Depuis 2003, la pêche est strictement interdite sur le cantonnement de pêche du Cap Roux, entre Saint-Raphaël et Cannes. Une décision prise à l'initiative des pêcheurs eux-mêmes, désireux de préserver les ressources halieutiques et d'inventer de nouvelles façons d'exercer leur métier.
Interdire la pêche pour protéger les poissons
L’initiative remonte à il y a plus de vingt ans et pourtant, elle n’a rien perdu de son originalité. En décembre 2003, les pêcheurs de la prud’homie de Saint-Raphaël, dans le Var, ont été à l’initiative de la création du cantonnement de pêche du Cap Roux. Situé entre Saint-Raphaël et Cannes sur une superficie de 455 ha, les pêcheurs ont eux-mêmes décidé d’y interdire toute activité de pêche, qu’elle soit professionnelle ou de loisir.
Une initiative venant directement des professionnels de la mer qui, si elle pourrait à priori sembler surprenante, ne l’est pas tant, explique Christian Decugis, premier prud’homme de pêche de Saint-Raphaël :
« Plutôt que de se faire imposer des restrictions par des gens dans des bureaux avec des cartes depuis Paris ou Bruxelles, on a décidé de prendre les choses en main, rembobine le professionnel pour La Relève et La Peste. On a donc décidé de délimiter nous-mêmes une zone où les ressources seraient protégées », continue celui qui a fait partie des premiers pêcheurs à l’origine de la création du cantonnement il y a plus de vingt ans.
Situé à l’extrême-est de la prud’homie de pêche de Saint-Raphaël et intégré à l’aire marine Natura 2000 du massif de l’Estérel, le cantonnement de pêche du Cap Roux fonctionne selon une réglementation simple : seules les activités telles que la plaisance, la plongée sous-marine et la baignade y sont autorisées, tandis que tout prélèvement y est prohibé.
L’objectif affiché : favoriser la protection des ressources halieutiques, ce qui fonctionne.
« Sur les zones protégées comme le cantonnement, les poissons reviennent très vite, entame Olivier Bardoux pour La Relève et La Peste. Cela témoigne vraiment de la résilience des océans quand on les laisse tranquille », poursuit le pêcheur qui a rejoint la prud’homie de Saint-Raphaël peu après sa création.
Plus de 80 espèces sont inventoriées sur le cantonnement de pêche du Cap Roux, parmi lesquelles le mérou, le chapon, le corb ou encore le serran-chèvre et la girelle. Le Cantonnement abrite également de nombreux crustacés, comme les homards et les langoustes.
Et de renchérir : « Ce qui est intéressant, c’est que la création de cet îlot protégé crée ce qu’on appelle un effet réserve. Les poissons peuvent mieux se reproduire, ce qui enrichit les alentours ».
Initié à la demande de la prud’homie de pêche de Saint-Raphaël et de la Ville de Saint-Raphaël, un suivi scientifique a d’ailleurs permis de mettre en avant quelques années seulement après sa création les premiers effets bénéfiques du cantonnement avec, entre autres, la densification des peuplements de poissons.
« C’est un geste très fort de la part des pêcheurs de s’être amputés d’une partie de leur zone de pêche, développe Audrey Lepetit, salariée au sein de l’association Planète Mer pour La Relève et La Peste. Ce qu’on voit, c’est que ça profite à l’écosystème et aux générations futures ».
Christian Decugis, premier prud’homme de pêche de Saint-Raphaël – Crédit : Carlo Gianferro
Des avantages économiques pour les pêcheurs
Dans cette zone qui abrite plus de 80 espèces, la création du cantonnement de pêche du Cap Roux est non seulement profitable à la préservation des ressources halieutiques, mais elle l’est également pour l’activité économique des pêcheurs.
« Cela peut paraître contradictoire, mais ce que le grand public n’a pas forcément en tête, c’est qu’un bon état des ressources est bénéfique pour les pêcheurs », détaille Audrey Lepetit.
Des propos corroborés par Olivier Bardoux, qui explique ne pas avoir subi de perte de chiffre d’affaires depuis la création du cantonnement de pêche.
« On bénéficie de l’effet réserve et si besoin, on reporte nos zones de pêche ailleurs », avance le professionnel, qui se réjouit également de la diversification de ses activités de pêcheur permise par la mise en place du cantonnement. « Avec les pêcheurs de la prud’homie, on a par exemple eu l’opportunité de participer à des pêches scientifiques et à des opérations de surveillance du cantonnement, explique-t-il. C’est intéressant de diversifier notre métier et de trouver d’autres sources de revenus liés à la mer ».
Surveillance sur la réserve (cantonnement de pêche) marine du Cap Roux
Preuve du succès du cantonnement, ce dernier est reconduit depuis plus de vingt ans par la vingtaine de pêcheurs que compte désormais la prud’homie de pêche de Saint-Raphaël.
« Au début, il y a eu un peu de paranoïa, forcément, mais ensuite, tout le monde a compris que la petite pêche ne serait pas impactée », développe Olivier Bardoux.
Le professionnel, qui pêche à l’hameçon, se dit néanmoins lucide sur le fait que « le cantonnement fonctionne parce qu’à Saint-Raphaël, historiquement, on n’est pas confronté au chalutage et aux arts traînants. Ailleurs, la situation serait sûrement différente », poursuit-il, rappelant que la prud’homie de pêche de Saint-Raphaël est composée de pêcheurs pratiquant une pêche artisanale dite aux « petits métiers », où la pêche se fait principalement au filet et à la palangre.
Pêcheur participant à la réserve marine du Cap Roux
Un manque de moyens persistant
Fière de l’image qu’elle renvoie, celle d’une « profession qui se prend en main, qui s’adapte et qui pense aux générations futures », pour reprendre les mots de Christian Decugis, la prud’homie de pêche de Saint-Raphaël doit néanmoins faire face à des défis importants, parmi lesquels le braconnage.
« Dans la majorité des cas, les gens qui pêchent sur le cantonnement ne savent pas que c’est une zone interdite à la pêche. C’est souvent des papys avec leurs petits-enfants, ce n’est pas malveillant », explique Audrey Lepetit.
« Mais on manque clairement de moyens pour surveiller la zone et faire de la sensibilisation », renchérissent d’une même voix Christian Decugis et Olivier Bardoux.
Un manque de moyens que les pêcheurs de la prud’homie regrettent unanimement.
« Le statut de cantonnement nous empêche d’accéder à certaines aides, déplore Olivier Bardoux. On est un peu le parent pauvre des réserves, mais changer de statut ferait perdre la main aux pêcheurs d’un point de vue décisionnel, ce qui n’est pas envisageable. »
Et de conclure : « On manque de moyens et ce n’est pas toujours facile, mais on peut être fier du modèle qu’on a réussi à mettre en place. La mer n’est pas une ressource inépuisable et il faut en prendre soin. On y contribue à notre façon en participant à réinviter le métier de pêcheur ».
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