-vaccins s’écharpent sur l’efficacité réelle de la méthode, ce discours est surtout le reflet d’une politique autoritaire ouvertement assumée. A l’œuvre : un recul grave des libertés pour la population française, muselée par des états d’urgence à répétition depuis quelques années, mais aussi une guerre sociale qui ne dit pas son nom, au profit des grandes fortunes de France.

Diviser la population pour mieux régner

L’air sérieux, le ton grave et plein d’assurance, Emmanuel Macron, le Président de la République, a fait hier soir un discours concernant les suites de la gestion de la crise sanitaire.

A moins d’un an des présidentielles, le fonctionnaire en chef se félicite de leurs résultats après un an de pandémie, une vie totalement bouleversée accompagnée de conséquences psychiatriques et psychologiques énormes pour la population. Mais de ce dernier aspect, pas un mot.

Son bilan est positif d’un point de vue sanitaire : « Les hospitalisations comme les décès sont au plus bas depuis près d’un an » ; mais aussi d’un point de vue économique : « Notre croissance devrait s’établir à 6% en 2021, en tête des grandes économies européennes. La France, pour la deuxième année consécutive, a été désignée comme le pays le plus attractif d’Europe. »

Malgré cela, l’arrivée du variant Delta est l’argument avancé pour accélérer la campagne de vaccination de la population française, en la rendant obligatoire pour tous les professionnels de santé d’ici au 15 septembre, ainsi que l’extension du pass sanitaire à l’essentiel des activités sociales – les cinémas le 21 juillet, les bars et restaurants début août, etc. Et ce dès l’âge de 12 ans.

Pour les soignants, finis les applaudissements, l’heure est aux représailles.

Les récalcitrants seront punis et « ne pourront plus travailler et ne seront plus payés » à compter du 15 septembre, ainsi que l’a expliqué le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran.  Et cela alors que nos équipes de santé sont déjà épuisées par la crise et les heures supplémentaires qu’elles traversent, et le manque de moyens en pleine pandémie.

« Il y a une vague de départs des soignants en cours. Il y a eu une vague de départs l’été dernier. Parce que nous sommes dans le seul pays du monde qui continue de fermer des lits en période épidémique. » explique ainsi l’infirmier Thierry Amouroux sur Public Sénat

Qu’il s’agisse de la vaccination obligatoire ou du passe sanitaire, il s’agit là de promesses supplémentaires trahies par l’exécutif, alors que celui-ci avait déclaré que la vaccination ne serait pas obligatoire, et qu’il n’y aurait pas de passe sanitaire pour se rendre dans les lieux publics.

Au lendemain de ces déclarations, les pro et anti-vax sont en plein conflit. Mais il faut prendre du recul pour mesurer la gravité de la situation : il s’agit avant tout d’un outil de contrôle de la population qui est inédit dans l’histoire récente de France. Avec le pass sanitaire, le gouvernement banalise une technologie intrusive, et habitue les citoyens à donner accès à leurs données personnelles sensibles (identité, santé…) à n’importe quel tiers.

La Quadrature du Net, qui surveille les mesures liberticides concernant la disposition d’outils numériques dans l’espace public, avait ainsi engagé un recours auprès du Conseil d’Etat qui a été refusé le 6 juillet. A l’inverse, nos voisins anglais ont rejeté le pass sanitaire, jugé trop liberticide par des députés de tous bords politiques, et décidé d’ouvrir le pays à « la vie d’avant » à partir du 19 juillet.

« Les jours heureux », il promettait, l’an dernier. Ce soir, c’est pass sanitaire et vaccination obligatoire. C’est rien sur les milliardaires, et tout contre les précaires. Macron, président des riches, jusqu’au dernier jour. Faut le sortir ! #Macron20h » a réagi le député François Ruffin

https://fb.watch/v/3p_sMtCsb/

Au profit des plus riches

Fait notable, une frange professionnelle sera tout de même exempte de la vaccination obligatoire : les policiers et les gendarmes. Une profession pourtant « au contact du public », étant donné qu’elle est chargée d’aller dans les établissements recevant du public pour s’assurer que les usagers sont bien vaccinés ou auront leur pass sanitaire en règle donc… Certains syndicats avaient même exigé de faire partie des publics prioritaires pour se faire vacciner.

