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Sommes-nous la première civilisation à documenter la dégradation de nos conditions de vie sur Terre ? 

"Très souvent, les peuples autochtones ont réussi à inverser sur le temps long leurs impacts sur l’environnement. Nos sociétés occidentales n’ont pas le même recul, ni les mêmes ontologies (façons de voir le monde). Notre économie s’est construite sur la croyance qu’on extrait des ressources gratuitement et que ça durerait toujours, ce n’est pas le cas, on s’en rend compte avec les alertes scientifiques de plus en plus nombreuses."

Laurent Testot est journaliste. Après 18 ans au magazine « Sciences Humaines », il est devenu formateur, conférencier sur les matières environnementales, historien et écrivain. Parmi ses ouvrages, « Cataclysmes » retrace la passionnante et parfois effrayante épopée de l'humanité. Ce livre raconte comment, depuis trois millions d'années, nous modifions la nature et comment celle-ci nous transforme en retour. A force de vulgariser les rapports du GIEC et de faire le suivi de l’extinction de la biodiversité, La Relève et La Peste a voulu l’interroger.

Spécialiste en France de l’approche historique globale, et plus spécialement de l’interaction de l’homme avec la planète sur le temps long. Laurent Testot est l’auteur de l’essai « Cataclysmes, une histoire environnementale de l’humanité » qui a reçu le prix de l’Académie française Léon de Rosen pour la promotion du respect de l’environnement. Il a dirigé plusieurs ouvrages en histoire globale et mondiale dont « Histoire globale. Un autre regard sur le monde » et « La Guerre, des origines à nos jours« . Son dernier livre est « Vortex, Faire face à l’Anthropocène », co-écrit avec Nathanël Wallenhorst, éditions Payot, 2023

LR&LP : Que vous a donné l’envie d’écrire ces livres et de vous intéresser à l’impact des activités humaines sur l’environnement ?

Laurent Testot : J’ai écrit « Cataclysmes, une histoire environnementale de l’Humanité » en 2017. Ce livre vulgarise ce qu’on appelle l’histoire globale environnementale aux Etats-Unis, où de nombreux auteurs ont documenté l’évolution des rapports entre humains et l’environnement depuis 3 millions d’années, soit l’apparition des humains (Homo).

Ce qu’on observe sur le temps long, c’est qu’on a probablement toujours dégradé un peu notre environnement en fonction de nos moyens techniques. Les humains d’il y a 50 000, 10 000 ans ont participé, avec des changements climatiques, à l’extinction de grands animaux. Ils ont changé ce faisant les écosystèmes, puisque ces grands animaux broutaient et fertilisaient par leurs excréments, affectaient toute la chaîne trophique jusqu’aux plantes. Mais leur prédation restait de basse intensité.

Il y a une deuxième phase qui augmente avec l’agriculture, apparue il y a 12 000 ans et devenue beaucoup plus forte il y a 6-à 5 000 ans. Cela change littéralement les écosystèmes puisqu’on déforeste pour planter. Le modèle agricole de base est de brûler les arbres et d’utiliser les cendres pour pour fertiliser les sols.

Puis, il y a une grande accélération à partir du XIX ou XXe siècle, notamment après la Seconde Guerre mondiale, où l’on entreprend d’avoir une action sur le milieu qui est phénoménale et extrêmement destructrice.

A l’origine, l’histoire globale est une discipline conçue pour appréhender l’histoire à très grande échelle et répondre à une question fondamentale : pourquoi l’Europe a dominé le monde entre le XVIe et le XXe siècle ? Au XIXe siècle, la réponse classique était de dire que les Occidentaux était plus intelligents, ou étaient de meilleurs combattants, ou avaient inventé la science. Mais de plus en plus d’auteurs, William McNeill et Alfred Crosby en tête, ont mis en avant les facteurs environnementaux qui expliquaient cette évolution.

Alfred Crosby expliquait notamment que si l’Europe conquiert les Amériques à partir du XVIe siècle assez facilement, et échoue à conquérir l’Afrique au même moment, c’est à cause d’un différentiel biologique : les pandémies. Les Européens ont amené des pandémies avec eux que ne connaissaient pas les peuples autochtones d’Amérique du Nord.

