Les arbres sont d’une importance vitale et ont des fonctions écologiques, culturelles et économiques. Pour la toute première fois, un rapport fait l’état des lieux sur la santé des populations d’arbres du monde entier et le résultat est accablant : 30% des espèces d’arbres sont menacées d’extinction et au moins 142 espèces d’arbres sont enregistrées comme éteintes. Les principales menaces qui pèsent sur eux : l’exploitation forestière, la propagation de ravageurs et le changement climatique. Les 500 experts ayant travaillé sur ce recensement appellent les humains à repenser notre rapport à ces êtres végétaux dont notre survie dépend.
Écosystèmes forestiers en danger
Au cours des cinq dernières années, 500 experts et 60 organisations du monde entier se sont associés pour élaborer une Evaluation mondiale des arbres. Le rapport, publié début septembre par le Botanical gardens conservation international (BGCI) et des experts de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), détaillent leurs résultats et ils sont éloquents.
Environ un tiers des 58 497 espèces d’arbres étudiées sont menacées d’extinction à travers le monde, soit 17 500 espèces d’arbres. 7% des espèces sont également « possiblement menacées ».
« Avec près de 60 000 espèces dans le monde, les arbres constituent un groupe divers et forment l’un des habitats les plus variés de la planète. Une quantité phénoménale d’autres espèces dépendent de leur existence, qu’il s’agisse de plantes épiphytes, champignons, oiseaux, mammifères, invertébrés, amphibiens, reptiles, etc. Leur protection est indispensable aux êtres humains comme à la vie sauvage. Il est donc très surprenant de voir que nous en savions si peu sur leur statut de conservation, et choquant de savoir que les taux de déforestation demeurent si élevés. De nombreuses espèces d’arbres sont au bord de l’extinction, certaines n’ayant plus qu’un seul individu encore vivant pour les représenter. » déplore Jean-Christophe Vié, directeur général de la fondation Franklinia.
S’il n’existe pas de définition universelle de ce qu’est un arbre, cette Evaluation mondiale a choisi d’identifier comme arbre toute « plante ligneuse généralement à tige unique atteignant une hauteur d’au moins deux mètres, ou si elle est multi-tronc, une plante possédant au moins une tige verticale de cinq centimètres de diamètre à hauteur de poitrine ».
La répartition des espèces est très variée selon les différents endroits du globe. Certaines espèces ont leur répartition limitée à une seule région ou à un type spécifique d’habitat, et 58% des espèces d’arbres sont endémiques à un seul pays.
Le pays avec la flore arborescente la plus diversifiée est le Brésil, avec 8 847 espèces d’arbres, suivi de la Colombie (5 868 spp.) et de l’Indonésie (5 716 spp.) Les régions tropicales d’Afrique sont les zones où la proportion d’espèces menacées est la plus importante.
Cependant, même des arbres communs comme le chêne, l’ébène, l’érable ou le magnolia sont menacés. L’enquête a permis d’établir que 142 espèces sont considérées comme disparues. De l’autre côté du spectre, 41,5% des espèces sont en bon état de conservation.
Leurs menaces principales
Les menaces majeures pesant sur les espèces d’arbres sont le défrichement des forêts et d’autres formes de perte d’habitat, l’exploitation directe du bois et d’autres produits agricoles, et la propagation de ravageurs et maladies. Le changement climatique a également un impact de plus en plus fort sur les populations.
Tout comme pour l’extinction de la biodiversité et le réchauffement climatique, ce sont les activités humaines qui sont les principales responsables de cet état des lieux arboricole préoccupant.
Pour les chercheurs, l’effondrement des écosystèmes forestiers est plus à craindre lorsqu’ils sont soumis simultanément à de multiples menaces anthropiques.
« Différentes menaces telles que le feu, l’exploitation forestière, le pâturage et la fragmentation de l’habitat peuvent potentiellement interagir, créant des rétroactions qui peuvent entraîner un changement écologique brutal. Cependant, le changement climatique a le potentiel de devenir le principal facteur d’effondrement dans la plupart, sinon pour tous les types d’écosystèmes forestiers. Cela reflète son impact à grande échelle, qui peut s’étendre à tous les écosystèmes de régions entières : sa capacité inhabituelle à modifier certains des composants abiotiques d’un écosystème, tels que la disponibilité, la température ou l’acidité de l’eau ; et sa capacité à provoquer le désassemblage de communautés écologiques entières et la formation de nouvelles communautés. Le changement climatique peut également interagir avec toutes les autres menaces pour entraîner l’effondrement des écosystèmes. » décrypte l’expert Adrien Newton
Au cours des trois cents dernières années, la superficie forestière mondiale a diminué d’environ 40 % et 29 pays ont perdu plus de 90 % de leur couverture forestière (Newton, 2021).
La conversion des terres pour l’agriculture menace plus d’espèces d’arbres que tout autre danger connu, que ce soit à petite échelle avec le brûlis, à moyenne échelle pour les cultures de rente (comme le café et le thé), ou à grande échelle pour les cultures destinées à l’export (comme le palmier à huile, le soja, cacao, caoutchouc).
« En général, de telles pertes ont été relativement rares à l’échelle mondiale lors des extinctions de masse passées. Mais les pressions actuelles sur les arbres, alors que nous faisons face à la sixième extinction de masse, pourraient changer cela. De nombreuses familles d’arbres qui ont fait preuve de résilience, se sont adaptées et ont survécu pendant des millions d’années, y compris les familles d’arbres monotypiques, ont maintenant des espèces menacées d’extinction. » avertissent les botanistes Sara Oldfield et Peter Wilf
La deuxième menace majeure pour les espèces d’arbres est l’exploitation directe, en particulier pour le bois, impactant plus de 7 400 espèces d’arbres. Les feuillus tropicaux sont particulièrement visés pour leurs qualités, notamment en Indonésie. Au total, environ 300 millions de mètres cubes de bois sont récoltés chaque année, ce qui équivaut à environ 100 millions d’arbres.