Interrogé à ce sujet, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a balbutié et s’est perdu en confusion lors de son passage ce mardi matin sur Europe 1. Et déjà, les esprits habitués aux roueries du gouvernement s’interrogent : est-ce par peur d’une contestation sociale trop forte que ces catégories professionnelles sont épargnées ?

Pour autant, seuls les individus les plus fortunés auront vraiment le choix de se faire vacciner, ou non. En effet, Emmanuel Macron a également annoncé la suppression de la gratuité des tests « afin d’encourager la vaccination ». Les tests PCR ne seront donc plus remboursés à partir du mois d’octobre.

« En pleine montée du variant Delta, le Président supprime la gratuité des tests pour les non assurés et non résidents. Une décision absurde qui va à l’encontre de la santé publique et de l’accès des plus précaires au dépistage. » s’est alarmé Médecins du Monde

Une mesure qui annonce la couleur sur la suite de son discours. Les deux-tiers restants du temps de parole du Président de la République étaient consacrés à réaffirmer les réformes sociales à venir, malgré, rappelons-le, « une croissance à 6% en 2021 », et elles visent directement les populations les plus précaires : les réformes des retraites et de l’assurance-chômage.

Ces deux projets de réforme, par leur caractère particulièrement menaçant, avaient ainsi provoqué la mobilisation de millions de manifestants dans les rues en 2019 et 2020. Tout récemment, le Conseil d’État avait même suspendu la modification du mode de calcul de l’allocation chômage au motif que la situation économique est trop incertaine et que ces calculs « pénaliseront de manière significative les salariés » en contrats courts.

Crédit : Voltuan-Redde

Pour cause, ces mesures vont plonger des centaines de milliers de personnes dans une grande précarité : 41% des allocataires de l’assurance-chômage auraient perdu en moyenne 13% de leurs revenus dans l’année à venir.

La recommandation de la plus haute administration française n’a visiblement pas fait écho au sein de la majorité puisque le Président veut la mettre en place au 1er octobre, « quoi qu’il en coûte ». Le mythe de l’assistanat social a bon dos pour justifier des réformes criminalisant les plus pauvres.

« Mensonge du président hier soir : non, on ne gagne pas plus au chômage qu’en travaillant. 50% des chômeurs indemnisés gagnent moins de 1040€ par mois. Et environ 50% des chômeurs ne sont pas indemnisés. Les autres sont indemnisés en proportion de leur salaire antérieur. 5% seulement des chômeurs indemnisés touchent plus de 2000€, effectivement plus que quelqu’un qui travaille au SMIC mais en lien avec leur niveau de cotisation antérieur. » a décrypté le sociologue Nicolas Framont

Même politique concernant les retraites : le gouvernement veut faire travailler les français plus longtemps, au grand dam des économistes qui rappellent que l’espérance de vie en bonne santé est de 64,6 ans pour les femmes et 63,7 ans pour les hommes (selon l’INSEE).

« Reporter l’âge de départ à la retraite, c’est en moyenne réduire à portion congrue le temps de retraite en bonne santé. » a relevé l’économiste Maxime Combes

« L’espérance de vie des ouvriers en bonne santé est de 59 ans. Le projet de Macron est donc de reculer l’âge de départ à la retraite et de sacrifier la vie de millions de salariés. Rappelons que simplement avec l’égalité des salaires femmes/hommes le système serait à l’équilibre. » a renchéri Thomas Portes, Président de l’Observatoire National de l’Extrême Droite

Également dans le viseur de l’exécutif : les 42 régimes spéciaux, étant selon lui des vecteurs d’inégalité et d’injustice. Pourtant, ces régimes spéciaux ont bien été conçus selon les différentes conditions d’exercices de l’emploi, prenant notamment en compte la pénibilité du travail à laquelle Emmanuel Macron a fait une vague référence sans rien préciser de plus.

