Première proposition de loi présentée lors de la niche parlementaire écologiste à l’Assemblée, la loi dite PFAS, ces polluants éternels utilisés par les industriels, a été adoptée par les députés. La pression des industriels leur a permis d’écarter les ustensiles de cuisine des interdictions.
Une loi contre les PFAS
Bruno Lemaire et Roland Lescure, le ministre délégué chargé de l’industrie, ont fait pression jusqu’au bout, colportant les arguments des industriels vent debout contre le projet de loi. Les deux hommes rencontraient mardi les députés de la majorité, dans l’intention de prévenir toute fronde. Ils auront eu raison de la partie du texte sur les ustensiles de cuisine.
C’est néanmoins une victoire pour le groupe écologiste, la proposition de loi étant adoptée contre l’avis du gouvernement.
Les polluants éternels, ou PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées), représentent un danger de mieux en mieux documenté. Ces 12 000 composés chimiques de synthèses sont utilisés par les industriels pour leurs propriétés antiadhésives et imperméables. On les retrouve ainsi dans les emballages alimentaires, les ustensiles de cuisine, les batteries, les vêtements ou encore les cosmétiques.
Leur composition chimique est telle qu’ils ne se dégradent pas, ou très peu, dans la nature. En résulte « une pollution majeure et persistante, à l’origine d’une déstabilisation probablement irréversible de l’environnement et de risques graves pour la santé » explique le député écologiste de Gironde Nicolas Thierry dans sa proposition de loi.
Des interdictions dès 2026
La loi vise à limiter cette pollution en prenant des restrictions échelonnées dans le temps selon la disponibilité des alternatives.
Dès 2026, les polluants éternels entrant dans la composition des produits du quotidien auxquels nous sommes le plus exposés seront interdits. Cela concernera les emballages alimentaires, les textiles d’habillement, les produits de fart et les cosmétiques. Les PFAS dans les textiles n’entrant pas dans la fabrication de nos vêtements seront interdits en 2030.
Les ustensiles de cuisine faisaient partie des interdictions souhaitées, mais la majorité a réussi à les faire tomber. Les députés du groupe Renaissance et des Républicains étaient en ordre de bataille. Le Rassemblement National était également contre le texte, mais aucun député n’était présent hier à l’Assemblée, stratégie de l’absence pour ne pas être pris à partie sur le sujet.
Autre ombre au tableau : les intrants chimiques utilisés par l’agriculture industrielle ont été été complètement délaissés par la proposition de loi. Or, des départements ruraux tels que l’Indre-et-Loire, le Maine-et-Loire ou la Sarthe affichent des taux de contamination équivalents, voire supérieurs à ceux de régions industrielles comme le Rhône.
Lobbying payant des industriels
Basés sur les inquiétudes des industriels, Bruno Lemaire et Roland Lescure pointaient le risque de « distorsion de concurrence », entre les entreprises présentes sur le sol français interdites d’utilisation des PFAS, et les entreprises européennes pouvant encore les utiliser.
Le gouvernement martelait que seule une législation européenne pourrait, à terme, permettre d’agir contre ces substances. Les députés Renaissance et LR ont tenté jusqu’au bout de modifier le texte pour débuter les interdictions en 2030 et non en 2026.
A l’inverse, l’association Générations Futures détaille les « intérêts compétitifs » de la loi pour les industriels, qui anticiperaient les prochaines interdictions européennes et leur permettraient de « prendre un avantage décisif » sur les marchés.
« On a vu que les discours des lobbys industriels ont vraiment infusé », explique Générations Futures.
Le projet d’interdiction européenne des PFAS est préparé depuis 2021 par l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède et le Danemark. Mais « l’initiative est conditionnée à un long processus décisionnel et pourrait aboutir, dans le scénario le plus favorable, à horizon 2027‑2028 » explique Nicolas Thierry dans l’argumentaire de sa loi.
Mercredi 3 avril 2024, les salariés de SEB, entreprise productrice des poêles Tefal, ont manifesté devant l’Assemblée Nationale. Le président de la société Thierry de La Tour d’Artaise avait affrété des bus pour permettre à ses employés de rejoindre Paris.
Des PFAS entrent dans la composition des poêles Tefal. Selon Thierry de La Tour d’Artaise, la loi menaçait 3 000 emplois en France et 15 000 en Europe. Des arguments repris en cœur par la majorité.
« Risques graves pour la santé »
Les PFAS s’infiltrent dans les sols, l’eau, l’air et les tissus organiques. Personne n’échappe à cette pollution. A tel point qu’en 2019, Santé Publique France publiait une étude sur « l’imprégnation de la population française par les composés perfluorés ». Les résultats étaient sans appel. 100% des testés étaient contaminés.
Une fois dans l’organisme, leurs propriétés les mettent hors de portée de l’action des enzymes qui devraient favoriser leur élimination par notre corps. Les risques sanitaires les plus documentés sont des chutes de fertilité, des maladies thyroïdiennes, des taux élevés de cholestérol, des lésions au foie, des cancers du rein ou des testicules.
A proximité des zones industrielles, des taux élevés de PFAS ont été retrouvés dans les eaux des nappes phréatiques, et même dans l’eau courante. L’article 2 du projet de loi introduit un programme de contrôle des eaux potables pour repérer la présence de ces polluants. Chaque année, le Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités publiera un bilan national de la qualité des eaux du robinet.
La loi prévoit également une « réduction progressive des rejets aqueux de PFAS des installations industrielles de manière à tendre vers la fin de ces rejets dans un délai de 5 ans à compter de la promulgation de la loi.»
La pollution aux PFAS est de mieux en mieux documentée. Ces effets sur la santé sont avérés et seront de plus en plus concrets et nombreux au fur et à mesure des recherches scientifiques. Malgré les craintes des industriels, les futures interdictions pourraient leur permettre de prendre un avantage décisif sur leurs concurrents européens. Tout le monde pourrait être gagnant !