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« Plutôt que de dégrader, aggrader les écosystèmes nous permettra de faire un grand pas dans notre humanité »

Lorsqu’on lit des rapports sur l’écologie, la même question revient inlassablement : « comment réduire notre empreinte carbone ? » Comme si toute notre propre existence devait être la réduction de nos actions. Pourquoi en tant qu’humains ne pourrait-on pas faire partie de la solution ?

En avril 2019, nous vous présentions Jonathan, Caroline, leur famille et leurs amis qui vivent dans des cabanes dignes des contes de fée, au beau milieu des bois. Presque deux ans après, Jonathan vient de publier un livre pour mieux expliquer leur mode de vie : « La Désobéissance Fertile, pour une écologie offensive ». A la fois pratique et philosophique, ce guide donne aussi bien des clés sur la législation en vigueur pour ce mode de vie atypique, que des pistes de réflexion sur le rôle de l’humain au milieu de son environnement. Avec une conviction forte : loin de devoir se contenter de « réduire son empreinte », l’être humain peut pleinement faire partie d’un écosystème en accélérant sa régénération. Plutôt que de dégrader, il nous faut aujourd’hui « aggrader » nos territoires. Entretien avec Jonathan Attias.

LR&LP : Comment le mouvement Désobéissance Fertile a-t-il évolué depuis son lancement ?

Nous avons reçu énormément de témoignages de personnes qui se sont lancées, soit en rachetant des forêts pour les préserver, soit en faisant fonctionner des terres agricoles pour les aggrader. Les gens ont bien compris que l’avenir n’était pas de vivre enfermé par quatre murs de béton.

Il y a maintenant un débat politique. Alors que ce sujet était marginal, toutes les médiatisations ont permis de poser un vrai débat de société sur la question de l’habitat réversible qui est très bon pour l’environnement car il a une neutralité carbone, et pas d’emprise au sol sur les fondations par rapport à un habitat traditionnel.

Le béton est responsable de 8% des émissions de GES dans le monde, notamment à cause du BTP traditionnel. Nous devons impérativement questionner notre façon d’habiter le monde, d’habiter la Terre.

Heureusement, des réflexions avec les communes émergent grâce à des associations comme les Hameaux Légers. Cela permet de mieux faire accepter l’habitat réversible même si la loi n’y est pas très favorable, et de prendre conscience de cette capacité à vivre avec ce mode de vie.

Lire aussi : « Bretagne : le premier écohameau de maisons réversibles va sortir de terre à Saint-André-des-Eaux »

La cabane au milieu des bois

LR&LP : Justement, quel est votre retour d’expérience après deux ans à vivre dans la forêt ?

Ce qui a énormément changé, c’est notre rapport au temps. En évoluant dans la nature, on a appris à apprivoiser les saisons, et que chacune dispose d’un charme et un bienfait particulier.

L’hiver ici, je me rends compte que c’est une saison de repli sur soi, où l’on a besoin de se reposer. Et c’est en observant les cycles de la Nature et des saisons que nous calquons nos propres comportements.

Je suis toujours habité par cette poésie et ce langage de sens, et j’ai l’impression plus que jamais de faire partie intégrante de cette Nature. Beaucoup de ce que j’ai écrit dans le livre sont des inspirations que j’ai eu dans la Nature, notamment un passage adossé contre un arbre ; parce que j’étais dans cet état d’ouverture et d’écoute avec mon milieu. Ce qui m’a permis d’être réceptif à ces informations plus subtiles que le langage verbal.

On comprend que tout ce qui nous entoure vit, et vibre. Et à son contact nous vibrons et nous changeons notre fréquence personnelle. C’est pour cela que j’invite les gens à devenir gardiens d’un territoire, que ce soit un petit bout de jardin qu’on se fait prêter ou une zone agricole ou forestière que l’on achète. Pour préserver un territoire quel qu’il soit, on a besoin de cet attachement-là.

La lecture des rapports scientifiques ne m’ont jamais fait changer profondément mes habitudes de vie comme ce retour à la Nature me l’a permis. J’ai harmonisé mes valeurs et j’ai pris conscience que je ne laisserai personne détruire ce Vivant, je suis devenu gardien de ce territoire.

Caroline, Jonathan et leurs deux filles – Crédit : Virginie Quéant – Green4two Média

LR&LP : Beaucoup de personnes sont inquiètes d’un possible manque de confort, le ressentez-vous ?

Ma grande peur était de ne pas avoir assez chaud. C’est pour cela qu’on a très vite investi dans un vieux poêle à bois qui appartenait à un paysan afin de répondre à nos besoins primaires. Au final, nous n’avons jamais eu froid. On a également fait le choix jusqu’à présent de scier le bois de chauffage à la main, ce qui demande beaucoup d’efforts d’énergie, donc nous apprécions encore plus notre poêle l’hiver !

