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Une canicule marine sans précédent dévaste la Mer du Nord et risque de bouleverser le cycle de l’Océan

Les effets se font d’ailleurs déjà sentir, alors que deux systèmes tropicaux évoluent en ce moment même dans l’Atlantique, des événements hâtifs par rapport à la saison habituelle des ouragans. A l’heure où nous écrivons ces lignes, la saison des cyclones pourrait ainsi commencer dès ce mois-ci dans les Antilles, une première depuis 1851.

C’est le genre de « record » qu’il faut arrêter de dépasser. L’océan nord atlantique subit une canicule marine inédite, particulièrement intense dans les mers entourant le Royaume-Uni et l'Irlande. Les scientifiques sonnent l’alarme sur ses conséquences dévastatrices pour les écosystèmes, mais aussi son rôle dans l’aggravation d’événements météorologiques extrêmes.

Un cocktail explosif

« La canicule marine européenne continue de percer le plafond. Elle est catégorisée « extrême » par la NOAA (catégorie 5) autour de l’Ecosse. Hier, la température de l’océan nord atlantique a atteint 23,05°C (soit +1.22°C d’anomalie). Il n’y a aucun précédent en juin. De très loin » alerte l’agro-climatologue Serge Zaka

Les eaux du nord de l’océan Atlantique sont particulièrement touchées : celles au large de l’Irlande et du Royaume-Uni sont ainsi quatre à six degrés au-dessus des normales saisonnières. Les anomalies de température sont également extrêmes dans la Baltique avec des températures supérieures de plus de 8°C à la moyenne.

« Une canicule marine » est actée comme telle lors que la surface de l’océan est plus chaude que 90% du temps 5 jours de suite ou plus. Les canicules marines sont causées par de multiples phénomènes, souvent une combinaison de processus atmosphériques et océanographiques.

Elle est ainsi d’abord causée par l’augmentation de la température de l’air qui vient réchauffer les eaux de surface. Corrélé à une absence de vent, les eaux superficielles vont alors concentrer toute cette chaleur, un phénomène habituel car l’Océan est un véritable climatiseur de la planète en absorbant son excédent de chaleur causé par les émissions de gaz à effet de serre.

« L’Océan a absorbé environ 90% de cet excès de chaleur. Sans l’Océan, les températures aujourd’hui seraient déjà 30 degrés plus élevées qu’avant l’ère industrielle, soit des températures avoisinant les 70 degrés en été aux Etats-Unis » précise ainsi le chercheur en écologie marine Raphaël Seguin sur le média Bon Pote

La canicule marine que subit cette année l’océan atlantique nord est ainsi causée par un ensemble de facteurs : le réchauffement climatique, la réduction du souffre dans les carburants des bateaux dont les émissions refroidissaient la zone et une diminution de la poussière saharienne qui réfléchit habituellement la chaleur.

Le plus préoccupant pour les scientifiques étant que cette canicule arrive avant le commencement du phénomène climatique naturel El Nino, dont les prémisses commencent à se faire sentir dans l’Océan Pacifique équatorial, qui a un impact sur le réchauffement des températures moyennes et les précipitations dans le monde entier.

En effet, La Nina vient tout juste de s’arrêter, un phénomène climatique périodique qui a contribué à refroidir l’Océan ces dernières années. En bref, les canicules marines pourraient encore gagner en intensité, alors qu’elles se produisent deux fois plus fréquemment que dans les années 80.

Des conséquences dévastatrices

Or, les effets d’une canicule marine sont aussi nombreux et alarmants que les incendies qui frappent de plus en plus nos continents, à la faveur du réchauffement climatique. À l’image d’un feu qui brûle tout sur son passage, ces « incendies » sous-marins déciment la faune et la flore marine.

« J’ai toujours pensé que les canicules marines n’auraient jamais d’impact écologique dans les eaux froides du Royaume-Uni et de l’Irlande, mais celle-ci est sans précédent et risque d’être dévastatrice. Pour l’heure, les températures actuelles sont bien trop élevées mais pas encore mortelles pour la majorité des espèces, mais très stressantes pour beaucoup… Si le phénomène se prolonge tout l’été, nous pourrions voir une mortalité massive de varech, d’herbiers marins, de poissons et d’huîtres » s’inquiète le Dr Dan Smale de l’Association de biologie marine dans TheGuardian

Entre 2013 et 2016, une canicule marine particulièrement intense dans l’Océan Pacifique, désignée sous le nom de « blob », avait ainsi décimé des millions d’oiseaux marins et de poissons tout en favorisant la multiplication excessive d’algues néfastes au comportement des baleines et à l’industrie de la pêche.