Toutes leurs civilisations se sont effondrées face à la variole, alors que l’Afrique était protégée par ses maladies, paludisme falciparum et fièvre jaune, qui tuaient les Européens dès que ceux-ci débarquaient. Le moment où on a commencé à utiliser la quinine pour traiter ces maladies est celui où on a réussi à envahir l’Afrique, seconde moitié du XIXe siècle. Cette question épidémiologique passait complètement inaperçue dans les textes classiques d’histoire qui se concentrent trop souvent sur les guerres.

LR&LP : Après vous être plongé dans l’histoire globale en 2005, vous avez bifurqué assez vite sur l’impact environnemental de l’humanité, comment ce changement s’est-t-il opéré pour vous ?

Laurent Testot : J’ai suivi les traces des fondateurs de l’histoire globale, devenus les défricheurs de l’histoire globale environnementale. Je me suis donc attaché à travailler sur une histoire environnementale globale qui essaie de mettre en perspective les évolutions technologiques et institutionnelles de nos sociétés. Même avec ce différentiel biologique de leur côté, les Espagnols n’auraient pas gagné contre les Aztèques et les Incas s’ils n’avaient pas eu la logistique suffisante pour projeter leur force à travers l’Atlantique : une armée navale, l’artillerie pour prolonger cette domination jusqu’en Asie, etc.

L’environnement n’explique pas tout mais il permet de souligner un certain nombre de facteurs longtemps passés inaperçus. Comme on fait une histoire du point de vue des gagnants, on a tendance à passer sous silence les perdants. Et en environnement aujourd’hui, il y a beaucoup de perdants : des gens qui vivent dans des endroits très pollués dont l’espérance de vie est affectée par ces pollutions. On a tendance à les minorer car ce ne sont pas des gens de l’élite qui vont être apparents dans la production des documents, ni dans la capacité d’agir pour capter des ressources afin de résoudre leurs problèmes.

L’histoire s’est tissée là-dessus. On exalte volontiers Cortés, Colomb ou Pizarro pour leurs conquêtes, mais on oublie complètement les millions de personnes autochtones mortes pendant ces conquêtes. L’histoire globale permet d’une certaine façon de montrer le côté populaire des victimes, des peuples autochtones, du maintien de l’environnement, de la conservation de la forêt et des écosystèmes, on les exploite pour le tourisme ou on les expulse pour le crédit carbone. Une nouvelle manière d’envisager l’histoire permet aussi de réhabiliter ces processus et de souligner leur importance dans les décisions politiques à prendre pour le XXIe siècle.

« Arrivée d’Hernán Cortés au Mexique » – Crédit : lithographie des imprimeurs Kurz & Allison de la fin du 19ème siècle.

LR&LP : Toutes ces conquêtes ont été menées pour des questions de ressources et d’accès à ces ressources, il y a eu aussi des effondrements de société pour la surexploitation de ces ressources. Est-ce que certaines civilisations en avaient conscience, avec même des lanceurs d’alerte, comme nous pourrions dire que les scientifiques du GIEC deviennent les lanceurs d’alerte de la dégradation de nos conditions de vie sur Terre ?

Laurent Testot : On adopte généralement le terme de civilisation à partir du moment où il y a sédentarisation et constructions pérennes. Il est plus approprié sur les derniers millénaires car les sociétés agricoles connaissent au bout d’un moment une expansion démographique importante qui se fait au détriment des écosystèmes, quand elle rase des forêts pour créer des champs ou canalise des cours d’eau pour l’irrigation.

Le simple fait de mettre un barrage sur une rivière change l’écosystème de la rivière. Le simple fait de raser une forêt a des conséquences sur le climat, et ça les gens en étaient conscients il y a très longtemps déjà.

On en voit des traces dans la plus vieille épopée que l’on connaisse, qui est l’épopée de Gilgamesh où le roi exprime son pouvoir en aller conquérir la forêt de cèdres du Liban. Il affronte la Nature sous la forme d’un monstrueux gardien de la forêt mais finit par la mettre de son côté en s’alliant à un homme sauvage. On voit dans le texte que les rédacteurs de Gilgamesh savaient les conséquences environnementales de leurs actes.

