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Landes : habitants et communes attaquent en justice le projet de ligne THT à 400 000 Volts

Une course contre la montre est engagée alors que RTE vient de déployer une nouvelle foreuse sur le site de Fierbois, gardée sous haute surveillance, à Capbreton.

Dans les Landes, le distributeur d’électricité RTE a lancé les travaux du projet d’interconnexion électrique entre la France et l’Espagne. Traumatisés par le bétonnage du pied de dune et toujours inquiets des impacts sanitaires inconnus du courant continu en 400 000 volts, habitants et communes ont lancé des recours en justice pour stopper les travaux.

La lutte pour un tracé le long de l’autoroute

Le 14 janvier, ils étaient près de 500 habitants, familles et membres des associations environnementales à manifester contre le projet de la ligne Très Haute Tension portée par RTE. Voilà maintenant trois ans que les landais usent de tous les moyens possibles pour obtenir des informations précises sur l’enfouissement d’une ligne Très Haute Tension de 400 000 Volts.

Piloté par la REE (Red Eléctrica de España) et le français RTE (Réseau Transport d’Electricité, filiale d’EDF), ce projet d’interconnexion électrique titanesque jamais réalisé auparavant vise à relier Cubnezais, en Gironde, à Gatixa, au nord de Bilbao via une ligne Très Haute Tension (THT) de 400 000 Volts en courant continu et longue de 400km.

Après une première mobilisation réussie et une pétition recueillant plus de 28 000 signatures, les habitants ont obtenu l’attention des élus, mais aussi de RTE qui a proposé un nouveau tracé. Toujours insuffisant pour les locaux qui réclament que l’entièreté de la ligne passe par l’A63, ainsi que le préconise le Conseil National de Protection de la Nature qui a émis un avis défavorable contre le projet.

Manifestation contre RTE dans les Landes, Seignosse

Les habitants étudient les tracés lors de la manifestation à Seignosse le 14.01.2024 – Crédit : Laurie Debove

« Nous ne nous opposons pas au projet en lui-même. Avec un tracé qui aurait longé l’A63, on restait sur des terres déjà dégradées au lieu d’abîmer des zones Natura 2000 marines. RTE se défend en disant qu’il s’agit d’un projet sous-marin. Nous, on répond que c’est un projet d’interconnexion électrique, qu’il se fasse dans l’eau ou sur terre, par un câble sous-marin ou souterrain, cela ne change rien » argumente Marie Darzacq, capbretonnaise et présidente de l’association Landes Aquitaine Environnement, pour La Relève et La Peste

Marie Darzacq lors de la manifestation du 14 janvier à Seignosse – Crédit : noanopic // nopic.fr

Interrogé par La Relève et La Peste, RTE a confirmé par messagerie électronique que « le tracé le long de l’autoroute A63 n’a pas été étudié ». Pourtant, sur le nouveau tracé landais fourni par RTE, une portion de la ligne THT va bel et bien passer sur l’A63. Pour certains experts, c’est donc le coût que causerait un tel chantier qui empêche le transporteur d’électricité de passer via l’autoroute.

« 300km de Bordeaux à Hendaye, économiquement ce n’est pas viable. Ils ont raté le coche du chantier de l’élargissement à 3 voies de Bordeaux jusqu’à Hendaye il y a quelques années. L’A63 ne passe plus parce que c’est trop cher, tout simplement » explique un ancien ingénieur EDF à la retraite pour La Relève et La Peste

De fait, le projet encaisse des coûts d’investissements bien supérieurs à ceux initialement prévus : 2,390 milliards d’euros au lieu d’1,750 milliard d’euros, « en raison du contexte particulièrement tendu sur les marchés de fourniture des câbles à courant continu et des stations de conversion » précise une décision de la Commission de Régulation de l’Energie.

Un tracé assez flou

Maintenant que toutes les autorisations ont été obtenues par RTE, les travaux ont commencé sur les sites d’atterrage du Porge (Gironde) en octobre, et de Seignosse et Capbreton (Landes) en novembre. Sauf aléas, les travaux s’étaleront jusqu’à mi-2027.

Leur lancement a provoqué le désarroi des landais lorsqu’ils ont vu le pied de dune bétonné sur la plage des Casernes à Seignosse. Un grain de sable pour RTE qui promet que « les terrains seront remis à leur état naturel initial voire améliorés pour certains ».

