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« Il faut laisser vieillir les poissons pour sauver les écosystèmes marins »

Contrairement à la plupart des animaux terrestres, les poissons grandissent toute leur vie. C'est pourquoi les vieux poissons sont plus massifs et pondent bien plus d’œufs.  

La pêche a aujourd’hui un impact considérable sur les écosystèmes marins : effondrement des populations de poissons, destruction des habitats, pollution plastique, hécatombe chez les oiseaux et mammifères marins, etc. Pourtant pêche et biodiversité marine abondante sont loin d’être incompatibles selon l’écologue Didier Gascuel. Auteur de l’essai La pêchécologie (Quae), publié en 2023, ce chercheur propose des solutions concrètes et pragmatiques pour minimiser l’impact des pêches sur les écosystèmes.

Les impacts de la pêche sur les océans   

Ces dernières décennies, la consommation mondiale de poissons, crustacés et autres produits de la mer a considérablement augmenté. Elle est passée de 9,1 kilogrammes par personne en 1961 à 20,6 kilogrammes en 2021, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).  

Dans le même temps, les impacts des pêches sur les écosystèmes marins ont été considérables : « On a vraiment vidé la mer d’une partie très importante de ces poissons, estime Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l’Institut Agro Rennes-Angers, pour La Relève et La Peste.  

Pour les saumons et les anguilles, on parle d’une division quasiment par 100 des populations naturelles. Plus généralement, les ressources des poissons de fond ont été divisées entre un facteur 5 et un facteur 10. Les espèces de surface, comme les harengs, les sardines ou les anchois, ont moins diminué, mais tout de même dans leur cas d’une division par deux ou trois ».   

En provoquant un déclin considérable de certaines espèces, la pêche a profondément modifié la structure et le fonctionnement des écosystèmes. En effet, la plupart des poissons pêchés sont des prédateurs : la réduction de leur nombre appauvrit et déstructure totalement les chaînes alimentaires. 

« On voit se multiplier aujourd’hui d’une manière assez spectaculaire ce que j’appelle « les chaos de la nature » explique Didier Gascuel pour La Relève et La Peste. C’est une situation dans laquelle des espèces s’effondrent, d’autres se développent brusquement.  

Ce sont les explosions de populations de poulpes et d’araignées de mer sur les côtes françaises, l’effondrement des bulots et la disparition de tous les grands champs d’algues. C’est l’image d’un monde effrayant où il n’y a plus de régulation naturelle, mais des phénomènes de chaos extrêmement compliqués pour les pécheurs. »  

Une gestion des pêches obsolète 

Pour réduire l’impact des pêches sur les écosystèmes marins, Didier Gascuel prône la mise en place de la « pêchécologie », une formule créée par analogie avec le terme « agroécologie ».  

Il appelle pour cela à revoir les principes qui régissent la gestion des pêches. Au sein de l’Union européenne par exemple, celle-ci est basée sur le Rendement Maximum Durable (RMD) : la quantité maximale de poissons que l’on peut pêcher en moyenne et à long terme, sans affecter le renouvellement des populations.  

En se focalisant uniquement sur le renouvellement du stock disponible pour les pêcheurs, ce mode de gestion ne tient pas compte de la place des poissons au sein des chaînes alimentaires. La raréfaction des proies est pourtant l’une des principales menaces pour de nombreux prédateurs.  

De fait, les orques du détroit de Gibraltar, qui s’alimentent principalement de thons rouges de l’Atlantique, sont classées en Danger critique d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), du fait notamment de la raréfaction de leurs proies.  

« Chaque population est à la fois prédatrice, proie, et compétitrice d’autres espèces, explique Didier Gascuel à La Relève et La Peste. Donc, évidemment, si on diminue par trois l’abondance de toutes les populations de poissons dans la mer, c’est l’écosystème qui ne fonctionne plus ». 

La gestion basée sur le Rendement Maximum Durable omet également les impacts de la pêche sur les habitats, ou encore les captures d’espèces non-ciblées : comme les oiseaux et mammifères marins.  

« C’est une vision complètement obsolète, conclut Didier Gascuel, il faudrait aller vers une approche écosystémique. »   

Poissons plus vieux, océans heureux 

Plutôt que de baser les quotas de pêche sur le Rendement Maximum Durable, Didier Gascuel appelle à réduire au maximum les impacts de la pêche sur l’ensemble des écosystèmes. 

« Si on appliquait une norme qui consisterait à baisser la pression de pêche de 20 % par rapport au Rendement Maximum Durable, on sait que la population de poissons dans la mer augmenterait 30 à 40 %, explique le chercheur. Et la pêche serait beaucoup plus rentable. »   

L’écologue pointe également l’importance de laisser vieillir les poissons.  

« On peut pêcher tout autant qu’aujourd’hui, voire plus, avec beaucoup moins d’impacts sur l’abondance de chacune des espèces exploitées, affirme-t-il à La Relève et La Peste. Il suffit pour cela de ne pas capturer les poissons les plus jeunes. Dans la situation actuelle et pour la plupart des espèces, ils sont pêchés massivement, souvent dès l’âge de 1 ou 2 ans. Par conséquent, il ne reste quasiment plus de vieux poissons ».  

