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Les lobbies ont détruit les mesures de la Convention Citoyenne pour le Climat

« Une des spécificités de cette campagne de lobbying, c’est que cela passait beaucoup par les médias et c’était vraiment virulent à l’encontre des 150 citoyens. Quand on a commencé à enquêter sur le sujet, on a tout de suite mis à jour un discours rôdé vraiment très violent. Cette violence est symptomatique de deux choses : le fait qu’il s’agisse de propositions émanant de citoyens tirés au sort les a dérangés, car les industriels ont la prétention de parler au nom des consommateurs. Cette violence est aussi une réponse défensive au fait que ce processus démocratique ait court-circuité leur confortable entre-soi. Le lobbying se fait d’habitude en tête-à-tête : les grandes écoles, les cercles où ils évoluent, toutes les réunions de concertation, ils passent sans cesse du public au privé notamment dans les transports et le secteur aérien. Le fait que tout à coup, la CCC court-circuite la voie traditionnelle, ça les a troublés. » analyse Olivier Petitjean, à l’origine de cette enquête, pour La Relève et La Peste

Le projet de loi « Climat et Résilience » a été présenté devant le Conseil des Ministres hier. Le texte de 65 articles était supposé être une retranscription « sans filtre » des propositions issues de la Convention Citoyenne pour le Climat. Au lieu de cela, il a été vidé des mesures les plus structurantes pour aboutir d’un projet de loi sans réelle ambition en décalage flagrant avec l’urgence climatique. Pour cause, une enquête de l’Observatoire des Multinationales a mis en lumière le rôle des grands industriels dans le sabotage du travail de la Convention Citoyenne pour le Climat. Aéronautique, agriculture, automobile, transports ou publicité : tous les secteurs d’activité « ont mobilisé tous les leviers d’influence à leur disposition » pour décrédibiliser et saper le travail des 150 citoyens. A l’œuvre : une campagne de citizen-bashing hors-norme dans les grands médias, à renfort « d’experts » travaillant dans des think tanks financés par les industriels et… l’Etat lui-même.

Un texte dénaturé de son ambition initiale

La bataille des experts est lancée. Le projet de loi Climat et Résilience est-il véritablement à la hauteur de l’objectif ? On le rappelle, la France doit « réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ».

Or, contrairement aux effets d’annonce tonitruants du gouvernement français, pour une centaine d’associations de défense de l’environnement ou de lutte contre la pauvreté, ainsi que pour de nombreux experts indépendants, la réponse est claire : le compte n’y est pas.

Dans un avis publié le 27 janvier, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) avertissait déjà : « Les nombreuses mesures du projet de loi, considérées une par une, sont en général pertinentes mais souvent limitées, souvent différées, souvent soumises à des conditions telles qu’on doute de les voir mises en œuvre à terme rapproché. »

De la même façon, dans un avis rendu le 26 janvier, le Conseil national pour la transition écologique (CNTE) « s’inquiète de la baisse insuffisante des émissions de GES [gaz à effet de serre, NDLR] induite par cette loi et demande de mobiliser les moyens, leviers d’action et outils de politiques publiques nécessaires ».

Le CESE le rappelle dans son avis : pour atteindre l’objectif de réduction de 40 % des émissions en 2030, il faudrait « tripler le rythme annuel de réduction ».

« C’est un bouleversement profond qui est visé dès maintenant, et non un ajustement à la marge. »

Et ce, alors que cette cible de -40% est en elle-même insuffisante face au nouvel objectif de -55 % adopté en décembre dernier par l’Union Européenne.