« Qu’ils prétendent pouvoir tout remettre en état est juste mensonger. Ils vont passer comme des bulldozers, et derrière ils nous restera les yeux pour pleurer. Ce qui se passe aux Casernes n’est qu’un début. Personne n’a les tracés précis sur des chemins de 7 à 8m de large ! C’est un scandale que l’enquête publique ait été menée sur un tracé non précis. Cet argument à lui seul devrait la rendre caduque devant les tribunaux » s’insurge un ancien ingénieur EDF à la retraite auprès de La Relève et La Peste

Site d'atterrage à Seignosse, RTE

Des pancartes s’opposant au projet ont été affichées dans les communes concernées par le tracé, ici lors de la manifestation du 14 janvier à Seignosse – Crédit : Laurie Debove

Interrogé également à ce sujet, RTE a justifié par email que « le contournement terrestre landais (27 km) ne traversera aucun site NATURA 2000, ni zone humide (sauf en profondeur pour le passage des câbles mais sans impact au niveau du sol et des quelques cours d’eau franchis). Il nécessitera de défricher 1,4 ha soit 500 arbres, dont 80 % sont des pins d’exploitation commerciale. »

En revanche, sur l’emplacement exact des opérations ainsi que leur taille, pas de réponses précises. Le transporteur d’électricité refuse de nous accorder des interviews depuis bientôt 3 ans.

« Si je prends le cas de la RD28, RTE nous dit que les travaux se feront « à côté de la piste cyclable », sans vraiment dire où. Ils allaient saccager toute l’entrée boisée vers Capbreton, alors les maires ont dit non, et RTE change d’avis en cours en disant maintenant qu’ils vont passer sous la RD28. Ce chantier va durer 2 ans : ils vont arracher la RD28, faire une tranchée dans le sable de 7 à 8m, dérouler leur câble de l’entrée de l’autoroute jusqu’au rond-point de Capbreton, puis reconstruire la RD28 » décrypte un ancien ingénieur EDF à la retraite pour La Relève et La Peste

Une pancarte lors de la manifestation du 14 janvier à Seignosse – Crédit : noanopic // nopic.fr

Pour que RTE épargne la population locale, leur seule solution serait de continuer le long de l’autoroute et de traverser l’ancienne décharge de la commune, mais cette solution n’a pas été retenue par RTE. Ce manque de données précises est également pointé du doigt par une participante à la manifestation, venue de Gironde pour l’occasion. Les villages ruraux girondins, éloignés les uns des autres, ne sont parfois pas du tout informés de l’ampleur des chantiers qui les attendent.

« Actuellement, on est dans l’incapacité d’obtenir le tracé précis sur l’ensemble des villages que la ligne THT : proche d’habitations ? dans des forêts ? le long de la route ? Il y a vraiment une désinformation de la population, tant au niveau du tracé que de ses conséquences sur la biodiversité et les écosystèmes » s’inquiète Rachel Blais de Cubnezai auprès de La Relève et La Peste

Manifestation contre la ligne THT de RTE dans Les Landes

Près de 600 personnes ont participé à la manifestation du 14 janvier à Seignosse – Crédit : noanopic // nopic.fr

Des impacts sanitaires méconnus

De découvertes en découvertes, les communes de Seignosse et Capbreton ont déposé un recours afin de modifier le tracé. Côté société civile, deux recours en justice ont été déposés par le collectif de citoyens landais et les associations environnementales : un recours contre la Déclaration d’Utilité Publique qui a été déposé au Conseil d’Etat le 28/11, et un autre contre l’autorisation environnementale.

De plus, les associations ont demandé la semaine dernière au Tribunal administratif de Bordeaux la suspension de l’autorisation environnementale, et donc l’arrêt des travaux jusqu’au résultat de leur recours au fond. Ils devraient obtenir le résultat de ce référé suspension très prochainement.

Une course contre la montre est engagée alors que RTE vient de déployer une nouvelle foreuse sur le site de Fierbois, gardée sous haute surveillance, à Capbreton.

