Dans le Bugey, au nord de Lyon, la construction de deux EPR2, dans le cadre du plan de relance nucléaire « France 2030 », soulève des incertitudes autour de la ressource en eau et de l'artificialisation de terres agricoles. Contre le million de mètres cubes de béton qui pourrait être coulé, certains font de la résistance.
Le débat public sur les projets de construction de réacteurs nucléaires EPR2, débuté mi-janvier dernier et organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP), a pris fin ce 15 mai. C’est le 10 février 2022, derrière son pupitre et depuis le site General Electric de Belfort, qu’Emmanuel Macron annonçait une relance nucléaire. Le plan « France 2030 » prévoit la construction de six EPR2, des réacteurs à eau pressurisée d’une nouvelle génération, et dans un second temps, de huit autres réacteurs du même type.
À ce jour, le parc nucléaire français est le plus important au monde, proportionnellement à sa population. Avec ses 18 centrales et ses 57 réacteurs, le nucléaire constitue la première source d’électricité du pays. Toutefois, en 2022, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) alertait sur les défaillances du parc, qui nécessite d’importantes réparations ou des remplacements pour limiter les fuites.
Après Pleny (Seine-Maritime) et Gravelines (Nord), EDF a choisi le site du Bugey, dans les communes de Saint-Vulbas et Loyettes, dans l’Ain, pour y construire une paire de nouveaux réacteurs de 1670 mégawatts, qui pourraient être mis en service d’ici 2040. Le site compte déjà cinq réacteurs de 900 MW, construits entre 1972 et 1979, dont un à l’arrêt.
Plus de 300 hectares de terres artificialisées
Pour réaliser les titanesques réacteurs, 220 hectares de terres agricoles et de carrières seront bitumés, auxquels s’ajoutent 150 hectares pour y installer les annexes et parkings.
« L’équivalent d’un département disparaît tous les sept ans en raison de l’artificialisation des sols. Ce gros projet ne fait qu’accaparer des terres qui sont destinées à l’agriculture », regrette Jean-Pierre Collet, membre de Sortir du nucléaire Bugey, auprès de La Relève et La Peste.
Si la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), mandatée par EDF, a racheté les terres à des propriétaires particuliers ou aux communes entre deux et sept euros du mètre carré, Anne-Marie Brunet, originaire de Loyettes, la commune voisine où elle est aussi membre de l’opposition au conseil municipal, refuse de vendre ses 2,96 hectares.
« Déjà petite, j’ai vu les tours sortir de terre depuis ma fenêtre », se souvient-elle. Sur ses terres, dont elle partage la propriété avec sa famille, travaille un agriculteur. En 2027, EDF entamera les expropriations, alors, pour retarder le rachat, elle prévoit de signer une obligation réelle environnementale (ORE) avec l’association Agir pour l’Environnement.
« Pendant 99 ans, sur ces terres, il sera interdit d’abattre des arbres, d’artificialiser les sols ou d’assécher des milieux humides », explique Anne-Marie Brunet pour La Relève et La Peste.
Dans les communes à proximité de la centrale, beaucoup d’élus et d’habitants sont favorables à la relance nucléaire, alors Anne-Marie a le sentiment de faire cavalier seul contre l’atome, bien que soutenue par des associations anti-nucléaires ou écologistes locales. À Loyettes et Saint-Vulbas, la centrale a créé de l’emploi, alors « on ne peut pas trop critiquer la main qui nous nourrit », confie Jean-Pierre Collet, membre de Sortir du nucléaire Bugey.
Centrale nucléaire du Bugey à Saint-Vulbas dans l’Ain; au premier plan, un champ de tournesol. – Crédit : Wikimedia Commons
Menaces sur la ressource en eau
Le Rhône, fleuve le plus artificialisé de France, coule à proximité et les activités agricoles, industrielles et de production d’électricité en dépendent : chaque année, 5,2 milliards de m3 y sont puisés, soit 13 % des volumes prélevés en France, indique l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse.
À Jonage, en aval de la centrale, un captage puise l’eau potable des Grands Lyonnais. Le fleuve permet également l’irrigation de surfaces agricoles et des barrages hydroélectriques le maillent. Enfin, l’eau du Rhône sert également à refroidir les réacteurs, bien qu’EDF assure que la consommation en eau des futurs EPR2 ne devrait pas dépasser 0,5 % du débit actuel.
Certains craignent cependant un conflit d’usage, notamment à mesure que les sécheresses deviennent plus fréquentes et extrêmes. En effet, d’ici 2055, le débit estival du Rhône devrait encore diminuer de 20 % en raison du dérèglement climatique, alors qu’il s’est déjà affaibli de 13 % depuis 1960.
« Les EPR2 seront mis en service d’ici 10 ans, mais on ne peut pas estimer comment se comportera le Rhône », s’inquiète Jean-Pierre Collet.
Des coûts encore méconnus
Le débat public achevé mi-mai n’est pas parvenu à éclairer toutes les interrogations des élus et habitants, notamment quant aux coûts estimés puisque le montant global de la construction des EPR2 ne sera pas connu avant l’automne et ne fait qu’augmenter. Aujourd’hui estimée à 79,9 milliards d’euros, la relance nucléaire pourrait atteindre les 100 milliards.
« La construction du réacteur de Flamanville, dans la Manche, a nécessité près de 24 milliards d’euros, dont un surcoût de 3,4 milliards et ne fonctionne pas encore après 17 ans de chantier », décrit Jean-Pierre Collet pour La Relève et la Peste.
Dans un rapport de janvier 2025, la Cour des comptes alerte également sur les incertitudes liées aux coûts, aux retards et aux risques qui nécessitent une prise en compte urgente de l’État.