« Cette publicité a été supprimée suite à une demande citoyenne. » Placardée sur les panneaux publicitaires dépouillés de leurs affiches, cette petite vignette verte, que vous avez peut-être déjà vue, exhibe un QR code renvoyant vers le site internet de Respiro. Qualifiée d’« initiative citoyenne », cette campagne d’actions antipub a été lancée en mars 2022 par le mouvement écologiste Extinction Rebellion, auquel se sont ralliés Résistance à l’agression publicitaire (RAP) et le collectif Plein la vue, qui milite dans la métropole de Lyon.
Opérant dans des grandes villes de France – des actions ont été menées de Grenoble et Lyon à Bordeaux, en passant par Toulouse, Montpellier, Paris –, les activistes de Respiro disent avoir placé leur démarche au plus proche des volontés de la population.
Et pour cause : sur leur site internet, tout citoyen peut demander le retrait d’une ou plusieurs publicités dans sa commune. Les militants promettent de répondre par des actions de désobéissance civile au plus grand nombre de votes possible. Au 24 octobre 2022, des habitant(e)s de 1 191 communes s’étaient exprimés.
Forts de cette caution populaire, les instigateurs de Respiro font également valoir qu’en 2020, près de 90 % des 150 membres de la Convention citoyenne pour le Climat ont voté en faveur de l’interdiction pure et simple « [d]es panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs, hors information locale et culturelle », afin de réguler ce secteur accusé d’avoir « un rôle majeur sur la fabrication de nos modes de vie ». Comme de nombreuses autres, cette proposition a cependant été enterrée lors de la rédaction de la loi Climat et Résilience censée marquer le quinquennat d’Emmanuel Macron.
À Bordeaux, plus précisément, la campagne Respiro s’est traduite par une double série d’actions antipub. La première, du 20 au 26 juin 2022, a donné lieu au retrait de centaines d’affiches publicitaires. La seconde, qui devait s’étendre du 17 au 21 octobre, a été interrompue par des arrestations.
Pour en savoir davantage sur la campagne, nous avons interrogé Domitille, l’une de ces « rebelles », qui s’est faite porte-parole d’Extinction Rebellion Bordeaux le temps d’une interview.
La Relève et La Peste : Quel but vous êtes-vous donné pour votre campagne ?
Domitille : L’idée, c’est avant tout d’interloquer les passants, en soulignant que la publicité n’a pas été arbitrairement retirée, mais supprimée « suite à une demande citoyenne ». Même si l’affiche est remplacée très vite, le QR code pousse les passants à se saisir de cette question, et à s’interroger sur la place de la publicité dans l’espace public.
LR&LP : Pourquoi avez-vous choisi ces dates, juin et octobre, pour vos actions ?
Nous avons mené notre première campagne en juin car nous voulions réagir au renouvellement du contrat de la municipalité de Bordeaux avec la multinationale JCDecaux [la plus grande société de publicité extérieure au monde, ndlr] et sensibiliser la population. Ce mois-ci, nous souhaitions simplement remettre sur le devant de la scène la question de la publicité, avec des slogans comme « Faites l’amour pas les courses », ou « On ne veut pas de pub, on veut des arbres ».
LR&LP : Comment s’est déroulée votre semaine d’actions à Bordeaux ?
Nos militants ont opéré sans problème le lundi 17, mais mardi soir, deux rebelles ont été arrêtés par la brigade anticriminalité alors qu’ils étaient sur un panneau. Ils ont été placés en garde à vue où ils sont restés 44 heures. Ces arrestations ont mis fin à notre semaine d’actions.
LR&LP : Comment votre groupe a-t-il réagi ?
En tant que groupe, notre objectif premier reste de soutenir les militants qui ont été arrêtés. Mais le simple fait que la police emploie de telles techniques d’intimidation, injustifiées et injustifiables, nous donne envie de continuer. Avec Extinction Rebellion, nous faisons de la désobéissance civile non violente. Et pourtant nous sommes traités comme des criminels : ce genre de délits mineurs doit-il être pris en charge par la brigade anticriminalité ? Des gardes à vue de 44 heures pour de si petites actions, et pour une juste cause, c’est aberrant.
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LR&LP : Quelles sont vos revendications dans le cadre de cette campagne ?
Il y a d’abord la question écologique : il ne devrait plus être possible d’afficher, dans l’espace public, des publicités qui poussent à la consommation de biens polluants comme des SUV ou de produits vestimentaires fabriqués à l’autre bout du monde. Second axe, nous voulons avertir que la stimulation consumériste permanente a un impact néfaste sur nos modes de vie.
La publicité est devenue si banale que n’importe quel article de luxe, n’importe quel produit peut se faire passer pour une nécessité, quelque chose d’utile. La pub nous habitue à désirer des objets inutiles et derrière, elle crée des frustrations permanentes, car le manque joue forcément sur le moral des citoyens.
LR&LP : La publicité est donc néfaste pour l’être humain, la société ?
Évidemment, oui ! Elle est néfaste parce qu’elle a un impact direct sur l’état d’esprit des gens, qui y sont soumis sans leur consentement, et parce qu’elle peut façonner la pensée. Prenons l’exemple des publicités sexistes : si nous voyons partout des images de femmes-objets sexuels ou ménagères, ces publicités valident et entretiennent un schéma dégradant pour toute une partie de l’humanité. Ceci fonctionne pour tout.
Avec MacDo, KFC, Quick, on est noyé sous des publicités qui incitent à manger fréquemment de la viande de mauvaise qualité. Comment le consommateur pourra-t-il se questionner et changer si tout ce qu’il voit, tous les jours, ce sont des publicités promouvant un monde délétère ? La publicité nous pousse à consommer, en consommant, nous nourrissons les multinationales qui ne changeront rien à leur business et inonderont la ville de nouvelles publicités… Il faut s’attaquer à ce qui fait tourner le système.
LR&LP : Quelle serait la solution, selon vous ?
À Grenoble, cela a pris du temps, mais 90 % des publicités ont été retirées de la ville. Un autre monde est possible, mais il faut le vouloir. Selon moi, les élus municipaux ont une responsabilité dans le renouvellement de leurs concessions publicitaires et de leur règlement local de publicité.
À Bordeaux, on est passé d’un tiers d’informations municipales à 50 %, il n’y a plus d’affichages prévus près des écoles, plus d’éclairage de 3 à 7 heures sur les panneaux lumineux. C’est bien, mais nous pensons que ces petites avancées ne suffisent pas. Il faut prendre des décisions radicales, qui mettront fin au système.
LR&LP : Quel est votre programme pour la suite ?
Nous ne lâcherons rien. Nous allons repenser les choses, mais continuer. Nous refusons de nous laisser intimider par des actions policières illégitimes.«
Crédit photo couv : Marie Magnin / Hans Lucas via AFP