Au-delà des travaux, les griefs des associations concernent les Champs Electro-Magnétiques (CEM) dont les conséquences seraient néfastes pour la faune, notamment maritime. En effet, les poissons migrateurs (saumons en tête), comme les cétacés, sont très sensibles aux CEM et les utilisent pour se guider. Ils risqueraient au mieux d’être déboussolés, au pire ne jamais pouvoir retourner sur leur lieu de reproduction.

Les impacts de ces ondes sont également un sujet d’inquiétude majeur pour les habitants. Bien qu’un expert de RTE ait déclaré pendant la concertation citoyenne que les porteurs de pacemakers et pompes à insuline devraient être prudents près des lignes, RTE déclare depuis qu’il n’y a absolument aucun danger. Aucune étude n’a été menée sur leur impact sanitaire alors que cette demande a été faite il y a un an et demi par les landais.

Or, des précédents existent. En octobre 2023, la cour d’appel de Caen a condamné RTE à verser près de 460 000 € à un éleveur de la Manche. La ligne Très haute tension (THT) et ses champs magnétiques avaient causé des problèmes de santé à ses vaches.

En Gironde, Rachel se dit inquiète sur les conséquences du réchauffement des sols avec l’enfouissage de la ligne. En effet, l’enquête publique sur le projet d’interconnexion a révélé que les parties du tracé qui ne suivent pas des routes ou des pistes peuvent « affecter la qualité des sols par l’échauffement des câbles du fait de la circulation du courant ».

Pancarte posée le long du tracé lors de la manifestation du 14 janvier à Seignosse – Crédit : Laurie Debove

Un immense marché de l’électricité ?

Le jour de la manifestation, une délégation d’habitants espagnols était présente, en lutte contre la THT depuis 2017. Oscar et Arantza dénoncent un projet imposé à la population pour assurer un immense « marché de l’énergie » sous couvert d’approvisionnement électrique.

« Le pire, c’est que ces projets sont financés par les contribuables européens, contre leur avis, alors que ce sont des entreprises privées qui vont en tirer les profits ! » s’indigne Arantza auprès de La Relève et La Peste

De fait, ce qui se joue dans Les Landes semble être le prémisse d’un déploiement de projets similaires sur tout le territoire français. En octobre 2023, le président de RTE, Xavier Piechaczyk a été auditionné par les sénateurs. Il a défendu la mise en place de nouvelles lignes à très haute tension de 400 000 volts, aériennes cette fois-ci, sur le territoire français : la technologie du courant continu étant bien plus coûteuse à mettre en œuvre. L’objectif : participer à l’électrification du pays pour réduire les énergies fossiles.

La délégation espagnole présente le 14 janvier 2024 à Seignosse – Crédit : Laurie Debove

Quatre nouvelles interconnexions ont été approuvées par la CRE et seront mises en service dans les prochaines années en France : IFA 2 et Eleclink avec le Royaume-Uni, Savoie-Piémont avec l’Italie, le Golfe de Gascogne avec l’Espagne.

La création d’une ligne THT entre Rougemontier (Eure) et Port-Jérôme (Seine-Maritime) cristallise ainsi la colère des habitants concernés par le tracé. Là aussi, ils reprochent à RTE leur manque de communication et de sensibilisation autour de « concertations citoyennes » passées en catimini. À Vatteville-la-Rue, une pétition a été signée par 23 000 personnes pour sauver la forêt de Brotonne des bulldozers.

Dans les Bouches-du-Rhône, ce sont les élus de Tarascon qui s’opposent à ce que la ligne THT devant relier Fos-sur-Mer et Jonquières-Saint-Vincent passe dans la plaine agricole de la commune, en plus de porter atteinte au Parc naturel des Alpilles.

Reste à savoir si RTE va enfin se décider à jouer le jeu de la transparence, ou avancer les travaux au plus vite avant le jugement des recours sur le fond, comme il semble le faire dans les Landes. En 2006, le Conseil d’État avait censuré un projet de ligne THT dans le sud-est pour protéger les Gorges du Verdon.

Sources : avis du Conseil National de Protection de la Nature sur l’Interconnexion électrique France-espagne par le Golfe de Gascogne, sur la demande n° 2022-00724-011-001 / « La CRE et la CNMC parviennent à un accord sur la répartition du financement du projet d’interconnexion électrique entre la France et l’Espagne, compte tenu de l’augmentation des coûts », Commission de Régulation de l’Energie, 02/03/2023

 

Laurie Debove

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