« Non seulement le manque d’ambition menace le respect de nos objectifs climatiques mais risque aussi de limiter des nombreux effets positifs de mesures ambitieuses pour le climat : moins de personnes vivant dans des passoires énergétiques, une amélioration de la qualité de l’air, une alimentation plus saine et accessible à tous, une offre de mobilité moins émettrice et plus inclusive, davantage d’emplois dans les secteurs clés de la transition écologique, etc. Grâce à l’Affaire du Siècle, la justice vient de reconnaître que l’Etat a commis une « faute » en ne respectant pas ses objectifs climatiques et l’existence, de ce fait, d’un « préjudice écologique ». Est-ce que l’histoire va se répéter ? » dénonce le Réseau Action Climat, qui suit 15 mesures particulièrement structurantes

Lire aussi : Victoire historique : l’Etat français est condamné pour inaction climatique dans l’Affaire du Siècle

Une analyse menée par une dizaine de journalistes du journal LeMonde, ayant sollicité des experts de chaque domaine, conclut que 19 des 146 propositions, soit 13 %, ont été reprises intégralement. En plus des trois mesures rejetées d’emblée par l’Elysée, les fameux jokers de Macron dégainés au dernier moment, 25 autres propositions sont absentes du projet de loi.

« Finalement, une grande majorité des mesures (75, soit 51 %) s’avèrent partiellement reprises. Le plus souvent, le gouvernement suit l’intention des citoyens, mais ne va pas aussi loin que la convention dans l’adoption de dispositifs contraignants pour les entreprises, les collectivités ou les particuliers. » détaille l’analyse

Alors, pourquoi le gouvernement, qui s’était engagé à appliquer les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat « sans filtre », a ainsi dénaturé le texte de sa substance ? Pour l’Observatoire des Multinationales, la réponse est limpide : la faute revient au travail intense de lobbying mené par les industriels concernés par cette proposition de loi.

Lobbys contre citoyens. Qui veut la peau de la convention climat ?

Le citizen-bashing : décrédibiliser les citoyens dans les médias

En avril 2019, lors de l’annonce de la création de la Convention Citoyenne pour le Climat, les industriels n’ont écouté que d’une oreille distraite, quand ils ne les ont tout simplement pas ignoré. Leur sang n’a fait qu’un tour lorsque les citoyens consciencieux ont rendu leurs propositions en juin 2020. 149 mesures réparties en cinq grands thèmes : consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger, se nourrir.

A partir de ce moment-là, le rouleau compresseur s’est mis en marche : associations professionnelles, organisations patronales, cabinets de lobbying, cabinets d’avocats d’affaires, responsables politiques locaux, « associations de base » (financées par des industriels), think tanks…

Tout ce petit monde s’est mis au garde-à-vous pour préserver les intérêts financiers des industriels et a envahi les médias mainstream dans une campagne de « citizen-bashing » inédite.

« Une des spécificités de cette campagne de lobbying, c’est que cela passait beaucoup par les médias et c’était vraiment virulent à l’encontre des 150 citoyens. Quand on a commencé à enquêter sur le sujet, on a tout de suite mis à jour un discours rôdé vraiment très violent. Cette violence est symptomatique de deux choses : le fait qu’il s’agisse de propositions émanant de citoyens tirés au sort les a dérangés, car les industriels ont la prétention de parler au nom des consommateurs. Cette violence est aussi une réponse défensive au fait que ce processus démocratique ait court-circuité leur confortable entre-soi. Le lobbying se fait d’habitude en tête-à-tête : les grandes écoles, les cercles où ils évoluent, toutes les réunions de concertation, ils passent sans cesse du public au privé notamment dans les transports et le secteur aérien. Le fait que tout à coup, la CCC court-circuite la voie traditionnelle, ça les a troublés. » analyse Olivier Petitjean, co-fondateur et coordinateur de l’Observatoire des multinationales, un site de veille et d’information sur les grandes entreprises françaises à l’origine de cette enquête, pour La Relève et La Peste

Pour cause, la création de la Convention Citoyenne pour le Climat est une réponse au mouvement des gilets jaunes, décidée à l’issue du Grand débat national et annoncée par Emmanuel Macron lui-même. Alors que des « consommateurs » puissent remettre en cause le credo « pour être heureux, il suffit de consommer », voilà qui avait de quoi donner des sueurs froides aux défenseurs de « la liberté à la consommation ».

