Lundi 5 juin, une quinzaine de personnes ont été arrêtées et leurs domiciles perquisitionnés par les gendarmes de la Sous-Direction Anti-terroriste. Toutes sont soupçonnées d'avoir participé à l’action du 10 décembre 2022 de sabotage de la cimenterie Lafarge de la Malle à Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône). Ils ont été relâchés au bout de 4 jours de garde-à-vue, mais l’enquête poursuit son cours et ils ne sont pas tirés d’affaire. Plus la lutte s’intensifie, plus la répression s’amplifie.
Lorsqu’un système à bout de souffle est attaqué, il se défend de plus en plus violemment. Face aux militants écologistes qui « désarment » les industries polluantes le gouvernement met les « grands moyens pour protéger ces industries, réprimer, et criminaliser les militants » explique Benoit Feuillu, un des portes paroles des Soulèvements de la Terre, pour La Relève et La Peste.
L’État attaque de manière multiple : mutilations à Saint-Soline, menace de dissolution des Soulèvements de la Terre qualifiés d’écoterroristes, et vagues d’arrestations des militants écologistes.
Lafarge est une cible privilégiée des actions de désobéissance civile des militants écologistes. Condamné par les autorités américaines pour « financement de l’organisation Etat islamique », le géant français du BTP est aussi l’un des plus gros pollueurs de la planète.
Le 10 décembre 2022, 200 militant·e·s ont saboté et mis à l’arrêt l’une de ses usines vers Marseille dans une action non revendiquée mais soutenue par les Soulèvement de la Terre. Par de multiples actes de sabotage et des « dégâts très importants », les militants écologistes ont mis l’usine à l’arrêt pour stopper la pollution générée par le cimentier français : sabotage de l’incinérateur, sectionnement des câbles, ou encore dégradation des véhicules et engins de chantier de la cimenterie.
Mis en cause pour « destruction en bande organisée » et « association de malfaiteurs », ils sont tous ressortis libres sans contrôle judiciaire ni défèrement devant la justice malgré des gardes à vue de 80 heures pour certains dans des conditions parfois « déplorables » et des interrogatoires « interminables ».
Le rôle de la Sous-Direction Anti-terroriste reste « ambigu » et relève d’une stratégie de tension et « d’une inquiétante dérive autoritaire » selon les Soulèvements de la Terre. L’utilisation de moyens anti-terroristes par l’État pour « tenter de créer l’image d’un ennemi intérieur n’est pas une nouveauté » insiste Benoît Feuillu.
La dangereuse escalade de la répression
Revenons à la racine du terme terroriste, étymologiquement il découle du latin terror qui signifie effroi, épouvante. Par définition le terrorisme se traduit par un usage systématique de la violence et de la terreur à des fins politiques. Des caractéristiques qui s’opposent précisément aux actions non-violentes des mouvements écologistes.
Le concept d’écoterrorisme a été défini originellement par le FBI au début des années 2000 et se caractérise par « l’utilisation de la violence de nature criminelle contre des personnes ou des biens pour des raisons environnementales ou politiques ». A ce titre, un certain nombre de militants écologistes sont fichés S à l’instar des terroristes islamistes.
« Il y une inversion de la réalité » s’indigne Benoit Feuillu.
« Assimiler aujourd’hui à du terrorisme l’usage de la pince coupante, de la masse et de la clef à molette en vue de neutraliser des infrastructures est un inacceptable retournement » a rappelé Lena Lazare sur le plateau de Quotidien.
« Ce n’est pas le fait que des gens aillent démonter des bassines à coup de cutter pour protéger la ressource en eau qui terrifie. Ce qui met le monde dans une situation de plus en plus terrifiante ce sont les conséquences de ces usines-là, de ces accaparements » poursuit Benoît Feuillu.
Le signal envoyé est « malheureux », cela vient « démontrer » que les gouvernements « commencent à comprendre que les gens ne vont plus se contenter de contempler le désastre ». Face à ce mouvement écologiste conséquent, « qui monte en force, qui fait les actions nécessaires, ces lobbys se sentent menacés » assène Benoit Feuillu.
Une tendance internationale
La répression des mouvements écologistes s’accentue partout à travers le monde. Aux Pays-Bas, 1 500 militants ont été arrêtés pendant une manifestation organisée par Extinction Rebellion contre les combustibles fossiles. En janvier, l’activiste américain de 26 ans Manuel Esteban Paez Terán qui défendait la forêt d’Atlanta a été tué par la police.
« Le tout premier cas contemporain d’un défenseur de l’environnement tué de la sorte aux États-Unis » selon le Guardian qui évoque la « dangereuse escalade de la répression et de la criminalisation des défenseurs de l’environnement ».
Les militants allemands de Letze generation (Dernière Génération) ont connu plusieurs vagues de perquisitions et arrestations ces derniers mois. Olaf Scholz, le chancelier allemand les a récemment qualifiés de « détraqués ».
Face à l’urgence de la situation, les mouvements écologistes prennent de l’ampleur. Plus le nombre de militants augmentent, plus la répression est grande.
« On est dans une période de l’histoire où, de manière nécessaire et vitale, il y a une montée en puissance d’un mouvement écologiste conséquent. Quand on dit conséquent c’est qu’il ne se contente plus de contempler l’inaction climatique du gouvernement et espérer être entendu, mais qui passe à l’action » explique Benoit Feuillu.
Le débat essentiel réside dans la légitimité de l’action face à la légalité des faits.
« Les centrales à béton sont des armes d’artificialisation massive des terres agricoles et de destruction de la biodiversité, des bombes à retardement climatique. Il est donc plus que jamais légitime et nécessaire de les désarmer » selon Léna Lazare.
Même son de cloche chez Benoit Feuillu : « Dans un état de nécessité, le désarmement, qui est considéré comme répréhensible de manière inadéquate parce que l’on protège d’un mal plus important, est légitime. »
Face à l’urgence, la désobéissance civile est « nécessaire » expliquait dès 2020 1000 scientifiques, dont des co-auteurs du rapport du Giec, dans une tribune. Aujourd’hui, le mouvement des Scientifiques en rébellion prend de l’ampleur.
Plus nous approchons du point de non-retour climatique, plus les efforts visant à criminaliser et réprimer les militants qui luttent pour une transition écologique s’accentuent.
Ce qui amène l’avocat américain Steven Donziger à s’exprimer sur la suite des contestations : « La police a ainsi été conditionnée pour croire que ces jeunes étaient des terroristes. Or que fait-on des terroristes aux États-Unis ? On les tue. Et la prophétie s’est réalisée », en référence à la mort de Manuel Esteban Paez Terán.