Depuis 2014, 162 victoires locales ont été répertoriées. Autant de terres sauvées de l’artificialisation, de la pollution et de l’exploitation. Le chercheur Gaëtan Renaud a étudié, sous l’impulsion de Terres de Luttes et de la revue S!lence, 42 d’entre elles pour en comprendre les traits communs et pouvoir ainsi maximiser le taux de réussite des prochains combats.
Lutte locale : une connaissance fine du territoire
L’urgence écologique nous oblige à revoir nos manières de militer et de lutter. Chaque projet écocidaire est un pas de plus vers la dérèglement climatique, la chute de la biodiversité et la pollution des sols. Comment s’organiser localement contre l’édification de centres commerciaux ou plateformes logistiques, contre la construction d’infrastructures routières ou aériennes archaïques, contre les projets d’extraction industrielle? Qu’est-ce qui mène à la victoire et à l’abandon des projets ?
Chaque nouveau projet arrive sur la table avec sa communication méliorative de la part des entreprises privées et / ou des institutions qui y sont favorables : promesse d’embauche, souveraineté alimentaire ou industrielle… Les contextes économiques locaux sont souvent en demande d’implantation d’emplois, les prix du foncier sont modérés, la faible densité de population limite les oppositions. Ce sont des contextes idoines pour des implantations économiques !
Les études d’impact et chiffres avancés par les porteurs de projet sont souvent tronqués ou falsifiés pour encourager les opinions favorables et passer sans encombre les étapes juridiques.
Dans toutes les victoires étudiées par Gaëtan Renaud, il faut réaliser en premier lieu « un travail méticuleux de construction d’un argumentaire » qui « permet de prouver le caractère “non essentiel” d’un projet ». Les militants doivent apprendre à éplucher une étude d’impact, réaliser leurs propres analyses avec l’aide de juristes, d’avocats, de naturalistes ou d’écologues.
L’argumentaire militant enrichi de ces expertises devient alors complet et « systémique », contrairement à celui des porteurs de projet, se construisant autour de la totalité des thématiques touchées : environnementales, sociales et économiques.
Recours juridique
Les recours juridiques servent à structurer cette argumentation, à « développer l’expertise technique », à crédibiliser les luttes auprès des institutions. Ils sont utilisés dans 80 % des luttes locales, « faisant de cet “outil” une véritable arme ».
Ils peuvent alimenter le feuilleton médiatique qui diffuse le contre-argumentaire militant et maintient la dynamique de lutte. Les recours permettent également de « gagner du temps ».
Le travail juridique révèle « régulièrement le caractère incomplet des études d’impact, et d’appuyer les argumentaires » précise Gaëtan Renaud dans son rapport.
Occuper le terrain
Mais les recours juridiques et administratifs sont longs et fastidieux, et rarement suspensifs des projets. Empêcher la progression des travaux peut requérir une occupation des lieux. Dans 30 % des victoires étudiées, le blocage a permis de stopper l’avancée des travaux et la destruction des milieux naturels.
Dans les 42 luttes locales, seules 4 ont vu l’installation de ZAD. Mais, Gaëtan Renaud note que la simple menace d’occupation « joue un rôle particulier dans la temporalité des luttes, notamment en pesant sur les décisions politiques. »
Les potentielles ZAD et l’enlisement des situations pouvant accélérer l’abandon de projets.
Médiatiser la lutte
Diffuser le contre-argumentaire, transformer l’opinion locale, et attirer de nouveaux militants passent obligatoirement par la PQR. Ce type de médias permet de maintenir un niveau d’implication médiatique élevé.
Cependant, « on observe une hostilité fréquente voire des “blackout” de la PQR comme dans les cas du D-Day Land (un projet de parc qui était dédié au débarquement en Normandie, ndlr) ou de l’usine de Bridor. La proximité de certains titres avec les pouvoirs locaux limitant leur capacité critique selon les collectifs. »
Le passage par les médias indépendants arrive alors comme un recours nécessaire car ils sont plus objectifs et critiques des projets.
Prendre soin des militants
Les luttes durent en moyenne 7 ans. Le temps administratif et juridique est long.
« La victoire dépend fortement de la résilience du groupe » face à des stratégies de « dissuasion, de décrédibilisation et d’intimidation de la part des adversaires, mais également face à l’épuisement militant » prévient Gaëtan Renaud.
Selon le rapport, le « soin apporté aux relations humaines apparaît comme un élément central dans la réussite des collectifs. Cela passe par une grande attention portée aux émotions, aux besoins et au bien-être de chacun des membres. »
En outre, les collectifs multiplient les moment festifs et de convivialité, d’espace dédié au partage des émotions, pour éviter les conflits.
Diversifier et synchroniser les modes d’action
Les luttes étant longues, avec de multiples rebondissements, il est indispensable pour les militants de varier et de savoir utiliser les différents moyens d’action en temps voulu. Mettre la pression au bon moment à travers une manifestation ou laisser entendre qu’une ZAD pourrait être installée est différent d’un point de vue temporel et juridique qu’une expertise scientifique venant contrer les données de l’impact environnemental du projet.
« Toutes les luttes victorieuses interrogées ont vu émerger une confluence entre différentes tactiques qui, sans être nécessairement coordonnées a priori, se sont renforcées mutuellement. » analyse Gaëtan Renaud.
« La mise en réseau », soit la mise en relation d’une pluralité d’acteurs, apparaît comme « cruciale ». La formation des collectifs se fait la plupart du temps à travers une étude fine de positionnement des forces associatives et politiques du territoire. Le but étant de rapprocher les organismes ou militants ayant une proximité idéologique.
Une forme de convergence des luttes? En tout cas cela créer des réseaux d’entraides, structurés qui « se voient renforcés dans les moments forts des occupations ou des mobilisations collectives : les organisations appellent en renfort leurs réseaux au-delà du territoire, chaque tendance de la lutte vient apporter du soutien, matériel, juridique, de présence, … »
Le droit de manifester s’affaiblit. La contractualisation de la fonction publique diminue la capacité des syndicats à mobiliser et faire grève. L’externalisation des tâches institutionnelles réduit les effectifs de fonctionnaires, base des mouvements sociaux. Le nombre de personnes syndiquées est faible. Les luttes sociales demain seront écologiques et locales ou ne seront pas.
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