A la Clusaz, 500 personnes se sont rassemblées pour protester contre un gigantesque projet de retenue collinaire, destinée à alimenter les canons à neige. Face à un impressionnant dispositif policier déployé, les participants ont dénoncé le saccage de la montagne au profit de quelques intérêts privés, le tout grassement subventionné par les finances publiques.
Bataille de l’eau
A la Clusaz, la bataille fait rage depuis un an et demi contre le projet de retenue d’eau collinaire qui doit se construire sur le plateau de Beauregard. Au cœur des Aravis (Haute-Savoie), ce cratère de 148 000 m³ dans la montagne (l’équivalent de 60 piscines olympiques et d’une surface au sol de 5 terrains de foot) détruirait 8ha de bois abritant 58 espèces protégées et risquerait d’assécher la tourbière remarquable de Beauregard, classée Natura2000.
Après avoir bloqué le début des travaux avec succès en novembre 2021, Extinction Rebellion Annecy, accompagné des collectifs Sauvons Beauregard et Fier Aravis, les Aravis et les montagnes, a organisé un grand weekend de mobilisation ces 25 et 26 juin nommé le « Grondement des Cimes » en lien avec le mouvement des Soulèvements de la Terre.
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Plusieurs actions ont été menées : samedi matin, la préfecture a été bloquée par des cadenas avec une banderole indiquant « fermée pour cause d’inutilité publique » ; le promoteur immobilier MGM a vu sa devanture repeinte avec les mots « massacreur de montagne » et 500 marcheurs ont randonné dans la montagne pour exprimer leur opposition à l’accaparement de l’eau pour la neige artificielle et le tourisme de luxe.
« L’utilité publique de ce projet dépend du fait qu’il serve la population dans son ensemble. Or, lorsque le commissaire enquêteur a rendu son enquête, il a précisé que ce n’était pas d’utilité publique pour la population française mais seulement pour les villes et personnes de la Clusaz qui vivent et dépendent du tourisme. A la source de la Gonière où elle serait pompée, l’eau est déjà potable. Là, pour les canons à neige, ils veulent la faire monter à travers 3000 mètres de canalisations pour qu’elle croupisse dans une bassine, puis la traiter avec une unité de potabilisation s’ils ne l’utilisent pas entièrement pour les canons à neige. C’est de la folie… » explique Anton, membre d’Extinction Rebellion et originaire du Grand Bornand, pour La Relève et La Peste
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Ce projet fait partie de la centaine de retenues d’eau prévues par le plan montagne II (d’un budget de 100 millions d’euros) du président d’Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez (Les Républicains, LR) qui prévoit d’en consacrer 30 millions à la « sécurisation de l’enneigement » face à la raréfaction des chutes de neige en période de dérèglement climatique. A rebours de certaines stations, le président du conseil départemental de la Haute-Savoie Martial Saddier (LR) a de son côté fait adopter un plan d’investissement de 300 millions d’euros pour « la relance des stations de sports d’hiver ».
Un climat conflictuel
Hautement polémique, le projet n’a pour l’instant toujours pas été officiellement déclaré d’utilité publique par la Préfecture de Haute-Savoie qui « prend le temps nécessaire de la réflexion » selon une interlocutrice de l’institution, contactée par téléphone. Preuve du climat anxiogène qui règne dans les cimes, un important dispositif policier a été déployé dans toute la montagne pour encadrer les manifestants.
Les fouilles et les 5 checkpoints d’affilée n’ont pas découragé les marcheurs qui ont parcouru le périple prévu avec des pancartes colorées dans une ambiance conviviale.
Et la situation est similaire d’un côté à l’autre des versants : lors de ce weekend, plusieurs collectifs montagnards se sont joints à la mobilisation, mais aussi Bassines Non Merci qui lutte contre les projets de méga-bassines agricoles.
« Une telle manifestation est inédite dans des stations-villages où règne l’omerta, et dit bien la colère maintenant montante contre les appétits destructeurs des promoteurs immobiliers comme MGM, prêts à bétonner le moindre mètre carré au profit d’un tourisme de luxe avec l’appui des institutions locales – mairies, département, région et préfecture. » expliquent les collectifs à l’origine de la mobilisation
Ainsi, certains responsables publics sont parfois étroitement liés à l’industrie du tourisme. Le maire de La Clusaz, Didier Thévenet, est également Président du conseil d’administration de la Société d’Aménagement Touristique d’Exploitation de La Clusaz. Il défend la création de « 2 000 emplois » avec le projet de Beauregard.
Suite à une action de collage humoristique l’invitant à faire un « acte historique en prenant position contre les retenues collinaires », l’édile a déposé plainte pour diffamation ce qui a donné lieu à une perquisition chez un citoyen. Sollicitée, la municipalité n’a pas répondu à nos questions.
« Globalement, c’est très difficile pour les locaux de s’opposer à ce type de développement car une très grande partie de leurs emplois dépendent du tourisme et les niveaux de vie explosent. Surtout, ceux qui parlent ouvertement reçoivent parfois des lettres anonymes menaçantes type on va brûler votre chalet…Il y aussi beaucoup d’incompréhension lié au manque de discussion et à la stigmatisation des écolos perpétrés par les élus eux-mêmes. Pendant la réunion avec Castex et Wauquiez, le maire de La Clusaz a traité les gens « d’ayatollahs de l’écologie » et d’extrémistes, c’est quelque chose de récurrent. » dénonce Anton, membre d’Extinction Rebellion et originaire du Grand Bornand, pour La Relève et La Peste
Autre exemple flagrant de ce musèlement politique : Laurent Wauquiez ôte petit à petit les subventions publiques aux associations connues pour éplucher les dossiers d’aménagement public. Or, leur travail d’expertise juridique est inestimable pour comprendre et décortiquer ces dossiers complexes de plusieurs milliers de pages et permettre aux habitants de s’approprier les enjeux.
Au-delà du partage de l’eau, c’est surtout l’accès au logement qui devient de plus en plus difficile pour les populations locales, en concurrence déloyale avec des investisseurs privés possédant de bien plus gros moyens. A tel point que les collectifs engagés parlent « d’épuration sociale » : plus le dérèglement climatique s’intensifie, et plus la montagne se privatise.
Ainsi, le promoteur immobilier MGM est « un acteur reconnu de l’immobilier et du tourisme haut de gamme qui pèse dans la vie économique savoyarde ». Prix moyen d’une « résidence de tourisme » dans le Massif d’Aravis : 400 000 euros HT. Son PDG, David Giraud, est bien connu de la justice : il avait été condamné à un an de prison ferme (qu’il n’a pas purgé) et 375.000 euros d’amende pour abus de biens sociaux et recel, c’est pourquoi son entreprise a été ciblée lors de ce weekend de mobilisations.
Face à ces pratiques mafieuses, les opposants au projet militent pour ouvrir des assemblées avec les populations locales afin de discuter des pertinences écologiques et sociales des projets d’aménagement du territoire. Pour Mikaël Chambru, Maître de conférences en sciences sociales à l’Université Grenoble Alpes (UGA), « des pistes existent pour déjouer l’artificialisation de la montagne ».
De leur côté, les collectifs engagés dans la mobilisation restent vigilants sur les futurs travaux qui peuvent démarrer très vite, dès que la déclaration d’utilité publique sera signée par le Préfet. Les associations ont d’ores et déjà préparé des recours juridiques.
Crédit photo : Soulèvements de la Terre