LR&LP : Dans le livre, le moment où vous découvrez que votre source est tarie arrive très vite. La problématique de l’eau s’est donc présentée de façon urgente à votre famille, comment avez-vous réagi ?

Pour moi, cela a été un vrai choc. Cet été, on était partis quelques jours et lors de notre retour, l’eau ne coulait plus au robinet. J’ai remonté le tuyau jusqu’à la source pour voir s’il s’était empêtré, ce qui arrivait régulièrement. Et là, j’ai découvert qu’il n’y avait plus une goutte d’eau à la source à cause de la sécheresse.

En se lançant dans ce mode de vie, on s’est toujours dit qu’on trouverait des solutions appropriées face aux galères ; et là, face au manque d’eau, j’ai été confronté à la finitude de mon existence.

J’ai pensé en tant que père de famille : j’ai deux enfants et une responsabilité. J’étais persuadé que toutes les catastrophes en terme de crise climatique seraient des événements très éloignés de mon quotidien.

Cela a été une vraie révélation de découvrir de plein fouet que nous subissions les conséquences de nos choix anthropiques. Et ce, alors que le village où l’on habite se situe sur une nappe phréatique et que de mémoire de paysan, jamais cette source ne s’était tarie !

Crédit : Virginie Quéant – Green4two Média

Heureusement, il y a plusieurs sources sur le terrain. Nous avons donc mis des bidons de 20L dans une brouette et fait de nombreux allers/retours pour nous approvisionner et pallier à cette situation de crise. Pour la première fois de ma vie, j’ai pris conscience de ce que vivent les personnes qui ne disposent pas d’eau potable au sein de leur habitation.

Cet épisode m’a créé un vrai stress, depuis j’observe très attentivement la pluviométrie. Je crée des réserves d’eau douce et nous économisons l’eau. Nous avons un besoin journalier de 5L/jour/habitant alors qu’en moyenne pour un Français c’est 150L.

J’ai développé un respect pour l’eau que je n’avais pas jusqu’alors. Depuis, nous nous sommes raccordés à une autre source. Je sais dorénavant que c’est une question d’années avant qu’il ne se reproduise la même chose, je préserve donc chaque goutte d’eau.

Crédit : Virginie Quéant – Green4two Média

On a également acheté un petit réservoir de 300L et on a construit une cuve avec des poteaux de bambou qu’on a placé autour, un tressage en osier et une bâche plastique de récup’ grâce à un pépiniériste agricole voisin. Comme une mare. Le trop-plein d’eau de la première réserve va dans la mare.

La consommation d’eau pour le jardin est énorme, j’ai dû laisser une partie de mon jardin mourir cet été là. Je me suis aperçu qu’il fallait 600L d’eau par semaine pour mon jardin.

C’est pour cela que je trouve que la Ville est contre-nature. Le paradoxe veut que les gens les mieux informés soient les urbains mais ce sont eux qui sont le plus loin de la solution : vivre dans du béton, faire ses besoins dans l’eau potable, manger une nourriture industrielle pleine de déchets, j’aimerais qu’on puisse avoir cette prise de conscience et qu’on arrête de se voiler la face.

Lire aussi : « Sécheresse : la France se prépare à des pénuries d’eau »

La source, symbole de Vie – Crédit : Jonathan Attias

LR&LP : Une notion forte sert de fil conducteur au livre. Plutôt que de dégrader, vous proposez d’aggrader les territoires, comment cela vous est venu ?

Lorsqu’on lit des rapports sur l’écologie, la même question revient inlassablement : « comment réduire notre empreinte carbone ? » Comme si toute notre propre existence devait être la réduction de nos actions. Pourquoi en tant qu’humains ne pourrait-on pas faire partie de la solution ?

Plutôt que de chercher à réduire notre destruction quotidienne, prenons le pied inverse et réfléchissons à la façon dont nous pouvons aggrader les écosystèmes et améliorer notre empreinte. Un bouleversement majeur de note humanité va se jouer là-dedans.

Aujourd’hui, nous sommes fiers de planter des boutures d’arbre et d’autres végétaux, de créer de nouveaux écosystèmes. Cela nous rend riches dans le sens où ça nous accomplit.

Aggrader les territoires, c’est faire germer des forêts – Crédit : Jonathan Attias

J’aimerais qu’on s’inspire des civilisations qui le font spontanément depuis des milliers d’années, car ils ne se sont jamais distingués du milieu dans lequel ils vivent. Nous devons cesser de nous dissocier de la Nature : « nous sommes la Nature qui se défend ». Réaliser que nous faisons partie de la Nature est la première chose à faire.

