C’est la première fois au Pays Basque, mais sans doute également en France, que le droit au logement entraîne une mobilisation populaire aussi massive. Samedi 20 novembre, plus de 8000 personnes ont investi les rues de Bayonne, à l’appel de 32 associations. Ils et elles réclament un logement accessible pour toutes et tous ainsi que la fin de la spéculation immobilière pour endiguer la flambée des prix, devenue invivable pour les locaux.
Un ras-le-bol général
A l’origine de ce regroupement historique, le ras-le-bol et la colère de la population locale qui ne peut plus se loger décemment au Pays basque en raison de la spéculation immobilière. L’année 2021 a ainsi été émaillée par une multiplication d’actions pour interpeller les pouvoirs publics sur la crise du logement :
« Occupations d’immeubles vacants ou de terres agricoles impossibles à préempter par la Safer car hors de prix, actions coups de poing dans d’anciennes locations à l’année devenues meublés de tourisme, rassemblements devant des agences immobilières ou des maisons vendues à des prix déraisonnables, pose de panneaux indiquant les nombre et pourcentage de résidences secondaires (ceux-ci pouvant approcher les 50 %) à l’entrée de chaque commune. Les murs du Pays Basque se couvrent d’affiches, de banderoles, de tags stigmatisant la spéculation et la difficulté grandissante de vivre et se loger au pays. » rappelle le militant basque Txetx Etcheverry, connu pour ses engagements dans la lutte contre le changement climatique, dans une tribune adressée à News Tank
Au Pays basque, le marché immobilier est particulièrement tendu. 20% des logements sont des résidences secondaires et 7% des logements sont vacants, alors que 70% des habitants du Pays basque sont éligibles au logement social.
L’accès à la propriété est devenu quasi impossible. Les quelques logements disponibles se vendent à des prix exorbitants et servent principalement de résidences secondaires, voire de locations estivales pour les touristes. De la même façon, les locations à l’année sont de plus en plus rares en raison de la concurrence des offres de meublés touristiques permanents tels que les Airbnb.
Résultat : la précarité au logement touche de plus en plus de monde, les plus faibles revenus en premier. Actuellement, on compte 300 personnes à la rue à Bayonne tandis que les dossiers de demandes de logements sociaux s’accumulent.
A l’appel de 32 organisations et associations, à la fois des associations sur l’hébergement d’urgence, la précarité, des écologistes, du social, des paysans, mais aussi 100 personnalités locales, la mobilisation du samedi 20 novembre se réunissait ainsi autour du mot d’ordre « Vivre et se loger au Pays – Expekulazioari ez! » pour dénoncer cette crise du logement et exiger une politique du logement ambitieuse et des mesures courageuses.
Une mobilisation massive
Et la mobilisation a dépassé les espérances des 32 associations à l’origine de l’organisation ! Samedi 20 novembre, ils étaient ainsi plus de 8000 à Bayonne à manifester. Le cortège massif, diversifié, et coloré, a parcouru les allées Paulmy, puis s’est rendu devant le stade Jean Dauger où l’ensemble des manifestants ont brandi des milliers de trousseaux de clefs :
« produisant un bruit massif sonnant comme une alerte et une interpellation préoccupée destinée aux pouvoirs publics » expliquent les organisateurs.
Au cours des dernières décennies, c’est la première fois que le logement, qui constitue le 1er poste de dépenses des ménages français, s’est converti en une telle mobilisation de masse.