Sur les plateaux télé et dans les radios, c’est un flot de propos outranciers qui s’est déversé : les citoyens ont été présentés au mieux comme étant influencés par des organisations écolo, au pire comme des personnes manquant de légitimité et de discernement.

Leurs propositions ont systématiquement été présentées comme l’expression d’une écologie « radicale » et « extrémiste », acquise à l’idéologie de la « décroissance » voire de l’« effondrement », nous apprend le rapport.

Ce reproche d’une « écologie punitive » (pour les intérêts privés, donc) a même encouragé le fabricant de pesticides BASF à parler de « populisme écolo »  et Christiane Lambert, la Directrice de la FNSEA, a sous-entendu que la CCC faisait partie d’un « complot écologiste ». Une accusation qui ne manque pas d’ironie lorsqu’on regarde le travail mené par la FNSEA pour annuler l’interdiction des néonicotinoïdes, l’un des produits phares de BASF.

Quant à la proposition de mettre un malus sur la vente de SUV, loin d’être aussi radicale que leur interdiction pure et simple en ville au vu de l’aberration écologique qu’ils représentent, un journaliste proche de l’industrie automobile est même allé jusqu’à la comparer à l’obligation de porter l’étoile jaune ! Le point Godwin a été atteint.

« C’est tout l’enjeu de « l’astroturfing » : les industriels prétendent parler au nom des citoyens en disant que c’est mauvais pour eux. L’association « 40 millions d’automobilistes » en est l’incarnation la plus flagrante. Cette « association » a été créée par le réseaux des « automobile clubs » (dont les membres n’appartiennent pas vraiment aux couches populaires) et elle est financée par des entreprises, dont les dons représentent environ les deux tiers de son budget. » donne pour exemple Olivier Petitjean, co-fondateur et coordinateur de l’Observatoire des multinationales, pour La Relève et La Peste

Lobbys contre citoyens. Qui veut la peau de la convention climat ?

Médias et Think Tanks : une prétendue neutralité

Cette menace populiste des intérêts privés des industriels a même donné lieu à d’étranges mariages. L’Observatoire des Multinationales détaille dans son enquête comment les lobbyistes de Monsanto se sont « reconvertis en défenseurs de la liberté de prendre l’avion » tandis que de « vénérables institutions étatiques ont été mises au service des secteurs qu’elles sont censées réguler ».

Certains acteurs privés ont avantageusement tiré profit de cette guerre médiatique comme le cabinet de lobbying Boury Tallon (société entre 20 et 49 salariés au chiffre d’affaires de 9 221 300,00 € en 2018) qui a été sollicité par Air France, BASF, et même le groupe TF1, inquiet des conséquences économiques de la régulation de la publicité.

Capture d’écran du site internet du cabinet de lobbying Boury Tallon

« Les médias ne sont plus le lieu de débats publics mais deviennent eux-mêmes la scène de théâtre des lobbies. On est vraiment dans une situation un peu triste. On ne peut pas faire abstraction du contexte médiatique : la violence employée contre les 150 se retrouve aussi sur des sujets d’immigration, d’islam, de pesticides, contre des élus « verts » comme Anne Hidalgo. Sans dire que tous les médias sont totalement vendus, car ils ont quand même quelques journalistes sincères, l’émergence des chaînes d’info continue qui valorisent le clash et mettent en avant les gens prêts à s’insulter pour des objectifs d’audimat est un très mauvais signe démocratique. Plus que jamais, nous avons besoin de garde-fous sur la transparence pour savoir « qui parle au nom de quoi ». » alerte Olivier Petitjean, co-fondateur et coordinateur de l’Observatoire des multinationales, pour La Relève et La Peste

Parmi les « experts » invités à donner leur avis, on retrouve ainsi une cohorte de représentants de « Think tanks », organes troubles d’inspiration néolibérale revendiquant une objectivité scientifique en étant pourtant garant des intérêts de leurs financeurs.