Lire aussi : « Nous ne défendons pas la Nature, nous sommes la Nature qui se défend »

Pour mieux essaimer cette philosophie, on propose à chaque personne qui nous visite de planter des arbres pour qu’eux aussi développent un attachement au territoire. On a même fait participer le journaliste de FranceInter il y a deux semaines !

Aggrader est l’exact opposé de dégrader. Nous avons une chance extraordinaire : François nous a initié à ce mot, par sa propre expérience de vie dans la nature. Alors qu’en fait, on n’a même pas de mot dans notre dictionnaire pour le dire !

L’aggradation existe dans le langage agricole mais n’a pas de verbe associé. Le jour où l’on emploiera ce terme dans le langage courant en pouvant dire « J’ai aggradé mon espace », on aura fait un grand pas dans notre humanité.

Les filles de Jonathan et Caroline

LR&LP : Comment avez-vous été accueillis par les habitants de la commune ? Le maire notamment est très réticent à votre présence, avez-vous peur d’un risque d’expulsion ?

Quand on espère voir un nouveau monde émerger, il y a toujours une friction avec le précédent. Malheureusement, la mairie du village est complètement réfractaire à toute vision et toute pensée écologique. Elle essaie de mettre en place des recours administratifs et monter la population locale contre nous en disant qu’on détruirait la faune et la flore avec notre façon de vivre, un comble !

Notre famille a rejoint le terrain qu’occupe François depuis 15 ans, dont il est propriétaire, et qui avait déjà des affinités sur le territoire. Des familles voisines viennent souvent se balader de façon informelle. A la sortie de l’hiver dernier, on avait prévu de mettre en place des journées portes ouvertes mais on a dû décaler tous ces projets à cause des restrictions sanitaires.

C’est épuisant d’être en conflit avec la Mairie, de ressentir l’indignation face à l’injustice, mais cela ne fait que renforcer ma détermination. Nous, on ne va jamais lâcher l’affaire. On sera nombreux à défendre les territoires.

Contre les décisions de justice, et les lois qui défendent les lobbies industriels, on tiendra bons. Et pour être influents, il faut qu’on soit nombreux à suivre cette voie-là, ou en tout cas la respecter.

Les rapports de force deviennent tellement caricaturaux que j’ai l’impression d’être dans un film. Quand je vois la Cellule Démeter qui a fait pression sur un groupe de jeunes qui voulaient racheter une forêt, je me dis que c’est une guerre menée contre le vivant. Et tant qu’on ne réalisera pas que c’est « le capitalisme ou la vie », on n’aura jamais compris l’équation.

En route, mauvaise troupe !

LR&LP : Que recommandez-vous aux gens qui seraient intéressés par ce mode de vie ?

Les Maires changent tous les six ans, donc avoir la parole d’un maire n’est pas une garantie. Par contre, se rendre indispensable auprès de la population est un geste très fort qui prouve votre bonne foi.

Dans le livre, je cite l’exemple de ce collectif installé dans une municipalité qui s’est demandé comment se faire accepter par la population. En les interrogeant, ils se sont rendus compte que les habitants regrettaient de ne plus avoir leur loto mensuel. Ils l’ont donc relancé.

Et lorsque leur projet a été menacé pour des raisons administratives par la mairie, ce sont les habitants qui se sont mobilisés pour les sauver !

De la même façon, un copain a acheté un terrain sur lequel il a mis plusieurs habitats réversibles sans autorisation préalable. Comme il a ouvert son lieu avec un dojo où les gens peuvent s’entraîner à prix libre et l’organisation d’événements culturels et de concerts plusieurs fois par an, cela se passe très bien avec tout le monde !

Intégrez-vous dans les territoires pour que les habitants vous apprécient à travers des activités culturelles et pédagogiques. Face au manque de liens, nous devons développer une culture commune et un bien-vivre ensemble.

Pour conclure, j’aimerais parler d’une initiative qu’on a lancé : « les gardiens des territoires » pour aider les gens qui n’ont pas les moyens de le faire à se lancer malgré tout. On ne veut pas que ce type de démarche soit réservé à une population aisée. Il faut donc mettre à disposition des terrains pour que ceux qui sont intéressés par cette démarche en prennent soin.

Enfin, on a racheté avec l’association un terrain pour le mettre dans les communs et le sortir de la propriété individuelle. La propriété privée n’est pas une fin en soi.

Pour plus d’infos : le site internet de la Désobéissance Fertile
Commander le livre ici.

Crédit photo couv : Virginie Quéant – Green4two Média

Laurie Debove

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