« Tout le monde est touché ou peut être touché, mais les solutions existent » a déclaré l’un des deux lecteurs.trices de la prise de parole sur une scène installée dans le Palais des Sports de Lauga, sur laquelle était peinte une grande fresque reprenant le logo de la mobilisation, une main protégeant une maison. « La régulation du marché immobilier passera par des décisions politiques qui permettront de garder la maîtrise publique du foncier, mais aussi avec des mesures comme la compensation pour lutter contre les locations meublées de tourisme de type AirBnB. Les pouvoirs publics doivent intervenir beaucoup plus fortement sur le marché en constituant notamment des réserves foncières sur le long terme et en sanctuarisant le foncier agricole. Parce que nous considérons que le droit d’avoir un logement doit passer avant celui d’en avoir deux, nous devons lutter contre les résidences secondaires qui sont autant de toits confisqués à la population qui souhaite vivre ici. Nous avons besoin de logement d’urgence, de logement d’insertion, ou encore de logement adapté. Nous devons limiter les constructions pour préserver le foncier, ne pas artificialiser les sols et protéger les ressources. Produire du logement pour toutes et tous ne passe pas forcément par des constructions à outrance. Cela demande systématiquement de se questionner sur le fait pour quoi et pour qui on produit ? »
Au-delà des habitants et habitantes, de nombreux élu.e.s étaient également présent.e.s lors du rassemblement afin de demander plus de marge de manœuvre à l’Etat pour favoriser le logement à l’année pour leurs administrés.
Récemment, Marie-Pierre Burre-Cassou la maire de Guéthary, la plus petite commune de la côte basque, a ainsi tiré la sonnette d’alarme en envoyant au Premier ministre, à la ministre du Logement et aux parlementaires ses « cinq propositions de mesures fiscales pour permettre aux actifs du Pays Basque de se loger ».
Pour certaines communes, le droit de préemption est devenu impossible à exercer en raison du coût exorbitant de l’immobilier. Il atteint aujourd’hui 10 000 euros/m2 et entre 600 et 1 000 euros/m2 pour le foncier sur la commune de Guéthary qui dispose d’un budget annuel d’environ 1,8 million d’euros.
« Sans aide, notre village va s’étioler. On a aujourd’hui plus de 50 % de résidences secondaires. Dans cinq ans, ce sera 60 % et dans 10 ans, 70 %. On aura alors un village qui vivra uniquement au rythme des saisonnalités et on aura perdu nos services de proximité, notre tissu socio-économique, notre tissu associatif, notre école… tout ce qui fait la vie du village » avait déploré la maire lors d’une conférence de presse, le samedi 30 octobre.
La mobilisation s’est achevée en musique par des prises de parole, de la danse, des concerts, et un moment festif mais n’est qu’un début pour les 32 collectifs à son origine.
Légiférer en France
Fortes de ce premier succès, les organisations vont continuer à établir un espace de travail en commun et ouvert. Leur objectif est d’aiguiller les politiques locales de l’habitat et d’urbanisme, mais aussi d’arracher les changements législatifs nécessaires.
En ligne de mire des associations : le prochain règlement de la Communauté d’Agglomération du Pays Basque (CAPB) pour mettre en place du mécanisme de compensation.
Si quelqu’un souhaite mettre un appartement en location en meublé touristique permanent, il doit également mettre un autre logement en location à l’année dans le même secteur géographique restreint. Le texte doit être voté début 2022.
Mais le Pays basque est loin d’être le seul territoire français concerné par le problème. Ainsi, le même jour, plusieurs manifestations ont eu lieu dans toute la Bretagne pour exiger la régulation du secteur immobilier en faveur du logement à l’année.
En Bretagne comme ailleurs, la population touchée dénonce « la pression immobilière excessive, la priorité donnée par le marché aux locations touristiques et résidences secondaires, le manque d’action contre le mal-logement… »
« Les mobilisations basques et bretonnes ne s’étaient pas coordonnées mais nous nous soutenons. La question du logement doit être l’un des sujets immanquables pour la prochaine présidentielle et des législatives qui vont suivre. Il est donc primordial d’accumuler des forces communes sur cette thématique pour peser suffisamment dans le débat public. » explique Xebax Christy, membre de l’association basque Alda, pour La Relève et La Peste
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Au niveau législatif, tous ces collectifs seront particulièrement vigilants à la loi dite 3DS qui sera examinée à l’Assemblée nationale à partir du 6 décembre. Cette loi vise à simplifier l’administration et renforcer le pouvoir des collectivités locales à travers un volet sur le logement et l’urbanisme.
« Toutes nos actions sont ouvertes au plus grand nombre. Il s’agit de faire face au marché libre et à ses dérives, pour que chacune et chacun ait le droit de vivre et se loger au pays ! » ont conclu les organisations.
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