Après la suspension des travaux par le parquet de Bayonne, le chantier d’une ligne Très Haute Tension de 400 000 volts en courant continu a redémarré à vive allure. Alors qu’un procès sur le fond doit avoir lieu en 2025, les habitants opposés au tracé accusent le distributeur d’électricité RTE d’accélérer les travaux pour qu’ils soient finis avant que justice ne soit prononcée.
Travaux d’une ligne Très Haute Tension
Dans les Landes, voilà trois ans que la population locale s’oppose à un projet de ligne Très Haute Tension, jamais réalisé auparavant. Piloté par la REE (Red Eléctrica de España) et le français RTE (Réseau Transport d’Electricité, filiale d’EDF), ce projet d’interconnexion électrique titanesque vise à relier Cubnezais, en Gironde, à Gatixa, au nord de Bilbao via une ligne Très Haute Tension (THT) de 400 000 Volts en courant continu et longue de 400km.
Entre blocage des chantiers et recours en justice, les citoyens inquiets multiplient les initiatives pour obtenir un tracé alternatif le long de l’autoroute, qui préserverait l’océan, les dunes, les forêts et les terres arables. En août 2024, le tribunal judiciaire de Bayonne avait donné raison aux habitants en suspendant les travaux en mer pour préserver les cétacés. Un répit de courte durée, seulement une semaine, après que RTE ait assuré « avoir mis en œuvre les mesures complémentaires demandées par le Tribunal ».
« Au départ, le chantier était regroupé sur la plage des Casernes, ce qui était facile à suivre pour notre collectif. Aujourd’hui, ils ont fait plein de petits groupes comme des fourmis. Ils attaquent les dunes, les forêts, et les chemins dont un situé tout près d’un forage d’eau potable. Nous devons redoubler de vigilance » confie Corinne, l’une des membres du collectif Stop THT, pour La Relève et La Peste
Mais le combat juridique est loin d’être terminé. RTE a fait appel de la décision du tribunal judiciaire de Bayonne, dont l’audience aura lieu la semaine prochaine à la Cour de Pau.
« RTE fait appel pour que cela ne serve pas de jurisprudence. La Commission Nationale du Débat Public nous a contacté pour nous avertir qu’un autre projet de câbles sous-marins transporteurs d’énergie, entre le Maroc et le Royaume-Uni, porté par la société XLINKS va être l’objet d’une concertation préalable. Ils ne sont pas prêts de laisser la faune marine tranquille » s’insurge Marie Darzacq, membre du collectif Stop THT, auprès de La Relève et La Peste.
Le recours sur le fond, concernant la légalité ou l’illégalité de l’autorisation environnementale, doit être lui jugé en 2025. Pour l’heure, aucune date n’a été fixée.
« C’est la raison pour laquelle il y a autant de chantiers en cours et d’entreprises missionnées par RTE. Tout est démultiplié pour essayer d’arriver à la date d’audience en appel, en disant « ça y est, c’est fait, c’est terminé. C’est de l’argent public. On ne va pas recommencer le long de l’autoroute. Cela coûterait beaucoup trop cher ». Ça, c’est la pratique habituelle malheureusement, dans notre pays, tout simplement parce que la législation est très mal faite » dénonce Marie pour La Relève et La Peste
En France, les recours en justice ne sont pas suspensifs d’exécution sur les projets d’aménagement du territoire. On donne la possibilité aux citoyens de s’opposer à un projet en demandant au tribunal de statuer, tout en autorisant le porteur dudit projet à commencer ses travaux, et même à aller le plus vite possible pour éviter un jugement qui irait à son encontre. A Strasbourg, l’autoroute GCO est un cas d’école en la matière. La justice a fini par donner raison aux opposants sur 5 des 6 recours sur le fond : trop tard, l’autoroute était déjà terminée.
« Le plus grave, c’est que toutes ces démarches administratives (enquêtes publiques et concertations préalables, ndlr) sont des passages obligés dont les services de l’État ne tiennent absolument pas compte » s’agace Roland Legros, aguerri aux procédures de ce type chez les Amis de la Terre 40, auprès de La Relève et La Peste
Face à cette résistance, la pression s’accentue. Accusée d’avoir tagué le chantier, une des membres du collectif a été convoquée en audition libre par la gendarmerie la semaine dernière.
