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Les espèces de poissons les plus moches sont les moins étudiées

25 espèces de poissons cumulent à elles seules plus de 50% des efforts de recherche. Une différence de traitement flagrante qui a surpris les chercheurs qui s’attendaient à des biais forts pour le public, mais pas chez leurs confrères.

Plus un poisson est beau et comestible, plus il attire l’intérêt du grand public et des scientifiques. Résultat, les poissons de récif les plus menacés sont les plus ignorés par la recherche, alors qu’ils ont souvent un rôle indispensable à la bonne santé des écosystèmes marins. Une étude du CNRS lance l'alerte sur ce phénomène.

Poissons moches, les mal-aimés

« Mon objectif premier, c’est vraiment de mesurer la réalité de la perception de la nature » prévient d’emblée Nicolas Mouquet, directeur de recherche au CNRS pour La Relève et La Peste.

L’écologue et des collègues australiens ont donc mesuré grâce au big data l’intérêt humain envers 2408 espèces de poissons de récif marin autour de deux axes : l’effort de recherche et l’attention du public.

Pour l’intérêt scientifique, ils ont analysé les données issues des publications scientifiques mentionnant ces 2408 espèces, et la fréquence à laquelle le matériel génétique de ces poissons est séquencé, ainsi que la disponibilité d’informations sur chaque espèces dans la plus grande base de donnée utilisée par les scientifiques. Pour l’intérêt du grand public, ils se sont servis des statistiques des pages Wikipedia des poissons (en combien de langues différentes et combien de personnes la consultent), des photos partagées en ligne et des différents réseaux sociaux.

« On a entre autres regardé la popularité des espèces sur Twitter, en accumulant tous les tweets qui les mentionnent et les partagent. C’est un travail de fourmi qui permet de montrer la pénétration des espèces dans la sphère populaire. Aussi, plus une espèce a de noms communs, et plus elle est populaire car elle liée à notre histoire et usages. Il y a le phénomène de cosmopolitanisme : plus les espèces sont présentes dans un grand nombre de pays, plus elles vont accumuler d’intérêt, » précise Nicolas Mouquet pour La Relève et La Peste.

Leurs résultats ont été publiés le 17 juillet dans la revue scientifique Science Advances. Si les 2408 espèces étudiées cumulent plus de 17 millions de vues sur Wikipédia, 50 % de ces vues ne concernent que 7 % des espèces considérées, et 20 % des vues seulement 1 % de ces espèces.

Surtout : 25 espèces de poissons cumulent à elles seules plus de 50% de l’effort de recherche. Une différence de traitement flagrante qui a surpris les chercheurs qui s’attendaient à des biais forts pour le public, mais pas si fort chez leurs confrères.

« Les espèces menacées récoltent moins d’attention du public mais aussi des scientifiques, alors qu’on doit étudier ces espèces en priorité, explique Nicolas Mouquet pour La Relève et La Peste. Or, pour l’effort de recherche, c’est l’intérêt commercial qui prime complètement et écrase tout le reste ! Ces 25 espèces de poissons sont quasiment toutes exploitées ! Cet écran de fumée vers une finalité commerciale fait passer beaucoup d’espèces sous le radar. Pourtant, cette face cachée de la biodiversité est en partie menacée mais aussi indispensable pour le fonctionnement des écosystèmes ,» alerte-t-il.

Les espèces le plus étudiées, et donc le plus consommées, sont souvent des prédateurs qui ont tous le même rôle écologique. Ce focus sur un certain compartiment de l’écosystème nous empêche de mieux comprendre le reste. Encore plus préoccupant, plus ces espèces exploitées diminuent en abondance, plus l’effort scientifique va chercher des moyens d’en améliorer l’exploitation, ou de passer tout simplement à une une autre espèce.

« En général, on exploite tout et on passe à l’espèce suivante, comme on l’a fait avec la morue dont les populations se sont complètement effondrées, c’est catastrophique », regrette Nicolas Mouquet

Oxudercinae (Mudskippers) de la famille des Gobiidés – Crédit : Dr. Raju Kasambe via Wikimedia Commons

Les poissons moches sont souvent les plus utiles

Parmi les mal-aimés du grand public et des chercheurs : les Blennies (Blenniidae) et les Gobiidés (Gobiidae). Ces deux familles de poissons ont pourtant un rôle clé dans le fonctionnement des récifs, notamment comme nettoyeurs. De petite taille, ils sont essentiels dans la « trophodynamique » des récifs, c’est-à-dire le transfert de l’énergie et de la matière fournies par les petites proies vers les consommateurs plus gros.

« Ces deux familles passent sous le radar de la recherche et du public alors qu’elles sont essentielles. D’abord, ils déplacent beaucoup de sédiment en se déplaçant dans le sable et entre les coraux, ce qui remet en suspension la matière organique. Ce sont les nettoyeurs des récifs, et leur taille idéale permet de faire connecter deux niveaux trophiques les macro (+15cm) et les micro (plancton, petits crustacés, etc.). Pourtant, il y a trop peu de publications scientifiques ne serait-ce que pour pour savoir s’ils sont menacés, et quelles en seraient les conséquences sur les écosystèmes, » précise Nicolas Mouquet pour La Relève et La Peste.

Au total, la liste de l’IUCN ne comprend des statuts de conservation que pour 150 000 espèces sur les 2 à 3 millions d’espèces (voir plus) qui habitent la Terre. Cette étude démontre entre autres que les poissons avec la plus grande vulnérabilité climatique accumulent le moins d’efforts de recherche. Les récifs coralliens sont ainsi particulièrement menacés par les vagues de chaleur sous-marines. Faute d’intérêt commercial, il manque d’études pour déterminer si les espèces cryptobenthiques peuvent les aider à y faire face, ou au contraire si ces écosytèmes sont proches d’un point de bascule irréversible.

« On voudrait alerter les financeurs. Demander aux pouvoir publics, associations et ONGS de mettre les bouchées doubles pour le non-commercial et le non-populaire. On ne part pas en croisade contre l’industrie et le système de la recherche, mais quantifier ces biais permet de faire un état des lieux et de proposer à terme des programmes de financement plus ambitieux » explique Nicolas Mouquet pour La Relève et La Peste

Surtout, les scientifiques nous invitent à poser un autre regard sur le monde et les espèces qui le peuplent. Et d’apprendre à connaître et respecter « cette nature ordinaire ». En somme, d’aller plus loin que les objets culturels comme le dessin animé mondialement renommé « Le Monde de Nemo » qui a propulsé les poissons-clowns et les poissons-chirurgiens (Dory) sur le devant de la scène.

« On présente au grand public une image de la nature déformée et fantasmée en accent souvent sur le spectaculaire, le beau et l’utile. On peut parler d’un « syndrome de Noé » qui donne l’illusion qu’avec quelques espèces qu’on connaît, on va s’en sortir. Or, chaque espèce a son importance. Il ne s’agit pas de les connaitre toutes, juste d’être plus humble face à ce que l’on ne connait pas» décrypte Nicolas Mouquet

Et enfin donner aux autres espèces la considération qu’elles méritent, sur Terre, dans les airs ou la mer.

Laurie Debove

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