Le déni démocratique est sévère. Fini le gouvernement macroniste avec des ministres LR, nous avons désormais un gouvernement LR avec des ministres macronistes. Tout cela sous l’étroite surveillance du Rassemblement National. Et tant pis pour les électeurs ayant favorisé la gauche à l’Assemblée nationale.
Union des droites et déni démocratique
Dans les couloirs des cabinets ministériels, on raconte qu’il souhaite qu’on se souvienne de lui comme « le président qui aura résisté au peuple ». Depuis le début de son premier mandat, le président de la République Emmanuel Macron se caractérise par son imperméabilité aux revendications de la société civile, qu’elles viennent de la rue (Gilets Jaunes, Réforme des Retraites, entres autres) ou des institutions (Grand débat, Convention Citoyenne pour le Climat, etc.).
La nomination de Michel Barnier comme Premier Ministre, puis de son gouvernement n’échappe donc pas à la règle. La société civile en est quasiment absente avec seulement trois ministres n’ayant jamais été élus, soit 8 % du gouvernement. Il s’agit du ratio le plus faible de l’ère Macron. Pire, alors que la gauche avait remporté le plus de sièges aux législatives, ce bord politique a été complètement écarté du gouvernement actuel.
Emmanuel Macron a d’abord refusé les candidatures au poste de premier ministre issues du Nouveau Front Populaire, ne leur a proposé aucun autre nom, puis a prétendu qu’il était impossible de changer de gouvernement pendant les JO (tout en ayant lancé la dissolution de l’Assemblée nationale juste avant). Enfin, il a refusé la nomination de tout ministre insoumis, écologiste ou communiste.
« Finalement, on a compris que même s’il n’y avait aucun ministre, en fait le problème c’était notre programme, le programme du NFP qui gagné l’élection ! Il n’a jamais eu l’intention de céder le pouvoir au camp progressiste, au camp populaire de ce pays. Il a plaidé la continuité de l’Etat mais ce qu’il voulait c’était la continuité de sa politique, dont 75% des français voulaient se débarrasser. Nous sommes victimes d’une brutalisation de la vie politique et d’une confiscation de l’élection » accuse Marine Tondelier au micro de BFMTV
La nouvelle équipe ministérielle penche clairement très à droite et a en son sein plusieurs personnalités polémiques, dont certaines se sont fait connaître pour leur soutien au mouvement de la Manif pour Tous (qui a lutté contre l’ouverture du mariage pour les personnes de même sexe en 2012).
Parmi elles : Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, représentant de la droite catholique et conservatrice, artisan de la loi immigration « qui aurait pu être signée par le Rassemblement national » au ministère de l’intérieur et promet déjà « de l’ordre, de l’ordre, de l’ordre » à peine nommé.
Ou encore Laurence Garnier, farouchement opposée à la PMA, au mariage pour tous et à l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Initialement pressentie pour le ministère de « la Famille », lui échoit finalement le secrétariat d’Etat à la consommation. Même profil chez Patrick Hetzel, nommé à l’enseignement supérieur et à la recherche. Ce dernier a également préconisé « la création d’une commission d’enquête relative à l’entrisme idéologique et aux dérives islamo-gauchistes dans l’enseignement supérieur » le 24 avril 2024, en pleine mobilisation étudiante pour la défense de la population de Gaza.
La reconduction de sept membres sortants du gouvernement défait prouve d’ailleurs bien qu’Emmanuel Macron n’a jamais envisagé d’infléchir son programme néolibéral. On y retrouve Sébastien Lecornu qui a échappé l’an dernier à un procès pour « prise illégale d’intérêts » après avoir remboursé à l’Etat 7 874 euros qu’il aurait abusivement empoché lorsqu’il dirigeait le département de l’Eure.
Reste à voir si Didier Migaud, ancien socialiste et président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et nouveau ministre de la Justice, se souviendra qu’il avait appelé à « un sursaut dans la lutte contre la corruption » en 2021.
A venir : censure ou combat parlementaire ?