Des impacts sanitaires et écologiques
Parmi les inquiétudes premières du collectif : l’impact sanitaire des expositions au champ électromagnétique d’une ligne THT à 400 000 volts en courant continu. L’instruction Batho, depuis 2013, préconise impérativement de ne pas implanter de telles lignes à moins de 100m d’établissements recevant des enfants. Si RTE se veut rassurant, il n’existe aucune étude d’impact sanitaire prouvant l’innocuité de la ligne, ni surtout du cumul de ces ondes avec d’autres sur l’organisme.
« Chaque personne a ce qu’on appelle un exposome qui correspond à tous les éléments qui sont dans son environnement et peuvent avoir un impact sur sa santé, qu’il soit positif ou négatif. Avec cette ligne THT, on est face à un effet cocktail qui n’a pas du tout été calculé. C’est-à-dire qu’il y a les ondes électromagnétiques et les champs électriques qui vont émaner de ces lignes, celles du téléphone, la télé, Internet, etc. Cette ligne 400 000 volts en courant continu va servir un peu de test à grande échelle sur les habitants et la faune » s’inquiète Tania Pacheff, biochimiste, auprès de La Relève et La Peste
En effet, si une ligne THT similaire existe entre la Belgique et le Royaume-Uni, celle-ci est exclusivement sous-marine. Surtout, si RTE a fini par éloigner la ligne des écoles, suite à la levée de boucliers à la découverte du tracé initial, elle sillonnera toujours le long des plages, des pistes cyclables, des chemins forestiers et même d’un poney club dans la commune d’Angresse. Et ce à seulement 1m de profondeur : une faiblesse qui inquiète l’un des agriculteurs impactés par le tracé.
« J’avais plusieurs requêtes car ils me coupaient champs, des drains, des lignes d’irrigation. Eux voulaient aller au plus simple, tout droit, sans se soucier de savoir s’il y avait une zone humide. Puis rien à faire de la période, il ne faut pas déranger un touriste à la plage mais venir quand les terrains sont gorgés d’eau pas de soucis. Ils voulaient enterrer la ligne à 1m à l’endroit le plus humide de la parcelle. Je ne laboure plus mais c’est sûr que dans 10 ans, le câble sera remonté. Finalement, ils ont opté pour 1m20 mais ça ne change pas grande chose. Quoi qu’il arrive ce ne sera jamais un sol aussi qualitatif qu’avant : toute sa biologie va être détraquée. Ce sera donc 1000m2 où il n’y aura pas de production pendant 5 ans » détaille Jérôme Dufau, fermier de L’œuf Libre Angressois, pour La Relève et La Peste
L’agriculteur étant locataire ne pouvait rien faire contre le chantier déclaré D’Utilité Publique. La société mandatée par RTE lui donnera une compensation d’environ 2 euros par mètre carré, calculé selon le barème de la chambre d’agriculture pour le maïs irrigué, soit 2052.33 € pour seulement un an. La méconnaissance du sol landais a également inquiété l’agriculteur pour tout le reste du tracé.
« Dans les Landes, on est sur de l’alios, une strate du sol indurée et imperméable. Eux vont le trancher, or sous cet alios il y a l’eau. Partout où ils vont passer sur 7m de large, l’eau va remonter à la surface et tout lessiver. Ils n’en ont pas du tout tenu compte » précise le fermier pour La Relève et La Peste
RTE souhaite démarrer les travaux dans les champs dès cette semaine, à l’instar des autres 27km qui seront impactés. Dans les Landes, c’est une course contre la montre qui s’est engagée. Pour attirer l’attention sur ce dossier épineux, le collectif Stop THT a lancé une pétition sur le site de La Relève et La Peste alliant les voix du monde du surf et de l’océan. Ensemble, ils le proclament : l’océan et la forêt doivent être protégés.