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À Dijon, la mairie a détruit potagers, arbres fruitiers et volé la terre des habitants

En quelques mois, les Jardins de l’Engrenage étaient devenus un véritable lieu de vie, d’accueil et de générosité où toutes les générations se côtoient et partagent ensemble des moments écologiques et sociaux : bricolage et jardinage bien sûr, que les potagers soient partagés ou familiaux, mais aussi cabanes dans les arbres, tournois de pétanque, repas conviviaux, marchés et brocantes à prix libres, distributions alimentaires solidaires.

L’artificialisation des sols a encore de beaux jours devant elle. A Dijon, les forces de police sont venues par surprise raser les Jardins de l’Engrenage à renfort de pelleteuses et gaz lacrymogènes pour éloigner les résistants qui essayaient de protéger les arbres. Depuis juin 2020, des citoyens et riverains occupaient une friche arborée et avaient créé de nombreux potagers collectifs et individuels pour protéger ces terres fertiles, menacées d’être bétonnées pour la construction de 330 logements. Arbres fruitiers, fleurs, potagers, herbe, aucun végétal n’a été épargné. La Mairie de Dijon a même emporté toute la terre végétale avec plus de 80 voyages en camion. Malgré le paysage désertique laissé par la municipalité, les jardinier.ères engagé.es le réaffirment : « Ici, on sème encore ».

La disparition des îlots de verdure en ville

Les canicules frappant un peu plus fort chaque été, les îlots de verdure deviennent un bien inestimable au cœur des villes. Et quand ces îlots de verdure sont également arables, c’est à dire cultivables, ils deviennent un bien commun qui mérite une protection absolue, à l’heure où les territoires devraient tout mettre en œuvre pour assurer leur souveraineté alimentaire et sortir d’un modèle agro-industriel à bout de souffle.

Face à la densité démographique et l’appétit des promoteurs immobiliers, les municipalités peinent à préserver ces espaces de fraîcheur et de vie. C’est le cas à Dijon, avec un PLUi qui prévoit d’artificialiser 480 hectares d’espaces naturels et agricoles dans les 10 prochaines années pour construire zones d’activité et logements, dont le programme immobilier « Garden State », qui prévoit d’en construire 330 accompagnés d’un immense parking souterrain.

Situé avenue de Langres, le projet Garden State est porté par le promoteur Ghitti Immobilier, et ardemment soutenu par la municipalité, y compris les élu.e.s EELV qui ont passé des accords avec la liste PS du maire de la Ville, François Rebsamen, au pouvoir depuis 2001.

Présenté comme un projet « très exigeant sur le plan environnemental » avec l’aménagement 4.000 m² de verdure, les dessins d’arbre sur les plans immobiliers n’ont pas convaincu les riverains et écologistes qui dénoncent une augmentation de 30% de la densité démographique déjà très élevée du quartier, une aggravation de l’effet d’îlot de chaleur urbain, la destruction d’un refuge de biodiversité (notamment pour 24 espèces de papillons, des pollinisateurs) et un manque flagrant de concertation (sous prétexte de crise sanitaire) avec les riverains sur le devenir de leur quartier.

Le dessin du promoteur immobilier
La modélisation 3D du promoteur immobilier : « on regarde le dossier de demande de permis de construire, la même vue est moins verte et moins réjouissante… questions de perspective et de proportions béton/verdure sans doute !? » interrogent les jardiniers

Un modèle d’écologie sociale rasé

Face à la menace de la bétonisation, le 17 juin 2020, suite à l’appel contre la ré-intoxication du monde, près de 400 personnes manifestent et un certain nombre d’entre elles décident alors d’occuper une friche arborée bordant l’avenue de Langres, comme la lutte commune du Jardin des Vaîtes. Leur nom : les Jardins de l’Engrenage.

Premier objectif : prouver au Maire qui pensait que rien ne pousserait sur « cette terre de remblai » que les sols sont bien fertiles. Neuf mois plus tard et beaucoup de chantiers collectifs organisés, le pari est réussi.

400 m2 de légumes en pleine croissance, une saison de culture qui a permis d’améliorer la qualité du sol et le nombre de vers de terre, la découverte d’une nappe superficielle d’eau indispensable pour assurer l’irrigation.

crédit : Jardins l’Engrenage

« Si le site comporte effectivement quelques parcelles remblayées par des gravats qu’il importe de requalifier, généraliser cet état de fait à l’ensemble du projet est sciemment malhonnête. On peut également noter que le projet « Garden State » entend crée un « jardin public » sur la partie la plus polluée du site en ramenant de la terre, et couler sous le béton la bonne terre déjà présente, chacun pouvant juger du bénéfice écologique d’une telle opération. » précise ainsi le collectif dans leur pétition

A Dijon, le besoin est réel. Le Calculateur de Résilience Alimentaire des Territoires (CRATer) montre que pour Dijon Métropole, la production alimentaire du territoire ne couvre que 8% des besoins de la population.