Les températures de l’eau de surface s’étaient maintenues en moyenne à 2,5 °C au-delà des normales pendant 226 jours consécutifs, et le réchauffement a eu lieu jusqu’à 1000 m sous la surface de l’eau. Un constat partagé par une autre étude scientifique, publiée en mars 2023, mettant en évidence que les canicules marines peuvent affecter plus longtemps et intensément les fonds marins que la surface de l’eau.

Pour échapper à la fournaise, de plus en plus d’espèces marines tropicales se déplacent vers le nord et se retrouvent en compétition directe avec la faune locale. La Méditerranée devient à elle seule un laboratoire d’expérimentation d’adaptation au changement climatique sous les flots. Durant l’été 2022, une canicule marine hors-norme a provoqué une destruction massive de sa vie sous-marine, notamment les coraux et les gorgones.

Ces chaleurs suffocantes ont également facilité l’arrivée d’espèces invasives comme une algue brune ou le poisson lapin, un poisson herbivore qui détruit les herbiers de Posidonie alors que leur rôle est crucial pour capter le CO2, produire de l’oxygène, empêcher l’érosion des fonds marins et même réduire la pollution plastique.

Encore plus préoccupant, si cela ne l’était déjà pas assez, l’impact de ces canicules marines n’est pas seulement local ou sur la biodiversité. En effet, les océans participent à la régulation du climat et de telles perturbations ont des répercussions à l’échelle planétaire.

De fait, les océans influencent les régimes de pluie et les événements extrêmes, comme les ouragans. Les effets se font d’ailleurs déjà sentir, alors que deux systèmes tropicaux évoluent en ce moment même dans l’Atlantique, des événements hâtifs par rapport à la saison habituelle des ouragans. A l’heure où nous écrivons ces lignes, la saison des cyclones pourrait ainsi commencer dès ce mois-ci dans les Antilles, une première depuis 1851.

D’autres études ont également démontré que le réchauffement de la température de surface de la mer de l’Atlantique Nord a une influence sur les saisons des pluies en Afrique de l’Ouest et certaines parties de l’Amérique du Sud, y compris le nord-est du Brésil.

« Il s’agit d’une situation mondiale vraiment inquiétante, car le réchauffement de surface supplémentaire que nous observons en ce moment finira par se mélanger à la colonne d’eau de l’océan. Une partie de cet excès de chaleur se retrouvera dans l’océan Arctique via les courants océaniques à travers le détroit de Fram et la mer de Norvège, aggravant encore la disparition de la banquise arctique » expliquent les scientifiques de l’Agence spatiale européenne

La banquise arctique réduit de plus en plus d’année en année. Sa surface a déjà été réduite en moyenne de 9% en hiver et de 48% en été depuis les premières photographies satellites en 1979, quand son épaisseur a diminué de 66%. Elle pourrait totalement disparaître l’été dès les années 2030 selon une étude publiée en juin 2023, soit une décennie plus tôt que les récentes projections du Giec.

Parmi les nombreuses répercussions que la disparition de la banquise arctique engendrerait : l’augmentation des événements météorologiques extrêmes aux latitudes moyennes, comme les canicules et les feux de forêts mais aussi les vagues de froid, l’accélération du réchauffement mondial avec la fonte du permafrost, ou encore la montée du niveau des océans en faisant fondre la calotte glaciaire du Groenland. De surcroît, plus la concentration de CO2 augmente dans l’atmosphère, moins les plantes émettent de vapeur, et plus l’Arctique se réchauffe et donc fond, un cercle vicieux.

Cette canicule marine inédite et les bouleversements en cascade qu’elle risque de provoquer nous rappellent une fois de plus qu’il est urgent de réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour préserver ce qui peut encore l’être.

Sources : « UK suffers marine heatwave », European Space Agency, 20/06/2023 / « Observationally-constrained projections of an ice-free Arctic even under a low emission scenario », nature communications, 06/06/2023 / « Ocean heat waves like the Pacific’s deadly ‘Blob’ could become the new normal », 31/01/2019/, Science / « Extent and Magnitude of Subsurface Anomalies During the Northeast Pacific Blob as Measured by Animal-Borne Sensors », Rachel R. Holser, Theresa R. Keates, Daniel P. Costa, Christopher A. Edwards, 04/07/2022 / « Bottom marine heatwaves along the continental shelves of North America », Nature Communications, 13/03/2023

 

Laurie Debove

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