Là aussi, les policiers ont eux obtenu la possibilité de maintenir leur régime spécial dans la réforme des retraites, un traitement de faveur visiblement récurrent dans de nombreux aspects de la vie publique française.

Le Président de la République s’est également félicité des aides accordées aux entreprises, indispensables pour certains cas mais moins évidentes dans d’autres situations. Résultat : cette année 2020 a été marquée par l’exacerbation des inégalités avec l’accaparement des richesses par une partie de la population au détriment d’une autre.

A eux seuls, les chiffres sont éloquents. En un an, selon le classement du magazine économique Challenges, les 500 plus grandes fortunes françaises ont augmenté leur patrimoine de 300 milliards d’euros. A elles seules, ces 500 personnes détiennent donc 47 % du PIB contre 6% il y a 25 ans.

En même temps, en 2020, une grande partie de la population s’est paupérisée : la France compte désormais 300 000 sans-abris, avec 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté et 6 millions de chômeurs.

Lire aussi : Explosion de la pauvreté : le Secours Catholique veut un revenu minimum garanti de 890€ par mois

« Le système des retraites sera à l’équilibre après 2050, dans presque tous les scénarios du COR sans nouvelle réforme. Si cela ne suffit pas pour vous rassurer, un fonds abondé uniquement par les gains en 2020 des 500+ riches français permet de garantir l’équilibre avant 2050. » précise l’économiste Lucas Chancel

« Gains des milliardaires dans le monde pendant le Covid et dépenses publiques mondiales de santé. Il y a comme un petit problème d’allocation des ressources. » a réagi l’économiste

L’argent pourrait donc tout à fait être redistribué des plus grandes fortunes vers les populations précarisées. Les choix économiques du gouvernement conduisent de nombreux observateurs et défenseurs des droits humains à parler d’une « guerre sociale » à l’œuvre dans le pays, de façon insidieuse.

« Ces dernières années, il n’y a pas eu de « crise » économique mais une accélération de la guerre sociale. Un transfert massif d’argent public vers les poches des ultra-riches. Il y avait 50 milliardaires français en 2011, 95 en 2020 et 109 cette année. Le nombre de milliardaires a doublé pendant que le nombre de pauvres explosait ! Ces sommes colossales pourraient largement couvrir les manques des hôpitaux, la sécurité sociale, les retraites, ou encore la précarité étudiante. Pourtant pendant ce temps, la santé, l’éducation et autres services publics vitaux sont dévastés, et le gouvernement veut continuer à nous dépouiller. Nous vivons donc bien une guerre sociale totale. On ne peut pas comprendre la brutalisation de la société et l’augmentation des violences policières sans observer cette augmentation des inégalités. La police nationale est la milice du capital. Elle fait régner un ordre de plus en plus injuste par une violence toujours plus terrible. » décrypte le média indépendant Nantes Révoltée

Le Président de la République a tout de même tenté de présenter un semblant de justice sociale dans son discours, en se gargarisant de la participation de la France dans l’accord historique du G20 pour instaurer un impôt mondial pour les multinationales à hauteur de minimum 15%.

Emmanuel Macron a omis de mentionner le blocage de la France pour taxer la spéculation financière à hauteur de 0,1%, mesure qui aurait pu rapporter en moyenne 50 milliards d’euros par an aux membres de l’Union Européenne.

Lire aussi : La France bloque les négociations de la taxe sur la spéculation financière

De la même façon, il a annoncé la création d’un Revenu d’Engagement pour les jeunes, dont les détails seront présentés à la rentrée, en supprimant le repas à 1€ qui était devenu une aide indispensable pour que les étudiants les plus pauvres puissent se nourrir. On peut donc se demander de qui se moque-t-on, lorsqu’on entend le Président de la République affirmer avoir « toujours tenu un langage de vérité » auprès des citoyens.

Ainsi que le rappelle le député François Ruffin : « Non le modèle social de la France ne repose pas sur le mot « travail ». Il repose sur l’idée que celui qui est riche paie pour celui qui ne l’est pas. C’est l’idée de protéger les plus fragiles par un système de solidarité. Voilà la vérité. »

Laurie Debove

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