Partis de la forêt de Massane (Pyrénées-Orientales), réserve classée au patrimoine mondial de l’Unesco, Françoise Taine et Joseph Garrigue ont marché jusqu’à Paris pendant deux mois pour alerter sur l’effondrement de la biodiversité et réclamer l’arrêt des pesticides.
Une eau aussi polluée que « dans un port industriel »
Le samedi 1er mars 2024, après deux mois de marche, ils entrent tous deux dans l’Académie du climat qui a fait salle comble pour les accueillir. Comme un symbole, quelques kilomètres plus loin, la Confédération Paysanne manifeste place de la République pour un revenu paysan et une sortie de l’agrochimie. Cette dernière partage le même constat que Joseph Garrigue lorsqu’il décrit son périple : « la biodiversité s’effondre ».
L’écologue est l’ancien conservateur de la réserve de Massane, qui détient le record mondial d’étude du vivant avec plus de 40 000 espèces répertoriées. Il s’est lancé dans cette aventure après une analyse des dendrotelmes de la réserve, de petites mares créées dans le creux des arbres.
L’étude a révélé la présence d’une énorme quantité de métaux lourds dans ces eaux : « l’équivalent de ce qui va être retrouvé dans un port industriel comme Marseille ». Cette pollution, qui arrive avec les pluies et le vent, s’accumule au fil du temps.
L’agriculture et les pesticides ne touchent pas que les champs, ils infiltrent tous les sols, l’air et les milieux aquatiques. Mercure, plomb, arsenic, sulfate de cuivre… autant de composés retrouvés en grande quantité dans les eaux de la forêt de Massane et utilisés dans l’agrochimie, notamment sur les vignes qui entourent la réserve.
Les animaux viennent s’abreuver dans ces dendrotelmes, notamment en période de sécheresse. C’est ainsi que chaque individu, végétal ou animal, de l’écosystème se retrouvent infecté.
« La forêt est salie, souillée par l’activité humaine » alerte le scientifique auprès de La Relève et La Peste
Les Pyrénées-Orientales subissent de plein fouet le réchauffement climatique. Les canicules s’enchaînent. Durant les 25 dernières années, la forêt de Massane a perdu 30% de ses arbres adultes. Face à l’impuissance et l’impossibilité de protéger la réserve, Joseph Garrigue rentre en résistance.
Une marche de 900 km : « L’appel de la forêt »
L’idée est lancée, c’est « l’appel de la forêt », pour « dire stop aux pesticides ». L’écologue et sa femme partent à l’aventure le 13 janvier pour un périple de 49 étapes. A raison de 20 kilomètres à pied par jour.
Ils ont été accompagnés par nombre de citoyens et d’associations, les rejoignant sur certaines tranches de leur parcours. Une convergence des luttes soutenue par Pollinis, Extinction Rebellion, Les Scientifiques en Rébellion, ou encore Générations Futures.
« Au démarrage, c’était une marche pacifique, je voulais déposer une gerbe de fleurs plein de tous les organismes (de sa forêt de Massane), au Muséum d’histoire naturelle. Le sac à dos s’est au final rempli de tellement de témoignages » témoigne Joseph Garrigue pour La Relève et La Peste.
A travers les chemins arpentés, la perte de biodiversité est atterrante. Les populations d’oiseaux, de papillons, d’abeilles sont « misérables ». Selon une étude du Centre d’Ecologie et des Sciences de la Conservation, 30% des populations d’oiseaux agricoles ont disparu depuis 30 ans.
« Un rapport de l’ONU de février 2024 montre également que les pollutions aux pesticides et plastique contribuent au risque d’extinction de 22% des espèces migratrices » alerte Gilles Bœuf, biologiste et ex directeur du Muséum national d’histoire naturelle.
Et ce n’est rien par rapport aux dégâts sur les populations d’insectes. « Les études scientifiques montrent une chute fulgurante d’abondance des insectes, dont certains pollinisateurs, qui atteint de 60 à 80% en Europe depuis 30 ans » poursuit le biologiste.
A l’échelle mondiale, ce sont 40% des insectes qui sont menacés d’extinction selon une étude du chercheur Francisco Sanchez-Bayo. Au total, près de 1 million d’espèces seront en danger d’extinction dans les prochaines années, selon l’ONU.
Il y a foule à l'Académie du climat pour accueillir #JosephGarrigue et #FrancoiseTaine après leur marche depuis la @RNNMassane jusqu'à Paris pour un appel "POUR LE VIVANT : STOP PESTICIDES". De nombreux scientifiques, associations, institutions prennent la parole pour le soutenir pic.twitter.com/fYW8Mx42hM
— Françoise Fournié (@ffournie1) March 2, 2024
« Les gens se sentent vraiment impuissants »
« Les gens se sentent vraiment impuissants », s’émeut Françoise Taine auprès de La Relève et La Peste. Les discours entendus sont évocateurs : « Je suis malade, c’est normal c’est la pollution. Je ne peux plus planter des plantes dans mon jardin, c’est normal c’est la pollution. Je ne peux pas me baigner dans cette rivière, c’est normal c’est la pollution. »
Les témoignages les plus durs pour Joseph Garrigue sont ceux de ses collègues écologues, qui, même pour ceux étudiant les populations fauniques de réserves protégées, relèvent des chutes importantes de la biodiversité.
Et pourtant, pendant leur marche, le gouvernement annonçait la pause du plan Ecophyto, censé amoindrir l’utilisation des pesticides. Symbole d’une dichotomie absolue entre les décideurs politiques et la réalité scientifique.
Sources : Suivi des oiseaux communs en France 1989-2019 : 30 ans de suivis participatifs. 2020 MNHN- Centre d’Ecologie et des Sciences de la Conservation / Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers. 2019. Sánchez-Bayo, Wyckhuys / Nature’s Dangerous Decline ‘Unprecedented’; Species Extinction Rates Accelerating, 2019, United Nations Report,