Contrairement à la plupart des animaux terrestres, les poissons grandissent toute leur vie. C’est pourquoi les vieux poissons sont plus massifs et pondent bien plus d’œufs.  

« Une morue de 3 ans fait en moyenne 1 kg. Mais elle peut facilement en faire 10 kilos : les plus vieilles dépassent même les 100 kg ! Protéger les jeunes, c’est donc créer de la biomasse au bénéfice des écosystèmes et des pêcheurs » conclut le chercheur.  

Pour ce faire, il propose d’augmenter les tailles minimales à partir desquelles les pêcheurs auraient le droit de capturer chaque espèce. Cela pourrait se faire par une augmentation de la taille des mailles des filets.  

« La taille réglementaire pour la morue est fixée à 35 cm en mer du Nord, détaille-t-il. Les modèles mathématiques montrent qu’il faudrait augmenter cette taille à une valeur optimale de 70 cm. Pour une pression de pêche inchangée, les captures augmenteraient à terme de 30 %, tandis que la biomasse des morues restant dans l’eau serait multipliée par plus de trois. » 

Une révision des engins de pêche  

Outre l’augmentation du maillage des filets, Didier Gascuel appelle à une révision complète des engins de pêche. Il pointe notamment les dégâts causés par les chaluts de fond sur les écosystèmes. Raclant tout le fond marin sur leur passage, ils ne font aucune distinction entre les espèces, ce qui entraîne d’importantes prises dites « accessoires » : des animaux non visés par les pêcheurs qui sont rejetés à la mer, morts dans la grande majorité des cas. Les chaluts de fonds détruisent également la faune présente sur les sols marins qui est à la base des chaînes alimentaires. 

Pour limiter les impacts écologiques, le chercheur propose donc de développer les engins de pêche alternatifs. Il faudrait selon-lui privilégier les « arts dormants », aux « arts traînants » c’est-à-dire les dispositifs de capture passifs et généralement plus sélectifs que des filets traînés dans l’océan.  

Si les filets de fonds et lignes fixes sont des techniques aux rendements « souvent modestes », « un vaste champ de recherche et d’innovation s’ouvre pour les améliorer » estime le chercheur.  

Ce dernier évoque la bonne volonté de nombreux pêcheurs et la nécessité de les accompagner dans cette transition. Pour cela, il mise notamment sur les pouvoirs publics. Dans son essai, il prend l’exemple des captures accidentelles d’oiseaux marins lors de pêche à la légine au large des îles Kerkelen.  

« Un système incitatif a été mis en place, basé sur une distribution préférentielle des quotas de pêche aux bateaux qui capturaient peu d’oiseaux, raconte-t-il. Très rapidement, les captures d’albatros ont été éliminées en posant et en remontant les lignes uniquement la nuit. Pour les pétrels, des mesures additionnelles ont dû être prises : modification des lignes, fermeture de la pêche en période de reproduction des oiseaux, installation de puits au centre du navire pour mouiller et remonter les lignes en toute discrétion. Résultats : les captures d’oiseaux marins ont été divisées quasiment par mille et sont aujourd’hui considérées comme marginales. » 

En résumé, le chercheur appelle à sortir d’une situation dans laquelle les ressources s’effondrent et entraînent la mobilisation de moyens de captures toujours plus importants : des navires de plus en plus gros, pêchant de plus en plus loin, utilisant des moyens technologiques importants au prix d’une forte dépense de carburants.  

« Il faudrait aller vers une situation de ressource abondante, dans laquelle on a besoin finalement de bateaux moins gros, d’engins moins impactants » résume-t-il. 

Réconcilier sociétés humaines et écosystème marin 

Si Didier Gascuel pense que la pratique d’une pêchécologie pourrait permettre de maintenir des niveaux de pêche élevés, tout en préservant la biodiversité, il identifie des obstacles à son développement. Il évoque notamment la perte de rendement à court terme, le temps de laisser grandir les jeunes poissons.  

« Il y a une phase de transition économiquement difficile qui explique assez largement la réticence des pêcheurs à s’engager dans cette voie » explique-t-il à La Relève et La Peste.  

Dans son manifeste, Didier Gascuel apporte une attention particulière aux conditions économiques et sociales des pêcheurs. En effet, la pêche industrielle détruit la vie marine, mais également une ressource alimentaire essentielle à la sécurité alimentaire mondiale, notamment dans des pays du sud.  

L’effondrement des stocks de poissons menace également l’activité économique des pêcheurs artisans dans les pays occidentaux. Le fonctionnement libéral actuel, basé sur la réduction des coûts et la rentabilité maximale, conduit à viser la réduction du nombre de bateaux et de pêcheurs à leurs bords. Ainsi, « la rente économique de la nature est captée par un nombre toujours plus faible d’acteurs » selon le chercheur. 

Le scientifique appelle au contraire à maximiser l’utilité sociale et économique des pêches. Selon lui, faire bénéficier le plus d’humains possibles et créer un maximum d’emplois et d’activités pérennes sur les littoraux contribuerait à « réconcilier les sociétés humaines et l’écosystème marin ». 

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Eloi Boye

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