Et c’est clairement dit dans d’autres écrits antiques, beaucoup plus tardifs. Dans « Critias », Platon met très clairement en cause la déforestation de la Grèce comme étant un facteur de destruction du milieu, de réduction des rendements agricoles. Aristote boucle ce constat en disant que si les Grecs sont allés conquérir la Perse, c’est qu’ils manquaient de ressources notamment en bois. Parce que les collines s’érodaient et ne supportaient plus la nombreuse population grecque.

Dans les civilisations antérieures, les gens étaient beaucoup plus à l’affût de leur environnement que nous ne le sommes. Au Moyen Âge, les gens vivaient dans les bois et en tiraient leurs matières premières. C’est le bois qui permettait de se vêtir, se chausser, fabriquer des outils, du mobilier, etc. Ils avaient besoin de la ressource environnementale, et beaucoup d’histoires se retracent à travers les procès que se font les gens : contre la royauté qui veut s’emparer des forêts, contre les communautés locales qui veulent lutter contre les nobles pour garder accès à ces ressources qui sont vitales pour elles.

Une bonne partie de l’histoire de l’humanité s’est inscrite dans le partage des ressources environnementales, chose qu’on a complètement oubliée. Aujourd’hui pour nous la forêt est un lieu où on va se balader, pour d’autres un endroit où l’on investit pour faire du bois-énergie. Mais finalement elle a toujours été vitale, observée, voire habitée. Et la dégradation du milieu, la déforestation, est corrélée à des modifications non voulues de leur environnement. Les gens étaient parfaitement au courant, simplement ils l’exprimaient dans des mots qui ne sont pas les termes scientifiques contemporains.

Par exemple, à l’issue de la Révolution Française il y a eu un débat sur les forêts pour savoir si elles modifient le climat. La question était de savoir si elles adoucissent le climat quand on les rase pour les remplacer par des champs, ou si cela désertifie les milieux et aridifie les sols.

LR&LP : A l’image des militants écologistes actuels, y a-t-il eu des lanceurs d’alerte sur l’impact des activités humaines par le passé ?

Laurent Testot : Oui. Dans « Cataclysmes » (p.304, « un lettré chinois »), je parle d’un haut fonctionnaire chinois, qui au XVIIIe siècle documente comment neuf dixièmes des vieux arbres ont été rasés en un siècle dans le pays.

Les Chinois ont toujours eu de grands cycles d’expansion démographique, grâce à de très forts rendements agricoles. Cela se traduisait par un État puissant qui colonisait ses voisins en envoyant des populations de paysans qui déboisent, font de l’agriculture et entraînent une érosion des sols et des catastrophes sous forme d’inondations, puisque le limon se dépose dans les fleuves et détruisent les ouvrages comme les digues et les ponts.

En Chine, il y a des millions des morts causées par des inondations récurrentes depuis 2500 ans à cause des atteintes environnementales. Et au XVIIIIe siècle, ce penseur chinois, Hong Liangji, contemporain de Malthus, calcule que la population se multiplie beaucoup plus vite que n’augmentent les rendements agricoles. Couplé au déboisement et aux atteintes environnementales, il en conclut que l’Empire chinois risque des famines et des épidémies, et in fine des guerres civiles.

La réaction du pouvoir chinois est similaire à ce qu’on voit aujourd’hui encore : on lui fait comprendre que soit il se tait, soit on le fera taire. Il choisira le silence et finira sa vie en beuveries dans les tavernes.

L’État moderne, dont la puissance s’exprime par sa capacité extractive, s’accompagne également de tentatives de faire taire les gens. L’État s’est construit sur la capacité à extraire des ressources de son milieu, l’argent également sert à symboliser des échanges de ressources pour en extraire davantage. C’est complètement antithétique de la construction des États que de dire qu’on va préserver notre milieu, sauf s’il y a vraiment une question vitale en jeu. Par exemple, si on n’a plus de bois, on ne pourra plus construire de navires de guerres. C’est pourquoi les États puissants ont nationalisé les forêts et réservé les beaux chênes à la construction navale pour les navires de guerre.

