Alors que Donald Trump s’attaque frontalement au monde de la recherche, Emmanuel Macron promet 100 millions d’euros pour accueillir les scientifiques étrangers en France. Une annonce jugée irréaliste par les syndicats, étant donné la dégradation continue du service public de la recherche.
Les États-Unis sont en train de traverser une crise structurelle sans précédent sous l’égide de Donald Trump et de son gouvernement. Un à un, le président américain s’attaque à démanteler et à remodeler les pouvoirs et les garde-fous qui permettaient alors aux Américains de se targuer de vivre dans une démocratie.
Menace de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs, recul considérable en matière de protection de l’environnement, suppression des aides pour les plus démunis et politiques migratoires particulièrement féroce… La liste est longue, et ne cesse de s’agrandir. C’est désormais le monde de la recherche et de l’enseignement qui est dans le viseur du président américain.
« Our country will be woke no longer »
Pour ce qu’elle représente – la recherche de la vérité et la compréhension des mécanismes complexes qui régissent notre monde –, la science s’érige naturellement en tant qu’ennemi de Trump, dont le mensonge est l’arme principale pour faire progresser son idéologie rétrograde.
Car c’est sous couvert de combat contre la « woke culture » que prend place cette « chasse aux sorcières », qui met en péril des pans entiers de la recherche dès lors qu’elle aborde les conséquences des activités humaines sur le climat et l’environnement, ou encore le genre et les questions décoloniales. Sa remise en question de la science était donc prévisible, mais la proportion de l’acharnement qu’il mène n’en est pas moins inédite et inquiétante.
« De toute l’histoire des États-Unis, et peut-être de toute l’histoire des démocraties, aucun gouvernement n’a attaqué les sciences comme l’administration Trump, c’est pire encore que sous le maccarthysme » — alerte le mathématicien Cédric Villani dans un entretien accordé à l’Humanité.
Rapidement, les conséquences se font ressentir, créant une vague d’inquiétude et de colère dans le monde de la science. Licenciement massif, réduction drastique des budgets d’agence – à l’instar de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) ou de la NIH (National Institutes of Health) – fermeture ou suppression des bases de données, gel des financements fédéraux pour certaines universités américaines, suspension des professionnels américains dans les projets de recherches internationaux…
En l’espace de quelques mois, les États-Unis sont devenus un pays hostile aux scientifiques, dont une large partie souhaite désormais partir à l’étranger pour poursuivre ses travaux.
La France : nouvel Eldorado de la recherche ?
« Or, en affaiblissant leur recherche, les Etats-Unis fragilisent non seulement leur propre système scientifique, mais aussi la science mondiale. Avec 1,5 million de chercheurs et le deuxième rang en nombre de publications scientifiques, le pays joue un rôle-clé dans l’avancée des connaissances » rappelle l’universitaire Théo Besson dans une tribune au « Monde »
C’est pourquoi le 5 mai, lors de l’évènement Choose Europe for Science, Emmanuel Macron a annoncé vouloir investir 100 millions d’euros supplémentaires afin d’inciter les chercheurs étrangers à venir s’installer en France. À ses côtés, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a surenchéri en annonçant la mise en place, à l’échelle de l’Union Européenne, d’une enveloppe de 500 millions d’euros supplémentaires sur la période 2025-2027 pour faire de l’Europe un pôle d’attraction majeure dans le domaine de la recherche.
La plateforme Choose France for Science, initiée en amont de cette conférence, veut se faire le relais national de cette initiative européenne. Par ce biais, l’Élysée dépeint l’Hexagone en véritable terre d’asile pour les chercheurs « dans un moment où les libertés académiques connaissent un certain nombre de reflux ou de menaces”.
Pour faire face au “diktat” de Donald Trump, l’État propose, via cette plateforme, de venir en aide au financement de projets de recherche à hauteur de 50%, dès lors que ces derniers traitent de la santé, du climat et de l’environnement, du numérique ou encore de l’agriculture et des énergies décarbonées.
Les critères d’attribution, bien que définis, restent relativement vagues : “qualité du projet”, “contexte du dépôt de candidature”, “motivations du chercheur” et “capacité à obtenir des financements”.
La recherche française sous le coup de l’austérité
À l’aune d’une vague d’obscurantisme induite par les décisions du président Trump, les déclarations d’Emmanuel Macron peuvent sembler être la lumière d’un phare dans la tempête. En réalité, elles relèvent plutôt du chant des sirènes. En effet, le président n’est pas, dans son propre pays, considéré comme un grand défenseur des universités et de la recherche.