Parmi eux, l’Institut Montaigne, la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), l’Ifrap, ou l’Institut Sapiens dont le directeur Olivier Babeau s’est illustré sur Twitter ainsi que dans une tribune publiée par Figaro Vox. Olivier Babeau a d’ailleurs été vu en compagnie du journaliste du Figaro Ivan Rioufol à la Convention de la droite de Marion Maréchal Le Pen.

Lire aussi : L’extrême-droitisation des médias sert les intérêts privés des grands groupes auxquels ils appartiennent

« Un Think Tank est un acteur du lobbying qui n’est pas identifié comme tel. Ils se drapent dans une aura d’objectivité alors qu’ils sont financés par les grandes entreprises. Nous devons exiger de la transparence : les « experts » doivent afficher leur liens d’intérêt. En France, on est en retard. C’est seulement depuis 2018 que nous possédons un registre des représentants d’intérêts officiels où les associations sont censées déclarer leurs activités, mais ce dispositif ne dévoile qu’une toute petite partie du travail d’influence, et au moment où les choses deviennent publiques. C’est la face émergée de l’iceberg, il faut un travail d’enquête minutieux et observer les relations de tous ces secteurs pour s’apercevoir de la taille de ce réseau d’influence. » explique Olivier Petitjean, co-fondateur et coordinateur de l’Observatoire des multinationales, pour La Relève et La Peste

Certains bénéficient même directement d’argent public grâce à la « cagnotte Matignon » ou indirectement grâce au statut « d’utilité publique » qui leur permet de défiscaliser les dons qu’ils reçoivent. Le besoin de transparence s’impose alors comme une évidence. Ce mélange des genres publics/privés, cet entre-soi des classes sociales riches s’est d’ailleurs exprimé dans les interventions médiatiques du Président de la République lui-même.

« Malgré tout ce travail d’influence des industriels, il faut reconnaître la faute profonde d’Emmanuel Macron d’avoir lancé ce processus démocratique, en disant qu’il soumettrait les propositions sans filtre au Parlement, pour ensuite laisser les 150 citoyens à la merci des lobbies. Pire, il a lui-même contribué, ainsi que ses ministres, à créer la défiance généralisée de la société d’une manière délibérée. Un vrai soutien du gouvernement à ce processus aurait débouché sur un texte cohérent. Là, par sa prise de position dans les médias – comme celui de la « lampe à huile » ou encore celui des « Amish -, l’exécutif a encouragé les industriels à être violents dans leurs discours. Heureusement, les industriels ne sont pas tous libertariens et injustes, mais ce sont toujours les plus violents qu’on entend. Il faut que les milieux d’affaires soient prêts à remettre en cause leurs privilèges : ça veut dire moins de profits, plus de régulation, la fin des objets et services inutiles. Tout ce travail de sape de la Convention Citoyenne pour le Climat est symptomatique de ce refus de changer pour résoudre la crise climatique. On a vu le même phénomène sur la justice sociale avec la crise du covid : ils sont très peu nombreux à avoir décidé de suspendre les dividendes et limiter la casse sociale. Malgré les aides publiques perçues, ils ont tous refusé de s’engager sur quoi que ce soit. » accuse Olivier Petitjean, co-fondateur et coordinateur de l’Observatoire des multinationales, pour La Relève et La Peste

Pour les 150 courageux citoyens et citoyennes de la CCC, tout leur travail est donc loin d’être vain malgré cette campagne de citizen-bashing dont ils ont été victimes. Désormais entre les mains des parlementaires, le projet de loi Climat et Résilience peut encore être amendé et retrouver un semblant de cohérence climatique et sociale.

De son côté, le Haut conseil pour le climat doit rendre son avis sur le projet de loi du gouvernement avant le 25 février. Connue pour ses positions scientifiques et pragmatiques, cette instance pourra peut-être faire pencher la balance des politiques publiques dans le cadre des suites de l’Affaire du Siècle.

Laurie Debove

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