LR&LP : Dans l’histoire, y a-t-il des cas de civilisation ou de communautés ayant pris conscience à temps, et des mesures, pour empêcher l’effondrement de leurs conditions d’existence, mis à part les peuples autochtones ?

Laurent Testot : Les peuples autochtones d’Amérique du Nord ont eu des débats similaires ainsi que le retranscrit le paléoanthropologue américain Tim White qui documente dans le livre « Le Middle Ground » les guerres des XVIIe et XVIIIe siècle entre les armées blanches et les différentes nations autochtones qui les combattent. Ils réalisent qu’ils doivent se procurer des fusils pour combattre à armes égales, ce qui provoque un débat entre les jeunes chasseurs et les anciens. Est-ce pour se procurer des fusils on tue tout ce qui intéresse les Blancs, castors, bisons, etc. pour échanger les fourrures avec les armes à feu, ou est-ce qu’on préserve la ressource ?

Les jeunes guerriers ont souvent le dernier mot, ce qui explique pourquoi la première partie de l’effondrement des populations de bisons est opérée par les peuples autochtones. En trois vagues de destructions, les deux suivantes étant du fait d’une politique délibérée des Blancs, on va réduire leur population de 30 millions au début du XVIIIe siècle à moins de 400 bisons à la fin du XIXe siècle. Reste que la première vague de destruction a été initiée par les peuples de la Prairie qui avaient besoin d’armes.

Je souligne que très souvent, les peuples autochtones ont réussi à inverser sur le temps long leurs impacts sur l’environnement. Nos sociétés occidentales n’ont pas le même recul, ni les mêmes ontologies (façons de voir le monde). Notre économie s’est construite sur la croyance qu’on extrait des ressources gratuitement et que ça durerait toujours, ce n’est pas le cas, on s’en rend compte avec les alertes scientifiques de plus en plus nombreuses.

On a popularisé l’idée d’un effondrement massif, soudain et incontestable, mais ce que l’on vit n’est pas de cet ordre-là. Il y a plus en plus d’urbanisation, d’accès à des technologies, une extension de l’espérance de vie dans le monde, même si elle ralentit voire s’inverse dans les pays développés. Certaines choses avancent, qui nécessitent toujours plus de prélèvements en ressources, mais apportent des éléments comme allant dans le bon sens.

Il faut une pensée systémique de la notion d’effondrement, la collapsologie telle que l’a formulée Pablo Servigne était une pensée complexe. A l’échelle de certaines personnes, on ne voit souvent qu’un élément.

Photographie du milieu des années 1870 d’un tas de crânes de bisons d’Amérique attendant d’être broyés pour être fertilisés. – Crédit : Wikimedia Commons

LR&LP : Ce qui m’avait frappée à la lecture de « Cataclysmes », c’est que je n’ai pas eu l’impression qu’il y ait eu une organisation de société qui avait anticipé suffisamment l’impact sur son milieu pour anticiper les choses. Ne fait-on que répéter depuis 3 millions d’années les mêmes erreurs ?

Laurent Testot : On peut faire une analogie avec la civilisation maya qui a été confrontée aux VIIIe et IXe siècles à une aridification, due à une période un peu plus chaude avec l’optimum climatique médiéval (attention, rien de comparable à aujourd’hui, on était alors à +0,6°C planétaire au maximum). Couplée à de forts épisodes d’El Niño, cela a entraîné une aridification très forte de l’Amérique centrale, berceau de la civilisation maya.

Elle était composée de cités-Etats rivales avec de fortes densités de population exploitant depuis 3000 ans leurs milieux. Elles avaient beau avoir des pratiques agricoles durables avec la milpa (culture associée de plusieurs végétaux, maïs, haricot et courge, avec des vertus écologiques et alimentaires), le recyclage d’excréments humains, la fertilisation avec des cendres, leur modèle s’est effondré.

Elles ne sont pas sorties de leurs guerres pour autant. En revanche, la civilisation maya a changé considérablement à partir du Xe siècle. Elle a abandonné les grands centres culturels autour desquels elle se massait pour se faire périodiquement la guerre, pour passer à un mode de vie plus en phase avec la forêt, associant la culture itinérante avec la chasse et la cueillette. Elle a laissé le couvert végétal se reconstituer, fait de l’agroforesterie, et les centres de peuplement se sont diffusés dans la jungle.

