Les militant•es étaient décidés à montrer la force de leur mobilisation, ce dimanche 11 février à Bordeaux. Réunis à l'appel de Stop Total et Stop Pétrole Bassin d'Arcachon (SPBA), un bon millier de personnes, dont de jeunes activistes venus de toute l'Europe, sont venues manifester contre le forage de huit nouveaux puits pétroliers sur le bassin d'Arcachon.
Huit nouveaux puits de pétrole en Gironde
C’est un mélange de sidération, de tristesse et de colère qui anime les personnes venues défiler ce dimanche après-midi. Réunies place de la Victoire, toutes générations confondues ont défilé au rythme d’une « batucada du climat » endiablée jusqu’au miroir d’eau, situé sur les bords de Garonne.
Pour cause : le projet de huit nouveaux puits de pétrole porté par le groupe canadien Vermilion sur les bords du bassin d’Arcachon, à proximité du lac de Cazaux. Depuis 1997, cette entreprise exploite une cinquantaine de puits et souhaite, avec ces nouveaux permis, accéder à de nouvelles réserves d’hydrocarbures.
D’après sa filiale française, Vermilion REP, il s’agit de « compenser le déclin naturel annuel de 15 % des gisements déjà exploités », et « pérenniser les six emplois directs et les quinze en sous-traitance » générés par l’activité des forages de la concession, tout en « maintenant, voire en augmentant les redevances des mines [versées] aux collectivités », comme l’a détaillé notre confrère Reporterre.
En novembre dernier, l’enquête publique (menée du 28 août au 29 septembre) a rendu un avis favorable à la réalisation de ces nouveaux travaux. Pour Carole Ancla, la commissaire enquêtrice, les impacts des travaux de forage « ne seront que temporaires et de courte durée ».
Pour la commissaire, « le pétrole qui ne serait pas produit en France serait certainement importé avec un coût environnemental bien plus élevé » et « l’arrêt de cette production ne permettrait pas de réduire significativement les émissions de GES liées aux consommations d’énergies fossiles ».
France, Bordeaux, 2024-02-11. Manifestation organisée par le collectif Stop pétrole bassin d’Arcachon contre l’installation de 8 nouveaux puits de pétrole en Gironde. Militants et activistes venus de France et Europe entière pour dénoncer ce projet avant la décision du Préfet de Gironde. En présence de Greta Thunberg.. Photographie de Mary Lou Mauricio / Hans Lucas.
Un projet anachronique
Problème : les rapports du GIEC indiquent qu’il faut cesser d’exploiter toute nouvelle source fossile. Un constat partagé par la figure du secteur des énergies fossiles, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui explique qu’aucun nouveau projet ou extension d’exploitation d’énergie fossile (pétrole, gaz, charbon) ne devait voir le jour à partir de 2021 pour tenir l’objectif de limiter le réchauffement à + 1,5 °C.
Nous sommes de surcroît sur un territoire qui est encore sous le choc des incendies de l’été 2022, durant lesquels 5800 hectares de forêt sont partis en fumée. Incendies dont l’ampleur est, on le sait, accrue par le changement climatique.
France, Bordeaux, 2024-02-11. Un enfant tient un panneau « Notre futur est en jeu ». Photographie de Mary Lou Mauricio / Hans Lucas.
Pour de nombreuses associations locales (telles Écocitoyens du Bassin d’Arcachon, Greenpeace Bordeaux, STOP Total Bordeaux, XR Bordeaux, Stop Total et Stop Pétrole bassin d’Arcachon), cette mobilisation entend faire pression sur la décision du préfet, attendue d’ici à mai prochain.
Sachant que la symbolique loi Hulot, qui invite à cesser la production de pétrole et de gaz en France (production qui ne concerne qu’1% de la consommation nationale d’hydrocarbures), n’intervient qu’en 2040 et n’interdit pas aux concessions existantes de continuer à creuser sur les sites déjà exploités.
Manifestation du dimanche 11 février à Bordeaux – Crédit : Ivan Mathie
« La richesse locale ici ce sont les huîtres, pas le pétrole ! »
Pour Bruno Hubert, habitant du bassin investi de longue date dans les luttes écologistes menées sur le bassin, ces forages s’ajoutent à la longue liste de projets climaticides envisagés dans le coin : « la richesse locale ici ce sont les huîtres, pas le pétrole ! »
Vital Baude, élu écologiste de Nouvelle-Aquitaine et conseiller municipal d’opposition à Arcachon, abonde : « Nous sommes sur un territoire shooté au pétrole, avec une logique de tout bagnole et de surtourisme poussée à l’extrême par les élus locaux et l’État. A Belin-Belier, ils veulent installer une plateforme logistique à la place d’une zone humide, on envisage de passer de 2 voies à 3 voies sur la sortie vers Bordeaux, et ils viennent de valider le prolongement de l’A660 avec la bétonisation de 800ha supplémentaires ».
