De la ZAD aux JAD. Depuis le 24 mai, les jardins ouvriers des Vertus, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), sont occupés par des jardiniers et des militants opposés à la construction d’un spa/solarium adossé à la future piscine d’entraînement des Jeux olympiques de 2024. Ce jeudi 15 juillet, acculé par la société d’aménagement du Grand Paris, le collectif de défense des jardins appelle à l’aide.
Un patrimoine nourricier et populaire
Havre d’échange et de verdure en plein cœur d’un quartier très populaire, croulant sous le béton, les jardins ouvriers des Vertus accueillent depuis 1935 des générations de jardiniers amateurs, qui y cultivent légumes, céréales et arbres fruitiers sur quelque 26 000 m2.
Il y a soixante ans, l’emprise de ces potagers hérités des mouvances sociales du siècle dernier, entre éducation, santé publique et subsistance, était encore de 62 000 m2, grignotés morceau après morceau par l’urbanisation : prolongement d’une ligne de métro, création d’un parking d’intérêt régional, d’une gare routière…
Ne jouissant que d’1,42 m2 d’espaces verts par habitant, soit 8,58 de moins que ce que préconise l’Organisation mondiale de la santé, les Albertivillariens s’imaginaient que les 85 parcelles restantes leur seraient épargnées.
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Peine perdue ! L’établissement public Grand Paris Aménagement (GPA), le propriétaire des jardins, en réclame aujourd’hui 17 de plus (soit 4 000 m2), pour les offrir au futur centre aquatique du Fort d’Aubervilliers, l’un des 5 sites d’entraînement destinés aux compétiteurs des Jeux olympiques de 2024.
La piscine olympique, à proprement parler, ne menace pas les jardins. Elle doit être construite sur un parking adjacent. Le conflit provient de son extension : un espace de « fitness, spa et solarium minéral », ainsi qu’un « splashpad » et un « pentagliss », censés rentabiliser un équipement à usage unique, démesuré pour le quartier. Car les JO ne durent que 15 jours…
Suite logique de l’urbanisation passée, GPA souhaiterait rogner 6 000 m2 supplémentaires de jardins, afin d’y ériger une gare de la ligne 15 du Grand Paris Express « à l’horizon 2030 ». Comme les terres agricoles de Gonesse, les jours des jardins ouvriers des Vertus, « précaires et révocables » par définition, sont comptés.
Après une modification du plan local d’urbanisme (PLU) rendant constructible une partie des terrains, la mairie d’Aubervilliers a transféré, le 30 avril dernier, le bail de 17 parcelles de l’association des Jardins des Vertus à l’aménageur. Les travaux devaient débuter au printemps, mais l’opposition locale semble les avoir déjà retardés.
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La lutte pour sauver les Jardins
De mobilisation en recours, la lutte pour la sauvegarde des jardins a fini par se transformer en croisade contre l’artificialisation des terres, ainsi que les grands projets inutiles et imposés. D’anecdote, elle est devenue symbole.
Fin mai, des dizaines de membres ou sympathisants du collectif « Sauvons les jardins des Vertus » ont décidé d’occuper l’une des dernières oasis de leur ville. Tentes, cabanes, mur de paille, relais, provisions, un petit campement s’est installé, rapidement rejoint par des militants écologistes d’Extinction Rebellion, ou de Youth For Climate.
C’est ainsi qu’une ZAD d’un nouveau genre a vu le jour à Aubervilliers : la JAD, pour « Jardins à Défendre ».
Dans une tribune publiée le 23 mai, le collectif explique que « l’aberration » du complexe olympique « n’est que la suite d’une longue série, qui a déjà entraîné l’artificialisation de toute l’ancienne Plaine des Vertus ».
Estimant que ces « projets ne font pas partie du futur, mais du passé » et que rien, hormis la « spéculation immobilière » et « l’éco-gentrification », ne justifie de détruire un hectare cultivable dans « la seconde ville la plus pauvre de la métropole », il prévient que ses membres « lutteron[t] jusqu’au bout » à travers la mobilisation corporelle.
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D’emblée attaquée par GPA, la JAD a été jugée expulsable, dès le 25 mai, par le tribunal de proximité d’Aubervilliers, « en l’absence du collectif, qui n’a pas été mis au courant », notamment parce qu’il subsiste des points de désaccords avec l’association.
Si cette décision de justice s’est montrée fulgurante, elle n’a pourtant pas été suivie d’effets immédiats : pendant presque deux mois, les occupants sont demeurés sur place nuit et jour, sachant qu’ils pouvaient être expulsés à tout moment. Mais personne ne s’est manifesté.
Jusqu’à la deuxième semaine de juillet, où un courrier d’huissier émanant de GPA a ordonné au collectif « d’évacuer les parcelles menacées dès le vendredi 16 juillet à 17 heures », date à partir de laquelle un dispositif d’expulsion, incluant « l’usage de la force publique », pourra et sera sûrement engagé.
Au pied du mur, le collectif en appelle plus que jamais à la mobilisation.
« À une semaine des JO de Tokyo, nous refusons de quitter le lieu et d’abandonner ces jardins à la logique olympique ! écrit-il dans un communiqué. Rejoignez la JAD dès le 15 juillet pour empêcher l’expulsion ! »
D’ici à la fin du mois, plusieurs journées de débats, de visites et d’ateliers de défense collective ont été prévus dans les jardins. Un projet alternatif proposant, plans à l’appui, de placer l’extension de la piscine directement sur le toit a par ailleurs été soumis à GPA. Il est resté sans réponse.