Les historiens classiques parlent d’un effondrement maya, mais c’est très discutable. D’abord, car il n’est pas prouvé que cela s’accompagne d’un effondrement démographique. Quelques siècles plus tard, la civilisation maya a d’ailleurs refait des grandes cités et des grands États tels Mayapán au XIIIe siècle et cela l’a rendu plus résiliente. La civilisation aztèque est très densément peuplée, et quand les Espagnols débarquent, la variole emporte la moitié de la population en moins de deux ans, ce qui fait que cette civilisation s’effondre assez facilement sous les coups des conquistadores.

Mais les envahisseurs ibériques mettront 170 ans à venir à bout des Mayas dans leur forêt, avec de petits groupes mobiles qui évitent les épidémies grâce à ce confinement forestier. Ont-ils connu un effondrement ou une évolution de leur mode de vie qui leur a permis de s’adapter à un nouveau contexte ? J’ai plutôt l’impression de la deuxième option. Ce qui me fait dire que l’espèce humaine est extrêmement ingénieuse, elle s’adapte à son contexte.

Quand on a voyagé dans des pays à faible revenu, on voit bien la débrouillardise des gens en Afrique et Asie du Sud-Est pour faire tourner des moteurs. Je ne me fais pas de soucis pour les humains, ils vont survivre. La question est de savoir si on va tellement affecter notre milieu qu’on va en devenir inhumains pour essayer d’extraire toujours plus de ressources supplémentaires.

Le problème fondamental de notre mode de vie ce sont les inégalités. Il y a peut-être 10 ou budget gbud20% des gens qui vivent très très bien grâce à la politique extractive des États dans lesquels ils vivent. Et cette question hante l’anthropocène aujourd’hui puisqu’en très gros, et c’est assez spectaculaire sur les rapports d’Oxfam : plus on riche, plus on est moteur de la destruction de l’environnement. Nous rangeons-nous du côté d’Elon Musk ou du côté des paysans sahéliens ? Sommes-nous prêts à réduire considérablement notre mode de vie, et celui d’Elon Musk, ou est-ce qu’on peut négocier avec les limites planétaires ?

Personnellement, je pense qu’il faudrait décroître, que c’est même la seule solution envisageable. Simplement, on est un peu comme les cités mayas de la fin : on est engagés dans un système de rivalité internationale qui est tel qu’aujourd’hui, les dépenses d’armement sont complètement obscènes. On a calculé que la moitié du budget militaire mondial permettait d’atteindre les Objectifs de Développement Durable de l’ONU, et rendre le monde habitable pour l’essentiel de l’humanité, dans le respect des limites planétaires et des fondamentaux de la dignité humaine.

LR&LP : Dans cet objectif de paix, a-t-on des exemples de sociétés qui ont décidé de s’organiser pour se partager durablement les ressources ? Le contexte actuel ne porte pas à l’espérance alors que de nombreuses organisations internationales ont été mises en place pour garantir la paix.

Laurent Testot : On trouve toujours des exemples chez les chasseurs-cueilleurs de communautés pacifiques comme de communautés extrêmement guerrières. Je trouve plus intéressant de parler de sociétés aussi complexes que les nôtres. Je vais citer deux hommes d’État qui sont des héros absolus pour moi : Mikahil Gorbatchev et George H.W Bush (le père).

Ils ont mis en œuvre le seul traité de désarmement suivi d’effets car ils ont réduit leur volume d’armes nucléaires respectif d’à peu près deux tiers. Seulement, Clinton n’a pas voulu aller jusqu’au bout et se débarrasser totalement des armes nucléaires, ce que Gorbatchev puis Eltsine auraient pu envisager. Et le tiers restant était déjà largement suffisant pour atomiser toute civilisation sur Terre.

Le problème c’est que, depuis trente ans, on a considérablement décuplé la capacité de frappe de ces armes nucléaires, donc on est plus en danger qu’à l’issue de ces traités de désarmement, START I et II. Cela n’a pas non plus porté bonheur à Gorbatchev qui a été renversé. Mais ces négociations sont encourageantes, elles ont été rendues possibles grâce à la lucidité de quelques dirigeants.