Près de 2 % des arbres sont menacés par d’autres formes de récolte – que ce soit à des fins médicinales, horticoles ou autres. La quantification précise de l’exploitation forestière illégale n’est pas connue en nombre d’arbres, mais l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) estime la valeur des délits forestiers, y compris les délits d’entreprise et l’exploitation forestière illégale, entre 51 et 152 milliards de dollars par an.
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Enfin, les espèces d’arbres sont touchées par un large éventail de ravageurs et de maladies qui se propagent par des causes naturelles et artificielles. Le changement climatique modifie les possibilités de survie de nombreux ravageurs et maladies dans de nouveaux environnements.
En Europe par exemple, en plus de la sécheresse, les frênes sont exposés à un champignon pathogène invasif nommé Hymenoscyphus fraxineus. Il bloque les systèmes de transport de l’eau des arbres, ce qui provoque le dépérissement de leurs cimes, des lésions et leur éventuelle mort. Cette maladie a été détectée pour la première fois en Pologne et en Lituanie dans les années 1990 et s’est ensuite propagée à la plupart des pays européens.
La nécessité de repenser notre rapport aux arbres
Face à ce constat inquiétant, l’attitude n’est pas à la sidération mais à l’action. Les arbres ont une importance écologique primordiale. En effet, les forêts jouent un rôle majeur dans les processus biogéochimiques de la Terre, influençant la production des sols, les cycles hydrologiques, des nutriments et du carbone, ainsi que le climat mondial.
Les forêts contiennent environ 50 % des stocks de carbone terrestre du monde et plus de 75 % de l’eau douce accessible dans le monde provient de bassins versants forestiers. Les forêts abritent au moins la moitié des espèces végétales et animales terrestres connues sur Terre (Newton, 2021).
Les arbres ne se trouvent pas seulement dans les forêts, ils se trouvent aussi dans les savanes, les arbustes, les prairies, les déserts, les zones humides, les écosystèmes côtiers et rocheux et même dans les environnements artificiels et urbains, preuve sans équivoque de leur résilience.
En outre, les arbres fournissent de nombreux services écosystémiques grâce à la purification de l’eau, la prévention de l’érosion et des inondations, la séquestration du carbone, le contrôle de la température et la régulation de la qualité de l’air.
Les auteurs du rapport invitent les humains à mieux connaître les arbres pour participer activement et surtout efficacement à leur replantation et régénération. En plus de protéger les zones de biodiversité restantes importantes pour la conservation des arbres, ils préconisent également de restaurer les paysages dégradés.
« Maintenant, nous savons enfin combien d’espèces d’arbres sont menacées d’extinction, où elles se trouvent et ce qui peut être fait pour inverser la tendance. Grâce aux efforts de reboisement, il existe une énorme opportunité de changer ce constat désastreux, mais les pratiques de plantation d’arbres doivent en grande partie changer. Les forêts peuvent se régénérer naturellement si on leur laisse un peu de temps pour se reposer. Lorsque la plantation d’arbres est nécessaire, en particulier pour les espèces d’arbres menacées qui ont atteint un très faible nombre d’individus, les bonnes espèces doivent être plantées au bon endroit. » exprime Jean-Christophe Vié, directeur général de la fondation Franklinia.
Une communauté entière composée de botanistes et de défenseurs de l’environnement est prête à aider dans cette tâche colossale et y travaille déjà. Ces experts doivent être associés à des efforts concrets qui ne doivent pas être exclusivement menés par les forestiers et des entreprises « dont le nombre d’arbres plantés ou l’obtention de crédits carbone soit leur seul moteur », avertit le rapport.
Actuellement, 30 % des espèces d’arbres sont répertoriées comme présentes dans au moins un jardin botanique ou une banque de semences. Ils détiennent plus d’espèces non menacées (45 %) que d’espèces d’arbres en danger (21 %). 41 espèces d’arbres n’existent que dans des collections de conservation.
« Des espèces d’arbres ayant évolué depuis des millions d’années, s’étant adaptées à différents changements climatiques, ne peuvent désormais plus survivre aux assauts de l’espèce humaine. A quel point sommes-nous si court-termistes pour laisser disparaître des êtres dont nous sommes tant dépendants ? Si nous pouvions apprendre à respecter les arbres, il ne fait aucun doute que cela résoudrait de nombreux défis environnementaux. » conclut Jean-Christophe Vié
Pour aller plus loin, la liste des sentinelles des arbres :
- L’International Plant Sentinel Network facilite la collaboration entre les instituts du monde entier, pour travailler ensemble afin de fournir un système d’alerte précoce des risques nouveaux et émergents liés aux ravageurs et aux agents pathogènes.
- La Global Trees Campaign vise à assurer l’avenir des espèces d’arbres du monde, en agissant pour les arbres menacés, pour le bien des personnes et de la planète.
- L’Alliance pour la restauration écologique des jardins botaniques dirige certains des projets de restauration les plus riches en biodiversité de la planète, y compris des projets de restauration forestière sur cinq continents qui intègrent des espèces d’arbres menacées, démontrant que la restauration des forêts peut être atteint d’une manière qui profite à la biodiversité.
- En France, lancée il y a 26 ans par quelques passionnés des arbres remarquables, l’association A.R.B.R.E.S (Arbres Remarquables : Bilan, Recherche, Études et Sauvegarde) a mis l’expression au goût du jour pour inventorier, faire connaître et évidemment sauvegarder ces arbres avec, à l’époque, un mot-clé : le patrimoine.
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