Et les légumes, petits fruits, végétaux et animaux de toute taille ne sont pas les seuls apports de cette dynamique collective. En quelques mois, les Jardins de l’Engrenage étaient devenus un véritable lieu de vie, d’accueil et de générosité où toutes les générations se côtoient et partagent ensemble des moments écologiques et sociaux : bricolage et jardinage bien sûr, que les potagers soient partagés ou familiaux, mais aussi cabanes dans les arbres, tournois de pétanque, repas conviviaux, marchés et brocantes à prix libres, distributions alimentaires solidaires.

crédit : Jardins l’Engrenage

« Le lieu venait rendre un vrai service au Quartier, en ayant une dimension sociale et une reconnexion à la Nature. Avant qu’on arrive, de nombreuses personnes du voisinage étaient contre le projet Garden State. L’idée était donc de faire le lien avec le voisinage pour que chacun puisse proposer directement des choses sur le terrain, et ça a marché ! Chaque personne du quartier et de la Ville s’appropriaient le lieu et venaient vivre des expériences uniques en ce temps de covid où tout le monde est chez soi. Cela nous permettait de se reconnecter et retrouver le sentiment de société, toutes les générations mélangées ensemble. » sourit Jon, l’un des membres des Jardins de l’Engrenage, pour La Relève et La Peste

Hélas, la Mairie ne semble pas avoir été sensible à cet espace collectif de nature et de respiration. Après avoir envoyé des premiers bulldozers en juillet 2020, une décision de justice lui a permis de finir le travail ces 20, 21 et 22 avril.

Très tôt le matin, un escadron de gendarmerie mobile de 55 hommes a été envoyé sur le site avec des membres de la police nationale, des tractopelles et bulldozers. Pendant trois jours, les gaz lacrymogènes ont déferlé pour expulser les occupants des lieux, tandis que les engins de chantiers ont rasé entièrement la zone.

crédit : Jardins l’Engrenage

« Ils ont tout enlevé, on avait un magnifique tilleul qui a été dégommé à la pelleteuse, ça crève le cœur de voir ça. Pareil pour tous les beaux et vieux arbres, comme les cerisiers, chênes, figuiers présents sur le site. Les lapins et les poules ont été bien gazés et sont mal en point. Ils ont même creusé et embarqué toute la Terre végétale dans des camions pour nous la retirer et nous empêcher de replanter ! On ne s’y attendait pas, ça a été un choc. Il n’y a eu aucun dialogue de la part du Maire : on lui avait publié une lettre ouverte il y a un mois de ça qui est restée lettre morte… » déplore Jon pour La Relève et La Peste

La lettre ouverte des Jardiniers de l’Engrenage proposait au Maire François Rebsamen « une méthode pour co-construire avec les habitant.es du quartier l’avenir du site, futur espace naturel collectif, lieu de respiration, de vie et de production potagère pour les Djonnais.es » basée sur le principe de démocratie participative, loin des piètres « consultations » numériques qui ne permettent pas à la population de s’impliquer activement dans les projets d’aménagement de leur territoire.

Au lieu de cela, les gaz lacrymogènes ont été responsables de plusieurs départs de feux, que pompiers et militants ont dû éteindre pour protéger les quelques arbres restants près de la maison située sur le site, dernier bastion de résistance qui n’est pas expulsable jusqu’à septembre 2021 selon la décision de justice.

crédit : Jardins l’Engrenage

Le besoin en logements

Ironie de l’histoire pour la municipalité, cette expulsion violente a renforcé la solidarité entre les jardiniers et les riverains, dont certains « qui n’avaient jamais osé venir nous voir sont venus proposer leur aide et du ravitaillement » précise Jon. Les arbres arrachés ont provoqué une vive émotion au sein de la population.

Puisque les terres étaient finalement bien arables, le Maire a réagi à l’expulsion en se réjouissant que le projet immobilier puisse finalement commencer et répondre au besoin de « 9 500 demandes de logements sociaux dans la métropole », son nouvel argument principal

Seulement, là aussi le bât blesse. Si le chiffre et le besoin est bien exact, le projet Garden State prévoit seulement 145 logements sociaux. De plus, les Jardiniers de l’Engrenage rappellent que Dijon Métropole projette de construire un total de 16 200 nouveaux logements, soit « trois fois trop par rapport à la croissance démographique » moyenne de 0,34% par an.

Surtout, dans la métropole de Dijon en 2017, l’Insee dénombrait 9 350 logements vacants sur un total de 139 278 logements, soit 6,7%.

« Il serait donc même possible de renoncer à de nombreux autres sites de projets de logements neufs, le besoin de 5 000 logements pouvant être en grande partie couvert par les constructions en secteur « diffus » et par la rénovation d’une partie des 9 300 logements vacants. » expliquent ainsi le collectif écologiste qui a créé une carte des terres à défendre de la Ville

In fine, les choix de la municipalité semblent relever d’une vision du monde obsolète, alors que le gouvernement français proclame la nécessité urgente de viser « zéro artificialisation nette » du territoire français et que la possibilité de bien se nourrir doit être accessible à toutes les classes sociales de la population.

La métropole de Dijon avait d’ailleurs postulé pour devenir « capitale verte européenne » : preuve en est que les grandes déclarations ne remplaceront jamais les actes et les projets concrets.

Aujourd’hui, plutôt que des légumes, les Jardiniers de l’Engrenage ont récolté des seaux entiers de douilles de lacrymo qui jonchaient le sol. Encore gazés par les policiers, les jardiniers ont réussi à percer une brèche dans le mur de béton que les autorités avaient érigé autour de la maison dorénavant isolée, pour permettre le lancement des travaux.

Malgré ce coup dur, le moral des troupes est combatif. Sûrs de leur combat, les jardinier.ères engagé.es le réaffirment : « Ici on sème encore ». Le collectif a lancé un appel à un rassemblement de soutien, samedi 24 avril à 14h place du Théâtre. Et le dimanche, une bourse aux plantes et semis sera organisée à l’Engrenage accompagnée d’une conférence autour des luttes en cours pour le vivant en Bourgogne-Franche-Comté.

Pour elles et eux : « Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront jamais le printemps », selon une célèbre citation de Pablo Neruda.

Laurie Debove

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