Pour que ce soit bien clair, le nouveau Premier ministre Michel Barnier l’a dit lui-même lors de sa première allocution télévisée : « Nous ne sommes pas en cohabitation. L’essentiel du socle parlementaire qui accompagne le gouvernement est composé pour beaucoup de personnalités qui accompagnent le gouvernement depuis sept ans ». Pas question donc de compter sur le premier ministre pour contredire les décisions du Président de la République.
Face aux réactions outrées concernant les nouveaux ministres ouvertement homophobes, Michel Barnier a promis que les « grandes lois » de « progrès social ou sociétal », comme celles sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou la procréation médicalement assistée (PMA), seront « intégralement préservées ».
Mais c’est bien le gouvernement d’Emmanuel Macron qui sera aux commandes, et l’écologie semble désormais loin de ses prétendues préoccupations. Le poste de Secrétaire d’État à la biodiversité a été tout simplement supprimé, « alors que 60% des oiseaux des champs ont disparu en Europe depuis 40 ans » pointe le journaliste Climat Mickaël Correia.
La gestion de la forêt, elle, passe aux mains de l’agriculture tenue par Annie Genevard, vice-présidente LR de l’Assemblée nationale. Cette dernière a été dénoncée par L214 pour ses nombreuses oppositions à la protection de la nature. Quant à l’océan, le ministère « de la mer et de la pêche » dit tout dans son titre. L’occupant du poste, le lorientais Fabrice Loher, est d’ailleurs connu pour ses liens étroits avec Olivier Le Nézet, président du comité national des pêches et promoteur de la pêche industrielle en France.
Plus préoccupant, la nomination au poste de ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques d’Agnès Pannier-Runacher. L’ancienne ministre de la transition énergétique est l’héritière de Perenco, n°2 du pétrole en France, et avait été épinglée pour conflit d’intérêts par Disclose.
Vent debout contre cette usurpation électorale, le groupe socialiste a déjà annoncé qu’il déposera une motion de censure contre le gouvernement dès le 1er octobre. Pour qu’elle soit adoptée, il faudrait que le RN la soutienne. Mais la cheffe de parti Marine Le Pen a déjà reconnu qu’il s’agit d’un « gouvernement de transition » et a d’autres soucis en tête. Elle doit être jugée pour détournement de fonds publics dans le cadre de l’affaire des assistants fictifs du RN le 30 septembre.
Maigre espoir : la majorité gouvernementale est très relative à l’Assemblée nationale. L’alliance macronistes-droite pèse 213 sièges, devant la gauche et l’extrême droite, mais reste est loin de la majorité absolue de 289 députés. C’est désormais sur les bancs de l’Assemblée nationale que le combat politique va continuer.
Pour Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, à défaut d’une cohabitation au sein de l’exécutif, le président de la République devra la subir à l’Assemblée.
La future désertion de certains députés qui s’insurgent contre ce nouveau gouvernement pourraient bien peser dans la balance. Parmi les désorientés d’EPR, le député Lionel Causse, regrette « un remaniement [sic] sur la droite de l’échiquier politique qui ne correspond pas aux attentes des Français ». Les députés Belkhir Belhaddad, Ludovic Mendes, ou Christophe Marion hésitent eux aussi à s’opposer plus frontalement au nouveau gouvernement. Quant à Sacha Houlié, récent démissionnaire du groupe EPR, lui cherche déjà à constituer un nouveau groupe dissident.
Parmi les sujets qui s’annoncent sulfureux, le doute plane sur de prochaines tentatives du gouvernement d’augmenter l’impôt sur le revenu. Le budget 2025 qui doit être prochainement débattu sera l’occasion de voir si la gauche sait s’opposer à la politique ultra-libérale du Président Macron.
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Sources : Mediapart Boris Vallaud : Le président a inventé le « macron-fillonnisme » 22 septembre 2024 / « Patrick Hetzel prend la tête du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche avec une vision libérale des universités », LeMonde, 21/09/2024