Sans oublier la polémique autour du projet de surfpark à Canéjan ou le projet de ferme géante d’élevage de saumons porté par l’entreprise Pure Salmon au Verdon-sur-mer. Pour l’élu, « la forêt usagère de la Teste est une forêt à laquelle les habitants sont attachés localement. Les gens qui ont un minimum de conscience vivent cela comme une provocation ».
Militants et activistes venus de France et Europe entière pour dénoncer ce projet avant la décision du Préfet de Gironde. Photographie de Mary Lou Mauricio / Hans Lucas.
C’est justement le cas de Taïssa, 10 ans, qui vit à la Teste-de-Buch. Du haut de son jeune âge, le regard perçant, elle arbore une large pancarte : « pas de nature, pas de futur ». « J’allais souvent dans la forêt avant, beaucoup moins maintenant » confie-t-elle, heureuse d’être là. Elle est accompagnée de Laura, une amie de son père, qui ressent de la tristesse et du dégoût à voir le bassin massacré ainsi. À leurs côtés, Marie-Josée ressent de la révolte : pour cette enseignante à la retraite depuis 10 ans, engagée depuis les incendies dans le collectif Ensemble pour la forêt, « tout cela va à l’encontre du vivant ».
Manifestation organisée par le collectif Stop pétrole bassin d’Arcachon contre l’installation de 8 nouveaux puits de pétrole en Gironde. Une maman et sa fille. Photographie de Mary Lou Mauricio / Hans Lucas.
Sur le bassin, on sait que les risques sont multiples : submersion, incendies, érosion du littoral, sans oublier la pollution de l’eau qui régulièrement affecte la production ostréicole.
Pour Christophe Cassou, climatologue de l’IPSL venu soutenir la manifestation, il est important de rappeler l’essentiel : « 2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée, et l’intégrité du dérèglement climatique est liée aux activités humaines. » Comparant l’urgence écologique à « un voyage sans retour dans une destination inconnue », il regrette l’illusion de ceux qui croient encore qu’il est possible de négocier avec les contraintes géophysiques : « plus on investit dans les fossiles, plus il sera difficile de lutter ensuite. »
France, Bordeaux, 2023-02-11. Le climatologue Christophe Cassou lors de la manifestation organisée par le collectif Stop pétrole bassin d’Arcachon contre l’installation de 8 nouveaux puits de pétrole en Gironde. Photographie de Mary Lou Mauricio / Hans Lucas.
Un soulèvement politique ?
Dans les rangs de la manif, Camille Etienne est saluée et remerciée de toute part. « Je suis ici pour soutenir le combat. En Ouganda on se bat, au Yémen on se bat, et contre Vermillon ici aussi on se bat ! », explique-t-elle, rappelant que les émissions de gaz à effet de serre sont sans frontière. « Notre devise commune est désormais « ni ici ni ailleurs » », affirme-t-elle, consciente que la mobilisation prendra du temps : « il faut tenir, ce n’est que le début d’une grande mobilisation ».
La présence de militants venus d’Espagne, de Suisse, de Belgique ou de Suède, atteste de cette détermination : ils et elles ne veulent plus aucun projet d’extraction, et en appellent à défendre la vie plutôt que les profits. Appuyés dans leurs rangs par la présence de Greta Thunberg, qui n’a pas pris la parole, ils et elles profitent aussi de ces moments de manifestation pour recharger leurs batteries militantes.
France, Bordeaux, 2023-02-11. Manifestation organisée par le collectif Stop pétrole bassin d’Arcachon contre l’installation de 8 nouveaux puits de pétrole en Gironde. Militants et activistes venus de France et Europe entière pour dénoncer ce projet avant la décision du Prefet de Gironde. En présence de Greta Thunberg. Photographie de Mary Lou Mauricio / Hans Lucas.
Marie Toussaint, candidate des écologistes aux Européennes, est venue rappeler à quel point « il faut reprendre le pouvoir sur les géants des fossiles » : « nous pouvons agir et l’emporter, dire non à ces projets. J’en veux pour preuve tout le travail effectué au parlement européen au sujet de l’écocide. Le terme était peu connu quand j’ai commencé ma mandature, et nous avons réussi à l’imposer » explique-t-elle, tentant de convaincre, par sa présence, de l’importance de s’engager aussi dans les urnes.
Le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, promet d’intervenir auprès du préfet : « on doit décarboner les esprits et cesser les recettes du monde d’hier ».
Et si le préfet ne décarbone pas sa décision, que se passera-t-il ? « Nous porterons recours auprès du tribunal administratif » confie Natalie Hervé, du collectif Stop Total, invitant les activistes à signer massivement leur pétition. D’ici à l’avis définitif du préfet, la DREAL et le CODER (le comité des directeurs en région) doivent également publier des avis consultatifs.
Reste que si le gouvernement décide de ne pas autoriser ces forages, ce sera un choix politique qui lui coûtera de l’argent pour compenser la perte subie de Vermillon. Vu la configuration actuelle, il est permis d’en douter.
Sources : “Net Zero by 2050, A Roadmap for the Global Energy Sector”, Mai 2021, Agence Internationale de l’Energie / « De nouveaux puits de pétrole dans une forêt du bassin d’Arcachon », Reporterre
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