Le milieu français de la recherche et de l’enseignement est en mauvais état. En cause : deux décennies de réformes structurelles qui ont participé à soumettre le régime de la recherche à des logiques de compétition et de rentabilité économique plutôt que de lui permettre de remplir sa tâche initiale ; à savoir, produire des connaissances, les transmettre et permettre le développement d’un esprit critique.
De plus, les membres du gouvernement de Macron se sont illustrés ces dernières années, à l’instar de leurs homologues étasuniens, à fustiger un prétendu “islamo-gauchisme“ ou “wokisme“ qui gangrènerait la société française.
En février 2021, Frédérique Vidal, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avait entrepris de lancer une enquête sur l’islamo-gauchisme dans les universités françaises afin de distinguer “ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion”, en vain.
Plus récemment, le sénateur Henry Leroy (LR) a introduit au Sénat une proposition de résolution visant à poursuivre cette tentative avortée en créant une commission d’enquête spécifique à cette soi-disant problématique. De quoi remettre en question les intentions de l’État français lorsqu’il se place en grand défenseur de la recherche.
Mais ce coup de communication, avec une intention si louable soit-elle, n’occulte pas la colère de celles et ceux qui subissent concrètement les politiques d’austérité orchestrées ces dernières années par Emmanuel Macron et ses gouvernements vis-à-vis de l’enseignement et de la recherche.
Une initiative “choquante, voire indécente”
Dans un communiqué intersyndical publié le 2 mai, chercheurs et chercheuses dénoncent une initiative “choquante, voire indécente”, rappelant que le gouvernement Macron n’a cessé, depuis 2017, de fragiliser l’Enseignement supérieur et la Recherche : “sous-financement chronique”, précarisation des personnels, “atteintes quasi-incessantes à la liberté académique”, et création des Zones à Régime Restrictif qui donnent lieu à des “dérives inquiétantes sur les libertés […] et les recrutements sous couvert de sécurité nationale”.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, pointe Théo Besson : « la France ne consacrait à la recherche et développement que 2,22 % de son PIB [produit intérieur brut] en 2021 contre 3,46 % aux Etats-Unis. Résultat : la France est le seul pays de l’Union européenne où la productivité scientifique a reculé entre 2015 et 2019 selon un rapport de l’Unesco [Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture] de 2021 ».
En 2024, le gouvernement a coupé 600 millions d’euros dans les budgets de l’enseignement supérieur et de la recherche, avant d’en retrancher à nouveau 950 millions en 2025, dont 493 millions pour la seule mission enseignement supérieur et recherche. Le bâti universitaire, lui, sombre dans la vétusté : 57 % des bâtiments sont des passoires énergétiques, et un tiers est jugé dégradé.
Alors que l’État se targue de pouvoir accueillir des scientifiques américains à hauteur de 300 000 euros par chercheur et par an, les enseignants-chercheurs français, eux, subissent concrètement les années de politiques d’austérité budgétaire. 80% des universités sont en déficit, quelque 170 000 vacataires attendent des mois pour obtenir un salaire qui n’atteint pas le SMIC, et 35% des professionnels du secteur “ont un statut précaire de contractuel”.
Engager 100 millions d’euros pour l’accueil de scientifiques étrangers alors que le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche en France a été réduit de 1 milliard d’euros cette année, le compte n’y est pas. Dans un tel contexte, l’accueil ciblé de quelques profils internationaux apparaît moins comme un geste de solidarité que comme une tentative de redorer une image écornée.
« Nous ne nous opposons évidemment pas à l’arrivée de chercheurs et chercheuses étrangères en France », précise Jean Marc Nicolas, secrétaire général de la CGT FERC Sup pour La Relève et La Peste. « Ce que nous voulons, c’est que l’État alloue à la recherche un budget suffisant pour permettre à toutes et tous de travailler dans de bonnes conditions ».
Les syndicats sont particulièrement engagés depuis décembre dans l’espoir de faire peser leurs revendications dans le projet de loi de finance et de mettre un terme aux coupes budgétaires successives auxquelles ils doivent faire face. L’intersyndicale ESR prévoit aujourd’hui une mobilisation nationale afin de soutenir la fonction et le service public et faire valoir de nouveau leurs demandes auprès du gouvernement.
La science ne saurait être un outil de prestige diplomatique : elle est un bien commun, qui exige des moyens pérennes, une vision collective, et le respect de celles et ceux qui la font vivre au quotidien.
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