Ensuite, une société s’est passée complètement de guerre pendant deux siècles et demi : le Japon. Au XVIe siècle, le Japon est en guerre civile. Les Portugais débarquent avec trois mousquets. Les armuriers japonais, les meilleurs du monde à l’époque, les ont répliqués en série un an plus tard. Vingt ans après, ils ont inventé le feu roulant qui n’apparaîtra en Europe que cinquante ans plus tard. Le Japon devient la puissance technologiquement la plus avancée au XVIe siècle.

Trois shoguns successifs arrivent à unifier le Japon et mettre un terme aux guerres civiles. A la fin du XVIe siècle, le Japon est extrêmement puissant. Il envoie une ambassade autour de la planète qui voit notamment comment les Européens ont traité les Mexicains. A leur retour, les ambassadeurs japonais rapportent que le christianisme a entraîné la destruction de la civilisation au Mexique.

La dynastie des shogun Tokugawa décide alors de fermer le Japon, d’empêcher les Occidentaux d’y venir, et d’expulser les chrétiens du Japon. Cela donne lieu aux persécutions anti-chrétiennes car certains refusent d’abdiquer leur foi : tortures et massacres.

Un gouvernement militaire va prendre le pouvoir au Japon et va imposer pendant deux siècles et demi, par la force, un moment sans guerre au Japon ce qui est un moment unique dans l’histoire mondiale. C’est la période Edo. Il continue de faire du commerce à l’extérieur, envoie énormément de minéraux vers la Chine (notamment du cuivre). Ce gouvernement va respecter son environnement. Il met en place des mesures très fortes pour gérer le reboisement du Japon et le maintien des ressources écosystémiques, car il a parfaitement conscience que la fertilité des rizières dépend d’écosystèmes en bonne santé.

Cela restait une société très violente, où les droits des gens du commun ne pesaient rien face aux exigences des élites militaires. Cette société n’était pas une démocratie : il y avait des bons côtés, une criminalité extrêmement réduite, mais je ne sais pas si c’est un modèle à imiter.

Une gravure sur bois de la période Edo montre une image paysagère de la ville de Veno, Toeisan. Crédit : Bernard Allum

LR&LP : On s’aperçoit que la dégradation de nos conditions est toujours pensée dans un prisme étatique, d’une volonté de puissance, mais jamais dans un prisme planétaire parce que les humains ne vont pas décider de s’organiser à l’échelle d’une communauté internationale. Actuellement, il y a la guerre en Ukraine, mais aussi entre Israël et la Palestine. Est-ce que c’est foutu ? Sommes-nous voués à nous entretuer ?

Laurent Testot : Ce que j’observe dans l’histoire, c’est qu’on a fait preuve d’ingéniosité. Il y a un effondrement civilisationnel à la fin de l’âge du Bronze, pour des raisons environnementales et d’évolutions sociétales. A l’issue cet âge du Bronze apparaissent les grandes religions universelles et les États universalistes avec l’idée fondamentale que les dieux comme les États ne sont pas seulement au service de la communauté, en rivalité avec les voisins, mais au service d’idéaux universaux.

Les religions mondiales naissent il y a 25 siècles, c’est ce que l’on appelle le moment axial, en une façon de s’adapter à des sociétés de plus en plus complexes. Elles se sont diffusées à travers le commerce d’abord, la conversion permettait d’échanger sur des mêmes bases morales. Et ensuite, ces religions-là se sont repliées sur elles-mêmes ou se sont dévoyées de leur mission par abus de pouvoir et avidité, comme le catholicisme avec les croisades. Les élites des pays conquis se convertissent aussi pour pouvoir accéder aux écoles aux ressources des Blancs, on a des religions ou des idéologies nées il y a 25 siècles pour répondre à des besoins communs de l’humanité et non plus seulement d’une communauté. On s’est déjà adaptés à des contextes qui changeaient pour essayer d’accompagner ça, donc rien n’empêche de le refaire. Cela s’appelle les utopies.

Aujourd’hui, nous sommes encore dans des conditions où on peut encore lutter et changer les trajectoires. Le succès évolutionniste de notre espèce, c’est la collaboration. »

Laurie Debove

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